Nous avons aujourd'hui deux propositions de résolution à notre ordre du jour. Cela me conduit à faire une remarque générale. Le nombre des résolutions européennes examinées et le plus souvent adoptées par le Sénat augmente. Cela vient en partie de la réforme du Règlement qui a rendu cette procédure bien plus rapide. Mais cela vient aussi, je crois, que nous voyons que cette procédure est utile. Les résolutions européennes sont d'abord un outil de contrôle du Gouvernement. Dès lors que nous lui avons fait connaître nos orientations en temps utile, nous pouvons lui dire : quelle suite avez-vous donnée à nos prises de position ? Nous avons une base pour le contrôle. Par ailleurs, la concertation interparlementaire se développe de plus en plus, et nos partenaires nous demandent quelle est la position du Sénat sur tel ou tel sujet. Lorsqu'il y a une résolution européenne, nous pouvons répondre de façon indiscutable. Mais aussi, dans bien des cas, il faut dire qu'une résolution peut aider à soutenir la position française. Lorsque le Gouvernement peut dire qu'il y a des exigences de son Parlement dont il doit tenir compte, sa position est plus forte vis-à-vis de ses interlocuteurs (qui ne se privent d'ailleurs pas d'utiliser le même argument). Je crois donc que c'est une bonne chose que la procédure des résolutions européennes devienne plus habituelle.
Nous allons examiner en premier lieu une proposition de résolution présentée par notre collègue Pierre Bernard-Reymond et concernant la possibilité de faire entrer dans le droit européen une méthode de calcul de l`assiette taxable à l'impôt sur les sociétés qui serait commune à tous les États-membres : il s'agir du projet de directive dite « ACCIS », c'est-à-dire « assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés ». Je lui donne la parole.
Le 16 mars 2011, la Commission européenne a proposé d'adopter une méthode, commune à tous les États membres, pour calculer l'assiette de l'impôt pesant sur les sociétés actives dans l'Union européenne. En effet, la Commission estime que le seul moyen de lutter contre les entraves fiscales auxquelles se heurtent les entreprises qui opèrent dans plus d'un État membre au sein du marché intérieur est de permettre à ces entreprises d'être imposées sur la base d'une assiette consolidée de l'impôt sur les sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités dans l'Union européenne.
L'objectif de cette proposition de directive est de réduire considérablement la charge administrative, les coûts de mise en conformité et les incertitudes juridiques auxquels les entreprises de l'Union font face pour se conformer à 27 régimes nationaux différents lors de l'établissement de leur bénéfice imposable.
L'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés permettrait aux entreprises de produire leurs déclarations fiscales dans un seul État membre et de consolider les profits et les pertes qu'elles enregistrent dans toute l'Union. Les États membres conserveraient intégralement leur droit souverain en matière de fixation du taux de l'impôt sur les sociétés.
Ce système resterait facultatif pour les entreprises, ce qui ne règlerait donc pas définitivement le problème fondamental que constitue la coexistence de 27 systèmes fiscaux différents, mais la Commission considère que la création d'un 28e régime fiscal optionnel constituerait toutefois un premier progrès vers l'harmonisation fiscale ainsi qu'une forme d'expérimentation.
L'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés est un ensemble unique de règles de détermination du résultat imposable : une société - ou un groupe de sociétés - éligible ne devrait plus se conformer qu'à un seul régime au sein de l'Union pour calculer son résultat imposable, plutôt qu'aux différents régimes propres à chacun des États membres dans lesquels l'activité est exercée. Les sociétés soumises au régime de l'ACCIS auraient la possibilité de ne remplir qu'une seule déclaration fiscale consolidée pour l'ensemble de leurs activités au sein de l'Union, profitant ainsi d'un « guichet unique », celui de l'État membre de leur siège.
Les résultats imposables consolidés de la société seraient ensuite répartis entre chacune de ses entités nationales qui la constituent selon une formule simple de répartition permettant à chaque État membre d'imposer les bénéfices des sociétés résidentes sur son sol, au taux d'imposition choisi par celui-ci, comme c'est le cas aujourd'hui.
