Intervention de Pierre Bernard-Reymond

Commission des affaires européennes — Réunion du 7 juin 2011 : 1ère réunion
Harmonisation des bases de l'impôt sur les sociétés is proposition de résolution de m. pierre bernard-reymond

Photo de Pierre Bernard-ReymondPierre Bernard-Reymond :

Le 16 mars 2011, la Commission européenne a proposé d'adopter une méthode, commune à tous les États membres, pour calculer l'assiette de l'impôt pesant sur les sociétés actives dans l'Union européenne. En effet, la Commission estime que le seul moyen de lutter contre les entraves fiscales auxquelles se heurtent les entreprises qui opèrent dans plus d'un État membre au sein du marché intérieur est de permettre à ces entreprises d'être imposées sur la base d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités dans l'Union européenne.

L'objectif de cette proposition de directive est de réduire considérablement la charge administrative, les coûts de mise en conformité et les incertitudes juridiques auxquels les entreprises de l'Union font face pour se conformer à 27 régimes nationaux différents lors de l'établissement de leur bénéfice imposable.

L'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés permettrait aux entreprises de produire leurs déclarations fiscales dans un seul État membre et de consolider les profits et les pertes qu'elles enregistrent dans toute l'Union. Les États membres conserveraient intégralement leur droit souverain en matière de fixation du taux de l'impôt sur les sociétés.

Ce système resterait facultatif pour les entreprises, ce qui ne règlerait donc pas définitivement le problème fondamental que constitue la coexistence de 27 systèmes fiscaux différents, mais la Commission considère que la création d'un 28e régime fiscal optionnel constituerait toutefois un premier progrès vers l'harmonisation fiscale ainsi qu'une forme d'expérimentation.

L'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés est un ensemble unique de règles de détermination du résultat imposable : une société - ou un groupe de sociétés - éligible ne devrait plus se conformer qu'à un seul régime au sein de l'Union pour calculer son résultat imposable, plutôt qu'aux différents régimes propres à chacun des États membres dans lesquels l'activité est exercée. Les sociétés soumises au régime de l'ACCIS auraient la possibilité de ne remplir qu'une seule déclaration fiscale consolidée pour l'ensemble de leurs activités au sein de l'Union, profitant ainsi d'un « guichet unique », celui de l'État membre de leur siège.

Les résultats imposables consolidés de la société seraient ensuite répartis entre chacune de ses entités nationales qui la constituent selon une formule simple de répartition permettant à chaque État membre d'imposer les bénéfices des sociétés résidentes sur son sol, au taux d'imposition choisi par celui-ci, comme c'est le cas aujourd'hui.

A première vue donc, seule la méthode de calcul de l'assiette imposable changerait. Il faut remarquer cependant que l'assiette elle-même pourrait subir quelques variations soit dans sa taille globale soit dans sa répartition entre les différentes entités formant un groupe. Ainsi, dans le cas d'un groupe exerçant son activité dans plusieurs pays membres, l'assiette imposable devrait être ventilée entre ses différents établissements selon une formule de répartition prenant en compte, pour un tiers chacun, le chiffre d'affaires, la main-d'oeuvre (masse salariale et nombre d'emplois) et les immobilisations. Il semble qu'il y ait là l'amorce d'une forme de péréquation qui, si elle ne change qu'à la marge l'assiette imposable globale pour le groupe, peut cependant modifier, de manière plus sensible, l'assiette locale et partant le produit fiscal pour l'État membre d'implantation de telle ou telle filiale.

La Commission avance que « sa proposition n'est pas conçue pour avoir un quelconque effet sur les recettes fiscales » et que les simulations l'auraient prouvé. Cependant la Commission ajoute que l'incidence sur les recettes des États membres dépendra en définitive « des choix stratégiques opérés au niveau national », ce qui en clair signifie que le taux d'imposition restant du ressort de chaque État membre, chacun devra savoir le moduler, si besoin était, en fonction des éventuelles variations de la base taxable pour obtenir le même produit fiscal au final.

La Commission est partie de l'idée que le système actuel est trop coûteux pour les entreprises qui exercent leurs activités dans plusieurs pays de l'Union européenne, car en l'absence de règles communes en matière d'impôt sur les sociétés, l'interaction des régimes fiscaux nationaux entraîne souvent une surimposition et une double imposition des entreprises. Cette situation décourage les investissements dans l'Union européenne et va à l'encontre des priorités fixées par la stratégie « Europe 2020 » pour le marché unique. En harmonisant la base fiscale, la concurrence fiscale devient plus loyale et plus claire puisqu'elle ne se fonde plus que sur les taux d'imposition pratiqués par les États membres.

