Intervention de Pierre Bernard-Reymond

Commission des affaires européennes — Réunion du 9 novembre 2011 : 1ère réunion
Budget de l'union européenne — Les ressources propres du budget de l'union européenne - communication de m. pierre bernard-reymond

Photo de Pierre Bernard-ReymondPierre Bernard-Reymond :

Il y a deux façons de financer le budget européen :

- soit par les contributions de chaque Etat ;

- soit par des ressources qui lui sont affectées directement : on les appelle « des ressources propres ».

L'histoire du budget européen, c'est notamment l'histoire du mariage entre ces deux modes de financement :

- depuis l'origine de la Communauté jusqu'en 1970, le budget européen a été alimenté par des cotisations de chaque Etat ;

- à partir de 1970, les recettes du budget communautaire ont reposé - en partie - sur des ressources directement affectées : les ressources propres.

Depuis 1970, six décisions ont modifié le régime original, la dernière datant de 2007.

Au départ, les ressources propres étaient de trois natures :

- les droits de douane et les prélèvements agricoles,

- des cotisations « sucre » et « isoglucose ».

Mais avec la libéralisation du commerce mondial, ces droits n'ont fait que diminuer alors que les besoins du budget augmentaient. Il a donc fallu inventer de nouvelles ressources. Et au lieu d'inventer des ressources propres, on a créé en fait des contributions de chaque Etat sous deux formes :

- la contribution « Revenu National Brut » (RNB), qui est une contribution de chaque Etat en fonction de son RNB, selon un pourcentage qui est fixé chaque année. C'est en quelque sorte celle qui sert de variable d'ajustement ;

- la contribution TVA, qui pourrait faire illusion, que l'on pourrait croire être une ressource propre et qui, en fait, ne l'est pas puisque ce n'est pas une part de la TVA qui est versée directement au budget européen. C'est simplement l'assiette harmonisée de la TVA qui sert au calcul, par l'application d'un taux uniforme de 0,30 %, d'une autre contribution de chaque État. Cette ressource, au demeurant, ne cesse de décroître : sa part dans le financement de l'Union européenne est passée de 57 % en 1984 à 11 % aujourd'hui.

Ainsi, aujourd'hui, la structure des recettes du budget européen se présente ainsi :

- les ressources propres d'origine (droits de douane, prélèvements agricoles, sucre et isoglucose) : 14 %,

- les ressources dites TVA : 11 %,

- la ressource Revenu National Brut : 75 %.

En d'autres termes, les ressources propres de l'Union représentent en fait 14 %. Les ressources sous forme de contribution des Etats : 86 %.

Comme vous le voyez, les recettes du budget européen sont essentiellement de type « confédéral ».

L'avantage de cette situation réside dans la grande prévisibilité des recettes : on se met d'accord sur un montant de budget, on estime le montant attendu des ressources traditionnelles et TVA, et on détermine le complément par la ressource RNB dont on fixe les taux chaque année.

En revanche, ce système présente aussi beaucoup d'inconvénients. En effet, l'importante proportion de contributions nationales par rapport aux « ressources européennes » a développé des modes de raisonnement qui poussent certains États à se borner au calcul de ce qu'ils gagnent par rapport à ce qu'ils cotisent. C'est la théorie du « juste retour », le « I want my money back » de Margaret Thatcher.

En oubliant que l'appréciation de « la plus-value Europe » ne peut se borner à un calcul arithmétique et budgétaire, un calcul comptable, mais doit aussi prendre en compte :

- les avantages de l'intégration économique du marché unique, de la libéralisation des échanges, et ceci reste vrai malgré ce que nous constatons aujourd'hui et malgré ce qui reste à faire ;

- le principe de solidarité qui est ou doit être à la base de la construction européenne.

Par ailleurs, le principe de juste retour vicie la politique européenne dans la mesure où l'on a tendance à élaborer des politiques non pas pour leur intérêt intrinsèque, mais pour faire plaisir à tel ou tel pays dans un domaine où il est demandeur en lui permettant ainsi de se rapprocher d'un retour « juste ».