A première vue donc, seule la méthode de calcul de l'assiette imposable changerait. Il faut remarquer cependant que l'assiette elle-même pourrait subir quelques variations soit dans sa taille globale soit dans sa répartition entre les différentes entités formant un groupe. Ainsi, dans le cas d'un groupe exerçant son activité dans plusieurs pays membres, l'assiette imposable devrait être ventilée entre ses différents établissements selon une formule de répartition prenant en compte, pour un tiers chacun, le chiffre d'affaires, la main-d'oeuvre (masse salariale et nombre d'emplois) et les immobilisations. Il semble qu'il y ait là l'amorce d'une forme de péréquation qui, si elle ne change qu'à la marge l'assiette imposable globale pour le groupe, peut cependant modifier, de manière plus sensible, l'assiette locale et partant le produit fiscal pour l'État membre d'implantation de telle ou telle filiale.
La Commission avance que « sa proposition n'est pas conçue pour avoir un quelconque effet sur les recettes fiscales » et que les simulations l'auraient prouvé. Cependant la Commission ajoute que l'incidence sur les recettes des États membres dépendra en définitive « des choix stratégiques opérés au niveau national », ce qui en clair signifie que le taux d'imposition restant du ressort de chaque État membre, chacun devra savoir le moduler, si besoin était, en fonction des éventuelles variations de la base taxable pour obtenir le même produit fiscal au final.
La Commission est partie de l'idée que le système actuel est trop coûteux pour les entreprises qui exercent leurs activités dans plusieurs pays de l'Union européenne, car en l'absence de règles communes en matière d'impôt sur les sociétés, l'interaction des régimes fiscaux nationaux entraîne souvent une surimposition et une double imposition des entreprises. Cette situation décourage les investissements dans l'Union européenne et va à l'encontre des priorités fixées par la stratégie « Europe 2020 » pour le marché unique. En harmonisant la base fiscale, la concurrence fiscale devient plus loyale et plus claire puisqu'elle ne se fonde plus que sur les taux d'imposition pratiqués par les États membres.
L'ACCIS serait compatible avec la refonte des régimes fiscaux et le passage à une fiscalité écologique qui favorise la croissance puisqu'il est prévu que tous les coûts liés à la recherche et au développement soient déductibles dans le cadre de l'ACCIS. La Commission fait remarquer d'ores et déjà que malgré cette déduction, l'assiette commune conduirait à une assiette moyenne au niveau de l'Union européenne plus large que l'assiette actuelle, car l'option retenue pour l'amortissement des immobilisations est sans doute moins généreuse et les conditions de constitution et de déduction des provisions sont moins avantageuses.
Enfin la Commission réaffirme que les États membres conservent leurs règles nationales relatives à la comptabilité financière. Elle reconnaît que l'introduction du système facultatif ACCIS suppose la gestion par les administrations fiscales de deux régimes fiscaux distincts, mais elle considère que cet inconvénient est compensé par la simplification de la planification fiscale des entreprises et la baisse du nombre de litiges devant la CJUE ou du nombre de recours à la procédure amiable tels qu'ils sont prévus dans les conventions préventives de la double imposition.
Un nombre significatif de parlements nationaux ont exprimé leur opposition en mettant en avant le non-respect du principe de subsidiarité. Il semble cependant que les critiques de ces parlements traduisent surtout une opposition sur le fond. L'assiette commune étant optionnelle, on ne peut en effet considérer qu'il y a une atteinte au principe de subsidiarité puisque chaque État garde son système propre à côté du système européen.
Partant du principe que la proposition de la Commission poursuit le but de mettre un terme à la double imposition et à la surimposition, certains États membres en concluent à juste titre que l'application de l'ACCIS peut avoir pour conséquence une perte de produit fiscal, difficile à chiffrer mais correspondant au moins à ces surimpositions ou doubles impositions.
En outre, certains États s'interrogent aussi sur la consolidation des résultats qui doit avoir pour conséquence pour les entreprises faisant des bénéfices dans un État et des pertes dans un autre de compenser les uns par les autres et de payer des impôts uniquement sur le montant net.
Enfin, la ventilation de l'assiette entre les différents États membres où le groupe est installé va entraîner des gains de produit fiscal pour les uns et des réductions pour les autres. L'idée que ces variations seraient minimes ou du moins corrigibles grâce à une variation du taux de l'impôt est mal reçue par plusieurs États membres qui souhaitent continuer à afficher un taux d'impôt sur les sociétés attractif et stable. Ces considérations ont conduit bon nombre des États membres à manifester une préférence pour le maintien du statu quo.
Cette prudence s'explique également par le fait que l'impact exact de l'ACCIS sur le revenu fiscal de chaque État membre est loin d'être parfaitement connu, et que la proposition de corriger d'éventuelles variations de ce revenu en modulant le taux d'imposition est vu par certains États membres comme un moyen détourné de les forcer à augmenter leur taux d'imposition et de les priver de leur avantage comparatif.
Votre commission estime au contraire que cette proposition de directive est un progrès appréciable vers l'harmonisation fiscale et elle partage l'esprit de modération et d'expérimentation qui a animé la Commission européenne. Même si votre commission s'interroge sur le caractère optionnel de cette réforme, elle y voit l'amorce d'une meilleure lisibilité de la pression fiscale pesant sur les entreprises et partant l'établissement d'une concurrence fiscale plus loyale, tant il est vrai que le taux nominal de l'impôt sur les sociétés ne saurait traduire le niveau réel d'imposition d'un pays par rapport à un autre quand la base imposable varie d'une pays à l'autre du fait que son mode de calcul est différent.
Votre commission saisit cette occasion pour réitérer son souhait que les taux d'imposition puissent un jour faire l'objet d'un encadrement dans une espèce de « serpent » qui écarterait les taux extrêmes. Je tiens à rappeler aussi la nécessité de faire toutes les études d'impact nécessaires pour s'assurer que la nouvelle assiette n'alourdira pas l'impôt sur les sociétés acquitté sur notre territoire. Enfin cette proposition de directive n'ayant pas reçu un accueil très chaleureux, je signale qu'il sera sans doute nécessaire d'envisager une coopération renforcée.
Merci, cher collègue. Je pense effectivement comme vous que la coopération renforcée est une bonne méthode pour éviter la paralysie. Elle permet de faire bouger les lignes, comme le montre le cas du brevet communautaire, pour lequel nous attendions une solution depuis trente ans : vingt-cinq États sur vingt-sept participent, et pourtant l'Italie cherche encore à bloquer le processus. Sans la coopération renforcée, nous n'aurions aucune chance d'avancer.
Je rejoins notre collègue sur les avantages qu'apportera ACCIS et sur la possibilité d'atteindre à terme une harmonisation des taux : c'est pourquoi j'approuve la démarche de la Commission, mais sa proposition de directive a reçu un mauvais accueil et le chemin sera long. Dans cet esprit, j'ai déposé une proposition de loi pour corriger le système français : nous avons un taux d'IS facial très élevé d'environ 36 %, mais les grosses entreprises françaises globalisées payent 8 %. Cela démontre que l'inégalité d'appréciation des assiettes ne permet pas, à elle seule, de juger clairement d'une situation fiscale et qu'il existe d'autres facteurs importants d'iniquité fiscale. Naturellement je regrette que la Commission propose la création d'un 28ème régime au lieu d'un régime unique, ce qui rend cette proposition frileuse, mais c'est un premier pas.
Grâce à plusieurs dispositifs comme le crédit d'impôt-recherche ou le régime Coppé sur les plus-values lors des cessions des filiales. Les PME, qui sont moins financiarisées ou ne bénéficient pas des meilleurs conseils en optimisation fiscale, ne peuvent pas avoir recours à ces dispositifs. Dans la pratique, les niches fiscales créent de grandes inégalités.
Mais pourquoi Peugeot s'installe-t-il en Slovaquie où le taux d'IS est de 14% alors qu'il pourrait payer 8 % en France ? Ce ne peut être que parce que le coût du travail est nettement moins cher en Slovaquie !
La fiscalité sur les sociétés n'est pas le seul aspect pris en compte par de tels groupes. D'ailleurs, d'autres pays pratiquent les « niches fiscales ». Mais je peux citer un autre exemple parlant : Total fait 11 milliards d'euros de bénéfices et ne paye pratiquement pas d'impôt en France.
Il est certain que les groupes de taille mondiale ont tendance à optimiser la localisation des bénéfices. Le groupe que vous citez paye des impôts dans les autres pays où il est implanté. Ses bénéfices sont peu réalisés en France.
