Intervention de Roland du Luart

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 novembre 2012 : 1ère réunion
Politique régionale — Examen de la proposition de résolution n° 93 sur la stratégie européenne pour les régions ultrapériphériques rup à l'horizon 2020 - rapport de m. georges patient

Photo de Roland du LuartRoland du Luart, auteur de la proposition de résolution européenne :

Le 30 octobre, Georges Patient et moi-même présentions devant la délégation sénatoriale à l'Outre-mer, qui nous avait désignés comme co-rapporteurs, la proposition de résolution européenne que je suis chargé de vous exposer.

Les deux propositions de résolution que nous examinons aujourd'hui sont tout à fait complémentaires et l'on ne peut que se féliciter de cette synchronisation des travaux de la commission et de la délégation qui permettra de porter ces textes sur les fonds baptismaux de la séance publique le 19 novembre. L'onction du vote donnera toute sa solennité à la démarche qui pourra constituer un appui appréciable pour le Gouvernement dans les négociations à Bruxelles. Les instances européennes sont en effet attentives, nous l'avons vérifié pour la pêche, à l'expression de la représentation nationale ! Cet appui sera d'autant plus précieux dans un contexte budgétaire tendu, la présidence chypriote de l'Union entendant proposer 50 milliards de coupes budgétaires.

J'en viens au contenu de notre proposition de résolution. Le 20 juin dernier, la Commission européenne publiait une communication intitulée « Les régions ultrapériphériques de l'Union européenne : vers un partenariat pour une croissance intelligente, durable et inclusive », exposant la stratégie de l'Union européenne à l'égard des régions ultrapériphériques (RUP). Cette communication intervenait bien tardivement dans le processus des négociations puisque les propositions de la Commission sur le cadre financier pluriannuel avaient été publiées dès juin 2011 et celles sur le paquet réglementaire en octobre 2011.

Je vous dirai d'emblée que l'accueil réservé à cette communication par les RUP elles-mêmes, qu'il s'agisse des RUP françaises mais également des RUP espagnole (Canaries) et portugaises (Açores, Madère), a été extrêmement mitigé. Cela fut exprimé très clairement au Forum des régions ultrapériphériques, tenu à Bruxelles début juillet, et réitéré à la Conférence des présidents des RUP, aux Açores, en septembre. Le point de vue des deux députés européens que nous avons auditionnés le 11 octobre, MM. Younous Omarjee et Patrice Tirolien, avait la même tonalité.

En dépit de timides avancées relatives à la reconnaissance d'une diversité de situations caractérisant les RUP et à la nécessité de leur meilleure insertion régionale, ainsi que de grandes orientations stratégiques globalement acceptables, la communication de la Commission européenne reste largement redondante et incantatoire et reflète une position en net décalage avec les attentes et la situation concrète des RUP.

En réaction à cette approche de l'avenir européen des RUP qui n'est guère satisfaisante, la résolution que nous vous soumettons aujourd'hui s'articule autour de deux axes principaux et intègre les préoccupations exprimées à maintes reprises par ces régions : elle appelle ainsi à une prise en compte effective des contraintes et de la diversité de ces régions ; elle appelle également à une meilleure cohérence dans la mise en oeuvre des politiques européennes entre elles, les RUP étant trop fréquemment les victimes collatérales de leurs contradictions.

S'agissant de la première série de préconisations, qui visent à assurer la prise en compte effective des contraintes et de la diversité des RUP, il s'agit de plaider pour une stratégie européenne équilibrée prenant en compte effectivement, et pas seulement dans le discours, d'une part, à la fois le retard en termes d'équipements structurants des territoires et un contexte économique et social très dégradé, et, d'autre part, les contraintes propres aux RUP et la diversité de leurs situations.

Tout d'abord, et Georges Patient y reviendra tout à l'heure en présentant la proposition de résolution de la commission des affaires européennes, il nous est apparu nécessaire, dans le cadre de la politique de cohésion, de renchérir sur la demande d'un assouplissement de ce qu'il est convenu d'appeler en langue européenne « la concentration thématique », c'est-à-dire les critères d'objectifs auxquels doivent satisfaire les projets pour être éligibles aux fonds structurels. Je n'entre pas dans le détail des objectifs thématiques qui sera exposé ultérieurement avec la politique de cohésion.

Cet assouplissement en matière de fléchage des projets éligibles aux financements européens, ainsi qu'un abaissement du taux de concentration thématique devraient contribuer à éviter que ne se matérialise un décalage de plus en plus important entre les objectifs stratégiques ambitieux définis par la Commission européenne, axés sur la compétitivité et l'innovation, et la réalité du terrain qui appelle un rattrapage structurel.

En outre, les objectifs de développement ne pourront être atteints en l'absence de consolidation des secteurs traditionnels qui, eux aussi, ont besoin des aides européennes. Ces secteurs, garants de la cohésion sociale, constituent le socle de développement sans lequel l'émergence de secteurs innovants restera une fiction.

De même que la Commission européenne scande un discours incantatoire sur la nécessité de valoriser les atouts des RUP dans le développement d'une « croissance intelligente, durable et inclusive », en « (tenant) compte (de leurs) spécificités et contraintes » mais n'évoque que bien peu les nécessaires politiques de rattrapage, elle se contente d'inviter chaque région à « trouver sa propre voie vers une prospérité accrue, en fonction de ses particularités » et reste hostile à l'instauration d'instruments spécifiques d'aide aux RUP bien que, reconnaît-elle, « certains (...) aient fait leurs preuves ». Ainsi, en contradiction avec ce discours sur les atouts que représentent les outre-mer et, fait nouveau, la mention explicite et la reconnaissance de leur diversité, la Commission européenne veille à une interprétation et à une mise en oeuvre très restrictive de l'article 349.