De plus, cette notion de juste retour a entraîné une complication extraordinaire des procédures budgétaires. Il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir que la notion de juste retour, dès lors qu'elle était admise pour un pays, allait entraîner des demandes de rabais de la part d'autres gros contributeurs nets. Néanmoins, le principe du rabais, au demeurant, était en partie justifié. Par exemple, au temps des prélèvements agricoles qui étaient instaurés pour inciter à « acheter européen », il est certain que des pays « puissances agricoles » comme la France avaient un avantage comparatif important par rapport à la Grande-Bretagne qui n'avait pas une agriculture nationale importante, qui s'approvisionnait dans le monde entier et notamment dans les pays du Commonwealth et qui, donc, chaque fois, payait un écot important. C'est ainsi qu'en 1984, à Fontainebleau, on a instauré le rabais britannique puis des « rabais sur le rabais » pour d'autres pays contributeurs nets. Aujourd'hui, parmi les pays contributeurs nets, seuls la France, l'Italie et le Danemark ne bénéficient pas de ce « rabais sur le rabais ».

Ainsi donc, au niveau de ses recettes, le budget européen :

- devient d'une extrême complexité,

- reflète de moins en moins l'esprit de solidarité,

- ne correspond que très partiellement à l'objectif d'intégration.

Cette dérive appelle une remise à plat. La Commission européenne et le Parlement européen la préconisent au moins depuis 2007.

Il a été entendu, à la suite d'un bras de fer entre le Conseil et le Parlement européen à propos du budget pour 2011, que cette question serait revue à l'occasion de l'examen des perspectives financières 2014-2020, certaines décisions prises en 2007 n'étant d'ailleurs valables que jusqu'en 2013. C'est une réforme qui exige l'unanimité du Conseil après simple consultation du Parlement européen (art. 311 du traité) avec ratification de chaque Etat.

Le 30 juin, la Commission a déposé des propositions en même temps que ses propositions pour le cadre financier pluriannuel 2014-2020.

C'est une réforme d'ampleur qui consiste :

- à simplifier considérablement le système,

- à renverser la proportion ressources propres / contribution des États.

Dans le contexte que nous connaissons, les États ne devraient pas être insensibles au fait que ce renversement de proportion accroîtrait les marges de manoeuvre de leur budget national en allégeant la contribution nationale de chacun.

L'essentiel des propositions de la Commission consiste :

- d'une part à créer deux nouvelles ressources propres,

- d'autre part à simplifier considérablement le système des rabais et compensations en forfaitisant les rabais et, en fait, en programmant leur lente diminution au rythme de l'inflation puisqu'ils ne seraient pas révisables.

S'agissant des deux ressources propres, il s'agit de la fameuse taxe sur les transactions financières - la T.T.F. - dont l'économie générale a été présentée fin septembre sous la forme d'une proposition de directive, ainsi que d'une nouvelle ressource TVA.

La première pourrait financer le budget de l'Union en 2018 au plus tard. Des taux différenciés s'appliqueraient selon la nature des transactions (85 % des transactions seraient taxées). Le taux principal serait de 0,1 % et le taux sur les contrats dérivés de 0,01 %.

Son produit pourrait être ventilé entre le budget de l'Union et ceux des Etats. Ce matin même, la Commission a d'ailleurs revu et précisé la manière dont cette TTF pourrait abonder le budget. Son dernier projet prévoit ainsi que deux tiers des recettes tirées de l'application du taux minimal précité iraient à l'Union. Dans son estimation initiale, la Commission escompte en tirer 37 milliards d'euros en 2020, soit 23 % du budget de l'Union.

Il reste encore beaucoup à préciser, comme en témoignent ces ajustements de dernière minute. Et aussi beaucoup de pays à convaincre, en particulier le Royaume-Uni et la Suède qui ont affirmé hier leur opposition catégorique à la TTF. Or, si la TTF ne se fait pas à 27, elle ne peut pas devenir une ressource de l'Union.

Notre collègue Fabienne Keller a été chargée d'un rapport sur cette question dont nous attendons beaucoup. Je ne m'y attarderai donc pas.

La deuxième ressource propre serait une vraie ressource propre T.V.A., qui remplacerait l'actuelle ressource T.V.A.

Il ne s'agirait pas d'une contribution des États calculée sur une assiette T.V.A. harmonisée artificiellement, mais bel et bien d'un prélèvement à un pourcentage fixe appliqué à l'assiette T.V.A. réelle des États membres. Le produit serait directement transféré au budget européen. Les contributions RNB des États membres seraient réduites à due proportion. L'information que je vous livre est très récente, car ce matin, comme pour la TTF, la Commission européenne a modifié et précisé son projet initial.

L'assiette TVA retenue reposerait sur le plus petit dénominateur commun, à savoir les seuls produits taxés au taux normal dans chacun des 27 États membres. Seule la T.V.A. sur les biens et les services serait visée.

Le taux de prélèvement serait au maximum de 2 % et le taux effectif de 1 % - confirmé ce matin.