Je m'inquiète que ce 28ème régime puisse devenir une niche fiscale de plus : qui le choisira sinon les entreprises qui seront finalement gagnantes ? Je suis sceptique, voire réservé. Ce sont peut-être des petits pas vers l'harmonisation, mais alors de très petits pas.
Les Hollandais sont opposés à ce projet de directive parce que ce dispositif introduit plus de transparence, ce dont ils ne veulent pas dans la mesure où la Hollande pratique un taux d'IS négocié au cas par cas avec les grandes entreprises qui souhaitent s'installer sur son territoire. C'est donc en cela qu'ACCIS est quand même une avancée.
Effectivement c'est ce qui s'est passé lorsque M. Louis Schweizer a installé la nouvelle entité Renault-Nissan en Hollande à la grande surprise du Premier ministre d'alors, M. Lionel Jospin.
On pourrait également citer les entreprises américaines en Irlande. La construction européenne est en train de se gripper, notamment parce que la crise fait renaître les réflexes nationaux, et même si l'Europe a toujours progressé par petits pas, ces petits pas sont de plus en plus petits ; mais c'est mieux que rien et c'est pour cela que nous devons nous montrer favorables à ce projet de directive : si ce 28e régime est attractif, il deviendra un jour la règle commune.
Je connais le proverbe selon lequel tous les grands voyages commencent par un pas : encore faut-il que la direction soit la bonne ! J'aimerais en être sûr dans ce cas.
À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a conclu à l'unanimité au dépôt de la proposition de résolution suivante, parue sous le numéro 580 :
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de directive du Conseil (E 6136) concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS),
Considérant qu'en raison des différences considérables qui existent entre les régimes fiscaux nationaux dans l'Union européenne, les entreprises se heurtent à de nombreuses difficultés pour exercer leurs activités dans plusieurs États membres et qu'ainsi elles peinent à tirer pleinement parti du marché unique mis en place pour garantir la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux ;
Considérant que, faute d'une méthode de calcul unique de l'assiette imposable et faute de la possibilité de consolider leurs résultats, les entreprises exerçant leurs activités sur le territoire de l'Union, sont souvent confrontées à la surimposition et à la double imposition et que l'ACCIS leur permettra de réaliser des économies importantes ;
Considérant que la situation actuelle décourage les investissements dans l'Union et qu'elle va à l'encontre des priorités établies par l'Union dans sa communication « Europe 2020 - Une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusive » ;
Considérant enfin qu'une concurrence fiscale déloyale en matière de taxation des bénéfices des entreprises nuit à l'emploi et à la croissance en Europe ;
approuve dans son esprit la démarche de la Commission telle que contenue dans sa proposition de directive ;
juge que cette proposition de directive est une étape importante et positive dans l'établissement progressif d'une harmonisation fiscale européenne ;
estime que l'ACCIS constitue le pendant indispensable à la future société de droit européen ;
s'interroge sur la faculté laissée aux sociétés d'opter pour l'ACCIS ou de se maintenir dans le système actuel dans la mesure où ce choix compliquera la tâche des services fiscaux et surtout dans la mesure où la concurrence fiscale entre les États membres ne peut être lisible et loyale que si les taux d'imposition comparée s'appliquent à des bases identiques ;
considère que les taux d'imposition des sociétés variant du simple au triple dans l'Union européenne, il conviendrait d'envisager, à terme, une fourchette moyenne plus resserrée, écartant les extrêmes ;
demande au Gouvernement de s'assurer que, le taux d'imposition sur les sociétés étant un des plus élevés en France, la méthode de calcul de l'assiette imposable proposée par la Commission qui élargit sensiblement cette assiette par rapport à la méthode actuellement pratiquée en France, n'ait pas pour conséquence d'alourdir l'impôt sur les sociétés payé sur notre territoire ;
Le 14 novembre 2001, les membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont adopté une déclaration ministérielle qui lançait le neuvième cycle de négociations commerciales multilatérales, baptisé « agenda de Doha pour le développement ». Les négociations se sont poursuivies : Cancun en 2003, Hongkong en 2005... Genève en 2008 : l'ensemble des résultats alors obtenus, désigné comme le « paquet de juillet », reste la base des discussions actuelles.
