Je souhaiterais, enfin, formuler un certain nombre de réflexions à titre de conclusion sur le dossier du Parquet européen.
Rappelons, tout d'abord, qu'aux termes de l'article 86, paragraphe premier, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne le Parquet européen doit être créé à partir d'EUROJUST. Cela pose une première question : les « fonds baptismaux » du Parquet européen sont-ils bien solides ? Une délégation de la commission des affaires européennes du Sénat s'est rendue à La Haye au mois de février 2014 pour visiter et évaluer EUROJUST. Il lui a été notamment expliqué que l'agence européenne ne pouvait travailler convenablement que dès lors qu'elle était alimentée en informations à caractère pénal ou judiciaire par les parquets et les juridictions des États membres. Comme pourront vous le confirmer ceux de nos collègues qui ont participé à ce déplacement, il a été en particulier souligné que sur l'année 2013 une seule cour d'appel en France sur 36 s'était acquittée de son obligation de transmission de données. Et pourtant la France, s'agissant par exemple de l'activité d'EUROPOL, est généralement considérée comme un des grand pays contributeurs d'informations au titre de la coopération policière ou judiciaire.
Cette première réflexion ne nous paraît pas inutile.
Seconde réflexion : selon les propres termes de l'article 86, paragraphe premier, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, le futur Parquet européen est destiné à « combattre les infractions portantes atteintes aux intérêts financiers de l'Union ». À cet égard, le principe même du Parquet européen ne nous semble pas pouvoir être mis en doute. Il existe un budget « fédéral », il y a donc nécessité de mettre en place un contrôle « fédéral » de ce budget.
Troisième réflexion : nous savons que le Parquet européen a, jusqu'à présent, suscité trois grand débats : un débat sur la structure du nouvel organe ; un débat sur la compétence partagée du Parquet européen avec les compétences des autorités judiciaires des États membres ; un débat sur l'extension de la compétence du Parquet européen à la grande criminalité transfrontière.
Tous ces débats sont parfaitement utiles et légitimes.
Il semble toutefois que le débat principal doit porter sur la structure du Parquet européen dans la mesure où cette question influe directement sur la souveraineté des États membres et de leurs pouvoirs régaliens.
La proposition initiale de la Commission européenne avait, en la matière, sa logique : le Parquet européen devait être une structure composée d'un procureur européen et de procureurs européens délégués des États membres. Afin de garantir l'efficacité de son action, le procureur européen fournirait des instructions aux procureurs européens délégués, dont il coordonnerait les activités et qui travailleraient directement pour lui sur les infractions relevant de la compétence du Parquet européen tout en continuant à faire partie du système judiciaire de leur État membre.
Le Parquet européen devait fonctionner de manière décentralisée c'est-à-dire que les affaires seraient traitées au niveau le plus approprié, dans la plupart des cas, au niveau des États membres, c'est-à-dire celui du procureur européen délégué. Structure indépendante et responsable, le Parquet européen s'appuierait sur un petit corpus de règles applicables dans toute l'Union européenne dans le champ des infractions relevant de sa compétence et répondrait de ses actes devant les institutions de l'Union.
On sait qu'un « carton jaune », au titre de la subsidiarité, a été adressé par 14 Chambres des parlements nationaux, à la Commission européenne. Selon nous, la lettre adressée, par la Commission européenne au président du Sénat, le 13 mars 2014, indiquant que ladite Commission maintenait sa proposition initiale pour le Parquet européen, a plutôt traduit un « aveu de faiblesse » de la part d'une institution en fin de mandat.
On s'oriente, aujourd'hui, vers un Parquet européen institué sous forme collégiale, composé de membres nationaux issus de leurs systèmes judiciaires respectifs. Le Parquet européen devrait disposer, non pas d'une compétence exclusive, mais d'une compétence partagée avec les autorités judiciaires des États membres, assortie d'un droit général d'évocation. Restent en débat des questions importantes telles que le contrôle juridictionnel des actes d'enquête et de poursuites du Parquet européen, l'admissibilité des preuves et les règles de prescription.
Quatrième réflexion : il y a lieu aujourd'hui d'aller « au-delà » du « carton jaune ». Depuis le « carton jaune », qui a permis à notre commission, en quelque sorte, de « montrer ses petits muscles », d'autres priorités sont apparues telles que la nécessité de mieux maîtriser les finances européennes ou l'irruption du terrorisme. Ce qui importe donc aujourd'hui, c'est la politique qui sera menée par la nouvelle Commission plus volontariste de M. Jean-Claude Juncker.
Et de ce point de vue, on constate que non seulement la nouvelle Commission n'a pas renoncé au Parquet européen, mais dans la « Lettre de mission » qu'il a adressée à Mme Vera Jourova, nouvelle Commissaire à la justice, aux consommateurs et à l'égalité des genres, le 10 septembre 2014, le président Jean-Claude Juncker a souligné que : « la mise en place d'un parquet européen indépendant en 2016 constituera un pas en avant significatif pour protéger le budget de l'Union européenne des fraudes. » Michel Barnier, de son côté, a tenu des propos allant dans le même sens. Il y a donc un agenda et une « année-butoir », l'année 2016, pour la mise en place de ce Parquet européen. La régulation financière européenne est incontournable.
Certains rappellent certes qu'un certain nombre de pays tels que le Royaume-Uni, l'Irlande, le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède manifestent de fortes réticences et que la solution la plus probable réside dans la coopération renforcée d'au moins neuf États membres, prévue par les traités, et déjà mise en oeuvre pour le divorce transfrontière, le brevet de l'Union européenne ou sur le point de l'être en ce qui concerne la taxe sur les transactions financières. À cela, on peut, peut-être, répondre que les pays réticents ne sont pas tous vraiment concernés par le sujet. Le Royaume-Uni, par exemple, aurait certainement exclu de son « Opt in » le Parquet européen, si un texte législatif avait existé sur le sujet, de la liste des instruments de l'« Espace de liberté, de sécurité et de justice » dont elle entendait bénéficier. Le Danemark est dans une situation analogue. En tout état de cause, les États sont à la manoeuvre. Ce sont eux qui fixeront les règles du jeu.
Nous avons indiqué tout à l'heure que le débat sur la structure du Parquet européen nous apparaissait fondamental car mettant directement en cause la question de la souveraineté des États membres. Mais l'urgence de la menace terroriste nous interpelle tous désormais. Il y aura donc urgence à mettre en place dans les délais les plus rapides, en application de l'article 86 paragraphe 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'extension des compétences du Parquet européen à toutes les formes de terrorisme transfrontière qui peuvent être, bien évidemment, assimilées à la criminalité grave transfrontière visée par le texte.