Le produit attendu serait de 29 milliards d'euros, soit 18 % du total des recettes. Mais c'est une estimation délicate, l'assiette retenue pouvant varier considérablement selon que l'harmonisation de la TVA progresse ou non à la suite du récent Livre vert.

Si ces réformes voyaient le jour, alors qu'aujourd'hui nous n'avons que 14 % de ressources propres, nous en aurions 60 %. Dans un premier temps, cela paraît suffisant car les ressources propres étant moins prévisibles qu'une contribution, il faut au moins 40 % de variable d'ajustement quitte à envisager plus tard un rapport 75 % - 25 %.

Notons aussi que, par rapport aux intentions premières de la Commission, beaucoup d'hypothèses de création de ressources propres ont été abandonnées :

- taxe sur le secteur aérien (il est vrai déjà fort taxé, notamment à partir de 2012 avec les quotas d'émission de gaz à effet de serre),

- impôt sur les sociétés (trop complexe sans doute),

- accises sur les carburants, le tabac, l'alcool,

- taxe sur le CO2,

- taxe sur les activités financières.

En fait, la Commission a préféré proposer des taxes nouvelles plutôt que de s'attaquer à l'architecture des taxes existantes.

Mais nous sommes encore loin d'une solution.

Hier, le Royaume-Uni et la Suède ont rejeté catégoriquement la taxe sur les transactions financières alors que la France, la Grèce, l'Allemagne, l'Espagne et l'Autriche sont plutôt favorables aux propositions de la Commission. Le Parlement européen y est très favorable.

Ce dernier a créé une commission spéciale sur ce sujet des ressources propres qui a rendu son rapport en mai. Le travail de cette commission est maintenant relayé par la commission des budgets que préside Alain Lamassoure.

Compte tenu des derniers développements et de l'hostilité du Royaume-Uni, je pense qu'il ne faut pas renoncer à réfléchir à d'autres ressources propres que celles que propose la Commission. Mes préférences iraient au tabac, à l'énergie et aux quotas d'émission de gaz à effet de serre.

Enfin, comme je l'ai dit précédemment, la Commission propose une simplification considérable du système des rabais et corrections.

Les bénéficiaires des rabais se verraient attribuer des montants forfaitaires :

- 2,5 milliards pour l'Allemagne,

- 1,05 milliard pour les Pays-Bas,

- 3,6 milliards pour le Royaume-Uni (pas très éloigné de ce qu'il reçoit depuis deux ans),

- 350 millions pour la Suède.

Ces corrections viendraient en déduction de leur contribution RNB. Le Royaume-Uni ne bénéficierait plus d'un traitement à part.

A priori, chacun de ces États, en participant à la contribution RNB, participerait au financement de son propre rabais.

Voilà, à ce stade, l'essentiel des propositions de la Commission qui doivent encore être précisées et affinées, comme ce fut le cas encore ce matin avec le dépôt de plusieurs propositions de précision ou d'amendement. Cette incertitude justifie ma démarche en deux temps, dont le premier est cette communication d'étape.

Enfin, Monsieur le Président, pour terminer, je ne peux évoquer le budget européen sans évoquer trois autres questions qui seront traitées par ailleurs et qui, à mon avis, méritent un débat dans notre commission.

La première est la part du budget européen dans le R.N.B. européen, aujourd'hui plafonnée à 1,23 %, dans les faits tournant autour de 1 %. Peut-on imaginer construire l'Europe longtemps dans de telles conditions ?

Il ne s'agit pas de générer des dépenses supplémentaires, comme feignent de le croire les États, il s'agit de les transférer du niveau national au niveau européen, ce qui, dans les circonstances actuelles, serait une aubaine pour tous les États endettés, si comme je le crois, un euro du budget de l'Union peut être plus efficace que le même euro dépensé par les budgets nationaux. Dans certains secteurs, il y a sûrement des gains importants à en attendre.

Un tel transfert des dépenses au niveau européen doit bien sûr se faire sans en augmenter le montant global.

La deuxième question concerne les « projects bonds », c'est-à-dire l'autorisation donnée à l'Europe de contracter des emprunts pour financer de grands programmes européens, par exemple dans le domaine des grandes infrastructures et, pourquoi pas, dans la recherche.

La dernière, enfin, est celle des « Eurobonds », c'est-à-dire une mutualisation des emprunts qui pourrait commencer au niveau des seuls pays classés « AAA ».

J'en ai terminé, M. Le Président, pour mon rapport d'étape qui ne pourra être finalisé que lorsque les propositions de la Commission auront été précisées et que les premières réactions des États nous parviendront.

Je vous remercie de votre attention.

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