Réunis à Séoul en novembre 2010, les pays du G20 ont exprimé le souhait que les négociations du cycle de Doha puissent se conclure en 2011 : cette année offre une fenêtre d'opportunité cruciale, bien qu'étroite, pour obtenir ce succès, car les élections prévues dès 2012 et 2013 dans plusieurs grands États risquent de repousser la finalisation des négociations à beaucoup plus tard. Or, malgré de nombreuses déclarations encourageantes, encore dernièrement à Deauville lors du G8, cette dynamique semble aujourd'hui s'essouffler.
Dans ce contexte incertain, je crois qu'il serait opportun que nous rappelions quelles priorités devraient être mises en avant par la France dans la mise en oeuvre de la politique commerciale commune. J'en vois trois : sauver les négociations multilatérales sans sacrifier l'agriculture européenne, miser sur la différenciation entre pays en développement et promouvoir la réciprocité dans les échanges commerciaux.
1. Sauver les négociations multilatérales sans sacrifier l'agriculture européenne
Peut-on encore sauver les négociations multilatérales ?
Selon le Directeur général de l'OMC, Pascal Lamy, le volet agricole de la négociation est bouclé « à 90 % ». En revanche, c'est dans le domaine des produits industriels que les difficultés persistent.
En cette matière, il existe deux méthodes de négociation : soit la méthode par « formule », qui revient à appliquer une formule de réduction à l'ensemble des tarifs douaniers industriels, soit la méthode par « secteur », qui permet de négocier secteur par secteur des concessions réciproques et de maintenir certains pics tarifaires. L'enjeu de la méthode sectorielle repose alors sur le degré de symétrie des concessions faites par les pays développés et ceux en développement : les États-Unis plaident pour le « zéro pour zéro », méthode dont l'objectif est de parvenir à des droits nuls indépendamment du point de départ de la négociation dans chacun des pays ; mais une variante asymétrique du « zéro (dans les pays développés) pour x (dans les pays en développement) » est défendue par les pays en développement.
L'Union européenne a soumis fin avril 2011 un compromis baptisé « formule plus », qui repose sur une formule, complétée par des concessions supplémentaires sur certains secteurs, pouvant aller jusqu'au « zéro pour zéro ». Mais le jeu des principaux acteurs de la négociation semble bloqué, selon M. François Riegert, délégué permanent de la France auprès de l'OMC : ainsi, les États-Unis jugent que les rapports de force mondiaux ne sont plus les mêmes qu'à Doha, au lendemain du 11 septembre 2001. Ils considèrent que les pays en développement les plus avancés doivent contribuer à hauteur de leur responsabilité nouvelle à ce cycle de développement. Or, depuis l'accession à la présidence, fin 2010, de Mme Dilma Rousseff, tenante d'une politique industrielle volontariste, le Brésil semble moins disposé à faire des concessions sur la négociation relative à l'accès au marché des produits non agricoles. Pour sa part, la Chine considère avoir payé le prix fort lors de son accession à l'OMC en 2001 quand elle a réduit le niveau de ses droits de douane consolidés au niveau de ses droits de douane effectifs. L'Inde, elle, accorde priorité à l'agriculture et à ses intérêts offensifs sur les services.
Dans ce contexte, un accord à l'OMC ne pouvant porter que sur l'ensemble des volets de la négociation (agriculture, services et produits industriels) et exigeant l'unanimité des pays membres, il paraît extrêmement difficile à obtenir. Avouons que la probabilité d'une conclusion du cycle à la conférence ministérielle de l'OMC de décembre 2011 est faible aujourd'hui.
Si une issue devait être trouvée, trois principes directeurs devraient guider l'UE :
d'abord, réaffirmer l'attachement au mutlilatéralisme : la conclusion du cycle multilatéral aurait un impact positif sur l'économie mondiale, peut-être modeste, d'environ 1 % du PIB mondial, mais qui serait gratuit pour les finances publiques ! A contrario, une absence de conclusion du cycle de Doha représenterait un préjudice important, en raison de ce manque à gagner, mais aussi parce qu'un tel scénario marquerait un coup d'arrêt au système multilatéral. Le multilatéralisme, déjà menacé par la multiplication des accords bilatéraux et régionaux durant la dernière décennie, risque d'y perdre sa légitimité. Si le cycle de Doha n'aboutissait pas, le règlement des différends et l'examen des politiques commerciales des États membres continueraient évidemment d'exister. Mais l'organe de règlement des différends (ORD) de l'OMC pourra-t-il longtemps faire appliquer des règles qui, adoptées il y a près de vingt ans, apparaîtront de plus en plus obsolètes ? Il est pourtant fondamental de préserver ces mécanismes de régulation du commerce multilatéral à l'heure où la crise économique nourrit les tentations protectionnistes. Si Doha se soldait par un constat d'échec en raison d'un clivage Nord-Sud, cela mettrait à mal les autres négociations systémiques, comme celles sur le climat par exemple. C'est pour ces raisons que le Sénat doit rappeler son attachement au multilatéralisme.
ensuite, il importe de préserver les chances de l'agriculture européenne. Pour cela, il faut stabiliser le « paquet agricole ». L'Union européenne (UE) peut s'accommoder du paquet agricole sur la table mais elle ne peut pas accorder davantage de concessions sur le plan agricole.
Le compromis trouvé en 2008 en matière agricole inclut une réduction des soutiens internes aux agriculteurs, qui est acceptable pour l'UE grâce à la réforme de la PAC de 2003. En ce qui concerne la « boîte verte » (aides non distorsives pour le commerce), le texte introduit des disciplines qui, d'une part, permettent de sécuriser le système actuel de paiement unique de l'UE (aides découplées mises en place en 2003) et, d'autre part, encadrent les pratiques américaines.
Sur le volet « concurrence à l'exportation », le projet entérine la suppression des subventions à l'export en 2013. L'UE est la première concernée par cette mesure mais le coût de l'élimination des restitutions, versées aux exportateurs pour compenser la différence entre le prix des produits sur le marché communautaire et le prix mondial, devrait au total être limité pour l'UE, sauf pour certaines filières qui utilisent encore cet instrument : les produits laitiers, le sucre, la volaille...
Ce sont les dispositions sur « l'accès au marché », à savoir la baisse des droits et la hausse des contingents, qui sont les plus délicates pour l'UE : les dispositions la concernant sont aujourd'hui beaucoup plus proches des demandes du G20 qui réunit les pays en développement offensifs sur le plan agricole. C'est dans ce volet de la négociation agricole que se situent la plupart des paramètres restant à trancher.
Certes, les lignes rouges de la France semblent aujourd'hui respectées : ainsi, les produits sensibles, c'est-à-dire ceux pouvant bénéficier d'une réduction tarifaire amoindrie, sont pris en compte, la clause de sauvegarde est maintenue pour certaines lignes tarifaires... Mais différentes questions restent néanmoins à clarifier, mettant en jeu l'avenir du système européen des prix d'entrée pour les fruits et légumes, le traitement réservé au sucre... En tous ces domaines, la vigilance reste de mise : les options extrêmes doivent absolument être écartées pour préserver nos filières agricoles les plus sensibles.
Plus les discussions à l'OMC vont tarder à reprendre de manière significative, plus la pression de nos partenaires commerciaux pourrait s'intensifier. Il n'est pas impossible que l'UE soit ainsi conduite à dégager de nouvelles marges de manoeuvre, en plus de celles permises par la réforme de 2003, notamment si le mandat actuel de la Commission venait à être remis en cause dans les discussions intracommunautaires qu'occasionnera dans les prochains mois le débat sur le cadre financier pluriannuel de l'UE et sur la future PAC.
troisième enjeu d'une conclusion rapide de Doha : ne pas céder au bilatéralisme. Le Brésil compte parmi les pays les plus offensifs et critiques vis-à-vis des positions agricoles de l'UE : les négociations UE / Mercosur ont repris après cinq ans de suspension et le Brésil cherche à obtenir des concessions cumulées de l'UE en bilatéral et en multilatéral. La filière bovine est particulièrement menacée : la France produit plus de 20 % de la viande bovine européenne et l'exporte essentiellement vers le marché communautaire. Elle est également le premier consommateur européen de viande bovine.
Le Brésil et l'Argentine fournissent d'ores et déjà 90 % des importations de viande bovine de l'UE mais l'essentiel de ces importations est soumis à des droits de douane très élevés. C'est pourquoi le Brésil souhaite obtenir des concessions commerciales importantes, notamment une hausse des contingents à droit préférentiel.