En deuxième lieu, la proposition de résolution invite à mobiliser plus largement et plus fréquemment au bénéfice des RUP le fondement juridique de l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Conformément à la position traditionnellement réductrice de la Commission, sa communication de juin 2012 ne fait que de rares références à l'article 349 du traité qui justifie pourtant que des mesures spécifiques soient prises en faveur des RUP afin de tenir compte de leurs handicaps.

La France est déterminée à obtenir une meilleure utilisation de ce fondement juridique et nous pouvons, par notre résolution, peser dans les négociations et aider le gouvernement dans ce dossier majeur. Il s'agit de mettre en place un cadre global approprié qui pourrait prendre la forme d'un « règlement plurisectoriel en faveur du soutien aux filières d'avenir dans les RUP », à savoir des filières identifiées comme stratégiques et contribuant à leur désenclavement telles que les énergies renouvelables, les TIC, les transports, le tourisme ou encore une filière bois en Guyane. Ce mécanisme pourrait comprendre un programme ? de type POSEI ? d'aides aux entreprises et couvrant ces secteurs porteurs de croissance.

Il s'agit également de multiplier les déclinaisons sectorielles de l'article 349 afin de permettre l'adaptation des politiques européennes aux réalités des RUP. Cette prise de position, déjà martelée dans les négociations sur la réforme de la politique commune de la pêche (PCP), semble en voie d'aboutir pour ce secteur.

La prise en compte des contraintes spécifiques aux RUP sur le fondement de l'article 349 du TFUE doit enfin pouvoir se décliner dans les programmes européens horizontaux, tels que l'instrument financier pour l'environnement (LIFE) ou le programme « Horizon 2020 » pour la recherche. Il apparaît nécessaire, pour rendre effectif l'accès des RUP à ces programmes, d'assurer un accompagnement spécifique des porteurs de projet issus des RUP ainsi que des appels à projets spécifiques à ces régions.

L'accès des RUP à certains programmes horizontaux reste en effet aujourd'hui théorique, faute pour ces régions de pouvoir répondre aux critères d'éligibilité qui ne tiennent pas compte de certaines contraintes telles que, par exemple, l'éloignement. C'est ainsi que la jeunesse des RUP françaises se trouve largement privée du bénéfice du programme Erasmus dans la mesure où celui-ci ne permet pas la prise en charge financière du transport de l'étudiant originaire d'une RUP entre sa région et la capitale de son État membre.

Il apparaît par ailleurs nécessaire, pour compenser les handicaps structurels auxquels sont confrontés les acteurs économiques, de faire des aides d'État un levier plus efficace. L'article 107, paragraphe 3, du traité permet la prise en compte des spécificités des RUP. Compte tenu de l'éloignement géographique et de l'étroitesse de leurs marchés, les aides aux entreprises des RUP ne peuvent en effet être considérées comme des menaces à la libre concurrence. Il apparaît donc aujourd'hui indispensable que les taux actuels d'intensité et l'éligibilité des aides au fonctionnement valables dans les RUP soient maintenus et il serait même utile d'aller plus loin en introduisant un seuil de minimis spécifique à ces régions.

Enfin, il est singulier que la communication de la Commission n'évoque pas le cas particulier de Mayotte, collectivité en voie de « rupéisation ». Il convient que la Commission accorde une attention toute particulière à cette collectivité qui présente d'importantes spécificités et que de larges dérogations lui soient accordées sur le fondement de l'article 349 pour lui permettre de bénéficier effectivement des aides européennes.

La seconde catégorie de préconisations figurant dans la proposition de résolution souligne la nécessaire cohérence des politiques communautaires à l'égard des RUP : il s'agit de la problématique de la politique commerciale.

À deux reprises au cours des deux dernières années, le Sénat a souligné l'incohérence de la politique commerciale avec les autres politiques sectorielles de l'Union à l'égard des RUP. Je vous rappelle nos initiatives successives qui ont conduit à l'adoption de la résolution du 3 mai 2011 tendant à obtenir compensation des effets, sur l'agriculture des départements d'outre-mer, des accords commerciaux conclus par l'Union européenne, ainsi qu'à l'adoption de la résolution du 3 juillet 2012 visant à obtenir la prise en compte par l'Union européenne des réalités de la pêche des régions ultrapériphériques françaises.

La politique commerciale de l'UE constitue en effet une menace pour l'économie des RUP et entrave l'intégration régionale de ces régions.

La mise en cohérence de la politique commerciale avec les autres politiques communautaires doit notamment passer par l'évaluation systématique et préalable des effets des accords commerciaux conclus par l'UE sur l'économie des RUP, les mécanismes de compensation financière ne pouvant constituer qu'un pis aller et n'étant pas en mesure, à terme, d'empêcher la disparition de pans entiers de l'économie des RUP, en particulier dans le secteur agricole.

Dès sa communication de 2004, la Commission affirmait que « en ce qui concerne les nouveaux accords préférentiels de l'UE avec d'autres pays tiers, la Commission effectuera une analyse d'impact des effets de ces accords sur l'économie des régions ultrapériphériques ». Il est donc troublant de trouver une déclaration analogue de la Commission huit ans plus tard, dans la communication de 2012 : « les accords conclus par l'UE tiendront dûment compte des RUP, par exemple lorsque ces accords couvrent des produits fabriqués dans les RUP », dont l'application paraît loin d'être garantie. Encore une fois, il y a loin du discours aux mesures concrètes : les sombres perspectives pour les marchés de la banane, du sucre et du rhum en sont une illustration !

Ce constat justifie que nous prenions encore une fois une position très ferme sur cette question.

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