L'ACCIS serait compatible avec la refonte des régimes fiscaux et le passage à une fiscalité écologique qui favorise la croissance puisqu'il est prévu que tous les coûts liés à la recherche et au développement soient déductibles dans le cadre de l'ACCIS. La Commission fait remarquer d'ores et déjà que malgré cette déduction, l'assiette commune conduirait à une assiette moyenne au niveau de l'Union européenne plus large que l'assiette actuelle, car l'option retenue pour l'amortissement des immobilisations est sans doute moins généreuse et les conditions de constitution et de déduction des provisions sont moins avantageuses.

Enfin la Commission réaffirme que les États membres conservent leurs règles nationales relatives à la comptabilité financière. Elle reconnaît que l'introduction du système facultatif ACCIS suppose la gestion par les administrations fiscales de deux régimes fiscaux distincts, mais elle considère que cet inconvénient est compensé par la simplification de la planification fiscale des entreprises et la baisse du nombre de litiges devant la CJUE ou du nombre de recours à la procédure amiable tels qu'ils sont prévus dans les conventions préventives de la double imposition.

Un nombre significatif de parlements nationaux ont exprimé leur opposition en mettant en avant le non-respect du principe de subsidiarité. Il semble cependant que les critiques de ces parlements traduisent surtout une opposition sur le fond. L'assiette commune étant optionnelle, on ne peut en effet considérer qu'il y a une atteinte au principe de subsidiarité puisque chaque État garde son système propre à côté du système européen.

Partant du principe que la proposition de la Commission poursuit le but de mettre un terme à la double imposition et à la surimposition, certains États membres en concluent à juste titre que l'application de l'ACCIS peut avoir pour conséquence une perte de produit fiscal, difficile à chiffrer mais correspondant au moins à ces surimpositions ou doubles impositions.

En outre, certains États s'interrogent aussi sur la consolidation des résultats qui doit avoir pour conséquence pour les entreprises faisant des bénéfices dans un État et des pertes dans un autre de compenser les uns par les autres et de payer des impôts uniquement sur le montant net.

Enfin, la ventilation de l'assiette entre les différents États membres où le groupe est installé va entraîner des gains de produit fiscal pour les uns et des réductions pour les autres. L'idée que ces variations seraient minimes ou du moins corrigibles grâce à une variation du taux de l'impôt est mal reçue par plusieurs États membres qui souhaitent continuer à afficher un taux d'impôt sur les sociétés attractif et stable. Ces considérations ont conduit bon nombre des États membres à manifester une préférence pour le maintien du statu quo.

Cette prudence s'explique également par le fait que l'impact exact de l'ACCIS sur le revenu fiscal de chaque État membre est loin d'être parfaitement connu, et que la proposition de corriger d'éventuelles variations de ce revenu en modulant le taux d'imposition est vu par certains États membres comme un moyen détourné de les forcer à augmenter leur taux d'imposition et de les priver de leur avantage comparatif.

Votre commission estime au contraire que cette proposition de directive est un progrès appréciable vers l'harmonisation fiscale et elle partage l'esprit de modération et d'expérimentation qui a animé la Commission européenne. Même si votre commission s'interroge sur le caractère optionnel de cette réforme, elle y voit l'amorce d'une meilleure lisibilité de la pression fiscale pesant sur les entreprises et partant l'établissement d'une concurrence fiscale plus loyale, tant il est vrai que le taux nominal de l'impôt sur les sociétés ne saurait traduire le niveau réel d'imposition d'un pays par rapport à un autre quand la base imposable varie d'une pays à l'autre du fait que son mode de calcul est différent.

Votre commission saisit cette occasion pour réitérer son souhait que les taux d'imposition puissent un jour faire l'objet d'un encadrement dans une espèce de « serpent » qui écarterait les taux extrêmes. Je tiens à rappeler aussi la nécessité de faire toutes les études d'impact nécessaires pour s'assurer que la nouvelle assiette n'alourdira pas l'impôt sur les sociétés acquitté sur notre territoire. Enfin cette proposition de directive n'ayant pas reçu un accueil très chaleureux, je signale qu'il sera sans doute nécessaire d'envisager une coopération renforcée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion