Pour finir, nous voulions évoquer la question de la suppression des contenus faisant l'apologie du terrorisme sur Internet, car c'est la question la plus sensible.
Je rappelle que c'est d'abord en application des règles nationales que cela peut se faire. En l'état actuel, il n'existe pas de législation européenne couvrant à la fois l'apologie du terrorisme et l'ensemble des opérateurs en matière de suppression des contenus illicites sur Internet. Il y a d'ailleurs une certaine hétérogénéité des positions en Europe et notre « modèle » est difficilement exportable. Certains États membres comme la Suède y sont farouchement opposés. D'autres, comme le Royaume-Uni, ont passé des accords avec les grands opérateurs pour supprimer certains contenus. C'est pourquoi le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, prône une collaboration accrue en France comme en Europe avec les grandes entreprises de l'Internet.
Ces acteurs de l'économie mondiale semblent avoir pris conscience que le fait d'être associés à la propagande djihadiste est mauvais pour leur image. Et ils paraissent désormais assez enclins à une certaine forme de régulation. J'ajoute que, comme l'expliquaient différents intervenants lors de la table ronde organisée par la commission d'enquête sur la lutte contre les réseaux djihadistes à laquelle j'ai participé, cette coopération fonctionne, et même bien ! Lorsque, suite à un signalement sur la plateforme PHAROS, l'Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication demande, par exemple, à Youtube ou Dailymotion de supprimer une vidéo faisant l'apologie du terrorisme, la plupart du temps, ils le font. Et je souligne que, dernièrement, les signalements concernant l'apologie du terrorisme ont explosé sur PHAROS : de 614 en 2013, on est passé à 1 662 en 2014 et près de 30 000 depuis les attentats de janvier !
Une autre piste consisterait à s'inspirer de la législation concernant la pédopornographie : la directive du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie, impose aux États membres de faire supprimer les pages Internet contenant ou diffusant de la pédopornographie qui sont hébergées sur leur territoire. Le cas échéant, si ces pages sont hébergées à l'étranger, ce texte enjoint les États de s'efforcer d'obtenir la suppression de ces pages et les autorise à mette en place un blocage de l'accès.
Ce qui a fonctionné pour la pédopornographie, c'est la suppression des contenus sur l'Internet accessible à tous. En revanche, la conséquence a été la migration des pédopornographes vers l'Internet caché qu'on appelle aussi « dark web ». Ils bénéficient là d'un anonymat total et échappent à tout contrôle et même à toute surveillance. Ils y côtoient des trafiquants d'armes, les marchands de drogue, les gens qui font du trafic d'êtres humains, autant de catégories qui emploient comme monnaie d'échange le bitcoin, dont les flux sont difficiles à suivre. Si on décide la suppression complète des pages et des sites Internet faisant l'apologie du terrorisme djihadiste, attention à ce que les conséquences ne soient pas pires que les résultats escomptés !
Le fait que les djihadistes communiquent au grand jour sur Internet est une source d'information précieuse pour nos services de renseignement. Il ne s'agirait pas de les priver d'informations précieuses. À titre d'exemple, en réaction à l'attaque contre Charlie Hebdo, les « Anonymous » ont « défacé » le profile Facebook de 400 djihadistes, privant ainsi nos services du suivi de ces personnes.
Il convient donc de réfléchir à l'équilibre voulu entre surveillance et prévention. C'est la raison pour laquelle une plus grande association des entreprises de l'Internet nous parait être une solution plus efficace.