Je vous remercie de l'honnêteté et de la clarté de vos propos, même s'ils montrent que c'est encore pire que ce que je croyais. L'Européen très convaincu que je suis est consterné car vous nous avez raconté l'histoire d'une décadence. Nous sommes au bout du bout et si l'on se contente de bricoler, l'Europe disparaîtra. Le ravaudage est inutile. Pourtant, si l'objectif de paix a été atteint, d'autres défis nous attendent comme le maintien de notre existence dans le monde et la perpétuation de notre modèle social.
A ce moment de notre histoire, il nous faut faire presque table rase de tout ce que nous connaissions. Il nous faut oublier toutes les perversions comme cette philosophie du juste retour qui a prospéré faute d'un système de ressources propres. Nous aurions dû le faire avant cette trop longue programmation budgétaire. Comment un parlementaire européen peut-il accepter un budget pour sept ans quelques mois avant le renouvellement du Parlement ?
Dans une période de crise, il est légitime que les Etats fassent de leur désendettement une priorité. En revanche, l'Union européenne, qui n'est pas endettée, constitue le niveau idéal pour une politique de croissance et de relance. Pourtant les chefs d'Etat y appliquent les mêmes raisonnements qu'au niveau national, ce qui est une grave erreur. Il n'y a pas eu de discussions sérieuses sur la possibilité pour l'Europe d'emprunter alors qu'une règle d'or aurait dégagé des marges de manoeuvre. Avec un budget qui représente 1 % de son PNB l'Europe peut-elle être crédible ? Sans aller jusqu'aux 25% des Etats-Unis, j'aurais souhaité que ce chiffre soit porté au moins à 2 % en 2020. Or on prend la direction exactement inverse.
Le problème est sans doute plus profond : je ne crois pas que nous parviendrons, dans un terme humainement prévisible, à une unité de pensée sur l'avenir européen. Jamais nous ne convaincrons le Royaume-Uni de s'engager dans la voie de l'intégration dans une Europe puissance. Je plaide depuis 30 ans, malheureusement sans succès, en faveur des cercles concentriques : le premier cercle serait constitué du couple franco-allemand, si nos performances économiques nous autorisent à parler d'égal à égal avec nos voisins ; le second cercle regrouperait le fédéralisme, l'Europe puissance ; le troisième cercle se composerait des partisans d'une Europe libérale et intergouvernementale, dont naturellement le Royaume-Uni. Il s'agirait d'un divorce à l'amiable plus que d'une éjection de ce pays.
Mais existe-t-il des pères refondateurs ? Nous n'avons plus d'hommes d'Etat, nos chefs d'Etat raisonnent en fonction d'un carré tragique : sondages, marketing, tactique électorale et communication. Ils suivent leurs opinions publiques au lieu de montrer le chemin. Imaginez-vous le général de Gaulle demandant un sondage avant de lancer son appel du 18 juin ? Où en serions-nous si Jean Monnet et Robert Schuman avaient fait une étude marketing pour savoir s'il fallait lancer l'idée européenne ?