En 2004, l'offre européenne proposée au Mercosur consistait en deux tranches de contingents, la première destinée à être accordée à l'entrée en vigueur de l'accord de libre-échange, la seconde en fonction du résultat du cycle de Doha. Compte tenu du peu de progrès du cycle multilatéral, le risque est que le Mercosur ne se contente pas de cette proposition en deux temps et demande à l'UE d'augmenter le niveau initial de son offre bilatérale. Dans le pire scénario, l'UE paierait deux fois, d'une part dans le cadre bilatéral, d'autre part dans le cadre multilatéral. La filière bovine française risquerait alors une perte de revenu équivalant à près de 9 % de son chiffre d'affaires.
Deuxième impératif pour la politique commerciale commune : promouvoir une différenciation entre « pays en développement » (PED). Les PED ne font l'objet ni d'une définition, ni de sous-catégorisations qui permettraient de différencier et de couvrir spécifiquement les pays émergents, en forte croissance. Seuls les Pays les Moins Avancés (PMA) sont définis et recensés sur la base de dispositions des Nations-Unies. Ainsi, ce sont les membres de l'OMC eux-mêmes qui se désignent PED.
La question de la différenciation entre PED se pose évidemment à l'OMC, mais l'UE peut également avancer sur cette piste au travers des accords de libre-échange qu'elle négocie et grâce à la réforme de son Système de Préférences Généralisées (SPG).
À l'OMC, la montée en puissance des pays émergents, grands exportateurs mondiaux, rend de moins en moins légitime leur revendication à bénéficier, dans les mêmes conditions que tous les PED, d'un Traitement Spécial et Différencié (TSD) : les règles actuelles de l'OMC prévoient en effet que les PED fassent l'objet d'un traitement spécial et différencié qui vise à accroître leurs possibilités commerciales, préserver leurs intérêts, rendre plus flexibles leurs engagements, leur octroyer des périodes de transition ou une assistance technique.
L'absence de différenciation entre PED conduit à deux conséquences concrètes : d'une part, elle conduit naturellement les pays développés à tenter de limiter le nombre et la portée des dispositions de TSD, au détriment des PED qui en auraient réellement besoin, de crainte qu'elles ne bénéficient avant tout aux grands émergents ; d'autre part, elle contribue au blocage du Cycle de Doha depuis 2008. D'un côté, les États-Unis contestent la revendication des grands émergents d'appliquer les flexibilités prévues pour les PED ; de l'autre, les émergents sont d'autant moins incités à conclure le cycle qu'ils sont déjà protégés par les dispositions actuelles du TSD.
Il convient donc de rechercher, dans la substance des négociations en cours, des dispositions concrètes de différenciation entre pays en développement en approfondissant les engagements spécifiques des pays émergents pour les produits industriels et les services. De même, s'agissant des périodes de transition, la Chine ne devrait pas pouvoir bénéficier des mêmes périodes de transition que d'autres pays, beaucoup plus vulnérables, ayant rejoint récemment l'OMC. Enfin, les principales économies (y compris émergentes) devraient être couvertes, comme le proposent les projets actuellement sur la table, par l'obligation d'accorder un libre accès aux produits des pays les plus pauvres, sur le modèle du régime « Tout sauf les armes » européen.
Dans cette optique, les efforts de l'UE en vue d'une différenciation accrue des PED devront rechercher le soutien des pays les moins développés, qui sont eux-mêmes concurrencés par les pays émergents sur les marchés internationaux.
C'est aussi dans le cadre des accords de libre-échange négociés avec des PED que l'UE doit tenir compte de leur degré de développement. Avec des pays émergents comme l'Inde, l'UE doit ainsi exiger un niveau ambitieux d'engagements en matière de services et d'investissements, de marchés publics, de protection de la propriété intellectuelle.
La réforme du système de préférences généralisées (SPG) de l'UE fournit également l'opportunité d'opérer une différenciation entre les PED. En accordant ce même régime de concessions unilatérales à tous les PED, l'UE diminue l'effet positif relatif du SPG pour les PED concurrencés par les émergents. En outre, en offrant sans contrepartie cet avantage à des pays avec lesquels elle souhaite par ailleurs conclure des accords de libre-échange, l'UE se prive d'un levier dans ses négociations bilatérales : en effet, les pays émergents (comme l'Inde) n'ont pas intérêt aujourd'hui à faire des concessions à l'UE, puisqu'ils accèdent déjà largement au marché communautaire. C'est pourquoi il convient que le SPG soit revu et concentré sur les pays qui en ont le plus besoin.
