Intervention de Bernard Piras

Commission des affaires européennes — Réunion du 25 octobre 2012 : 1ère réunion
Politique étrangère et de défense — Examen de la proposition de résolution n° 787 relative à la nomination d'un représentant spécial de l'union européenne pour le tibet - rapport de m. bernard piras

Photo de Bernard PirasBernard Piras :

J'ai eu la chance de me rendre à Lhassa récemment : nos analyses ne sont pas discordantes.

Après les émeutes de 2008, avec la multiplication des immolations depuis 2010, la question tibétaine est au coeur de l'actualité. Face à la propagande chinoise qui ne désarme pas, à la colonisation qui s'amplifie et la répression de toute protestation, il est légitime d'attirer l'attention de la communauté internationale sur cette violation constante des droits de l'Homme depuis 1951. L'affirmation de l'histoire officielle chinoise selon laquelle le Tibet appartient à la Chine en raison du lien personnel établi autrefois entre le Dalaï-Lama et l'Empereur, puis dénoncé au début du XXe siècle par le Dalaï-Lama, ne saurait justifier la politique menée par la Chine au Tibet depuis 1951. Il est également impossible d'accepter la banalisation de la question tibétaine comme le propose la Chine, quand elle prétend que l'affaire relève de ses affaires intérieures, au titre d'une politique générale des minorités ethniques. Loin de constituer une minorité noyée au sein des Hans majoritaires, les Tibétains sont les héritiers d'une civilisation millénaire à part entière, avec sa langue, sa culture, sa religion, et qui aspire à survivre. Que les Tibétains aient subi l'influence chinoise (moins encore que l'influence indienne) ne les prédispose pas à perdre leur autonomie. Les Japonais pourtant nourris de civilisation chinoise pendant plusieurs siècles ne sont pas pour autant des Chinois !

Dans un esprit d'apaisement, à deux reprises, le chef spirituel des Tibétains a avec réalisme ouvert la voie d'un compromis en donnant à la Chine la possibilité de sortir, à son avantage et sans perdre la face, de ces tensions permanentes. À Strasbourg, devant le Parlement européen, le Dalaï-Lama a proposé en 1988 un plan de paix en cinq points : transformation du Tibet en une zone de paix démilitarisée ; abandon des transferts de population chinoises par la Chine ; respect des droits de l'Homme et des libertés individuelles ; restauration et protection de l'environnement naturel, avec l'abandon du stockage des déchets nucléaires chinois au Tibet ; ouverture de négociations sur le futur statut du Tibet. Concession majeure, il abandonnait la revendication d'indépendance pour se contenter d'une autonomie au sein de la Chine, ce qui constituait une concession majeure.

Publiant en 1992 les lignes directrices de la politique du futur Tibet, le Dalaï-Lama a affirmé sa détermination à n'accepter personnellement aucune responsabilité politique dans le futur gouvernement du Tibet pour ne conserver qu'un magistère moral et religieux. Enfin, il a cédé le pouvoir à un Premier ministre du gouvernement en exil, choisi par la diaspora en exil. Toutes ces concessions n'ont eu aucun effet sur la politique de la Chine et les négociations sino-tibétaines demeurent au point mort.

Le Parlement européen a affiché un souci constant : par sa résolution du 15 février 2007, adoptée par 71 votes contre un et une abstention, il recommandait à l'Union européenne d'adopter une approche plus ferme pour favoriser le dialogue sino-tibétain. Il invitait en particulier le gouvernement de la Chine et le Dalaï-Lama à reprendre leur dialogue sans préalable, afin de parvenir à des solutions pragmatiques qui respectent l'intégrité territoriale de la Chine et répondent aux aspirations du peuple tibétain. Cette résolution invitait aussi les États membres à promouvoir activement l'approfondissement du dialogue et, en l'absence de résultat tangible, à évaluer, en consultation avec les deux parties, le rôle que l'Union européenne pourrait jouer pour faciliter une solution négociée, notamment en nommant un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet. Or, cinq rencontres s'inscrivant dans le cadre du dialogue engagé en septembre 2002 entre le gouvernement de la Chine et les envoyés du Dalaï-Lama n'ont pas permis de régler les différences sur les problèmes de fond. En particulier, les deux parties n'ont pu atteindre une communauté de vues sur les relations historiques entre le Tibet et la Chine. Enfin, le gouvernement de la Chine continue à exprimer ses inquiétudes pour l'unité et la stabilité de la Chine, alors même que le Dalaï-Lama a renoncé à exiger l'indépendance du Tibet.

Le 15 janvier 1998, le Parlement européen demandait déjà au Conseil et à la Commission de nommer un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet, chargé de prendre toutes les initiatives nécessaires pour qu'il soit donné suite aux demandes de celle-ci en ce qui concerne les droits civils et politiques au Tibet, et d'en suivre l'évolution. Le 11 avril 2002 une autre résolution renouvelait cette demande et, le 12 novembre 2003, une nouvelle résolution sur le Tibet appelait à nommer un représentant spécial de l'Union européenne pour le Tibet afin de promouvoir dans un avenir proche des négociations sérieuses entre le gouvernement chinois, le Dalaï-Lama et ses représentants.

En 2003, le ministre des affaires étrangères de la France déclarait que la vigilance en matière de droits de l'Homme était nécessaire, que le dialogue sino-tibétain devait se poursuivre et qu'il fallait trouver un équilibre entre la nécessité de préserver l'identité des Tibétains et celle de garantir la souveraineté de la Chine. Cette position mesurée n'a pas évolué depuis.

Après les événements de 2008 et le regain des tensions, le Parlement européen s'est encore attelé à la tâche de rappeler à la Chine la nécessité de respecter les droits de l'Homme au Tibet. Sa résolution du 14 juin 2012 soutient à nouveau la nomination d'un rapporteur spécial pour le Tibet auprès du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité.

Si la proposition de résolution européenne dont nous sommes saisis se justifie par la situation au Tibet, il est nécessaire de s'interroger sur son opportunité. Son but est de faire cesser la répression au Tibet et, si possible, d'amener la Chine à revenir à la table des négociations ; or, elle pourrait avoir l'effet inverse, la Chine se raidissant dans son refus d'une ingérence dans ses affaires intérieures. En ce moment, une période de rare tension avec le Japon, elle pourrait en appeler au patriotisme de ses citoyens pour faire oublier ses difficultés internes.

De plus, nommer un représentant pour une région à l'intérieur d'un État serait une première. La Chine, qui considère le Tibet comme une affaire intérieure ressentirait durement cette innovation : elle empêche par exemple le Conseil de sécurité de l'ONU de se prononcer sur ce qu'elle considère comme les affaires intérieures de la Syrie. Ne serait-il pas plus efficace d'avoir recours au nouveau Représentant de l'Union pour les droits de l'Homme, Stavros Lambrinidis, et de lui fixer la question tibétaine comme une priorité ? Sans remettre en cause le bien-fondé de la proposition de résolution, cette suggestion évite de chatouiller la Chine sur son intégrité territoriale. C'est l'objet des modifications que je vous soumets.

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