Troisième priorité qui doit s'imposer à la politique commerciale commune : promouvoir la réciprocité dans les échanges. Cet esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel, déjà mis en avant par le commissaire Barnier dans sa communication « Vers un acte pour le marché unique », figure désormais officiellement dans la stratégie commerciale de l'UE présentée en novembre 2010 par le commissaire de Gucht.
Le régime « SPG+ » y contribue déjà puisqu'il conditionne l'octroi d'avantages commerciaux très substantiels au respect de normes en matière de protection des droits de l'homme, de droits des travailleurs ou de l'environnement que l'UE respecte elle aussi.
Sans doute cet instrument répondrait-il mieux à sa vocation si la liste de ses bénéficiaires était gérée de manière moins procédurale et plus réactive et si le respect effectif des conventions internationales concernées faisait l'objet d'un réel suivi. Mais il est en tout état de cause souhaitable d'élargir la portée de cet outil au service d'une plus grande réciprocité dans les échanges commerciaux de l'UE.
D'ailleurs, par rapport au SPG européen, le SPG américain inclut clairement une exigence de réciprocité concernant le comportement des pays bénéficiaires à l'égard des intérêts américains.
L'UE gagnerait particulièrement à faire valoir cet impératif de réciprocité en ce qui concerne l'accès aux marchés publics européens : l'ouverture unilatérale des marchés publics européens pénalise les entreprises européennes sur le marché communautaire. Et cela nuit clairement à la capacité de négociation de l'UE dans ce domaine.
Un instrument de réciprocité permettrait de réserver l'accès des entreprises étrangères à la commande publique dans l'UE aux seules entreprises des États envers lesquels l'UE est engagée et, si le marché est visé par une clause de réciprocité, à la seule condition d'un accès réciproque aux marchés publics du partenaire.
Suite à une initiative française, la Commission européenne travaille à une proposition législative qui devrait assurer l'ouverture des marchés publics des pays tiers. Il s'agirait de transposer en droit interne les engagements internationaux de l'UE, mais aussi de créer un nouvel instrument pour activer au cas par cas des fermetures ciblées portant sur des pays et secteurs où l'UE n'a pas d'engagements internationaux. Les appels d'offre remportés par la Chine en Europe de l'Est, dans le secteur ferroviaire, favorisent déjà une évolution sur cette question de la réciprocité. Mais l'existence d'une majorité au sein du Conseil en faveur d'un tel dispositif n'est pas acquise. Il convient donc d'encourager le Gouvernement à persévérer dans ce travail de promotion du principe de réciprocité dans les relations commerciales de l'UE, principe légitime et prometteur au bénéfice des entreprises et de l'emploi en Europe.
Je vous soumets donc cette proposition de résolution, que les circonstances nous obligent à examiner un peu rapidement, ce dont je vous prie de m'excuser : des contacts avec le Ministre Pierre Lellouche et l'hypothèse d'une conclusion hâtive du cycle de Doha m'ont laissé penser que notre commission ne devait pas tarder à se positionner. D'autant que la commission de l'économie, compétente sur le fond, doit pouvoir disposer d'un délai correct pour se pencher sur le sujet avant l'interruption des travaux mi-juillet.
Et je souhaite bien sûr que notre résolution reflète la position de toute la commission et je suis naturellement tout à fait ouvert aux amendements que vous souhaiteriez y apporter.
Je me retrouve dans cette proposition de résolution qui rappelle opportunément certaines préoccupations essentielles à la veille d'échéances importantes pour les négociations commerciales.
J'ai bien entendu votre suggestion d'opérer une différenciation entre les pays bénéficiaires du système de préférences généralisées de l'Union européenne. Mais sur quels critères opérer cette différenciation ?
L'idée serait de distinguer entre les pays selon leur degré d'insertion dans le commerce mondial.
À l'issue de ce débat, la commission des affaires européennes a conclu à l'unanimité au dépôt de la proposition de résolution suivante, parue sous le numéro 581 :
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la communication de la Commission européenne du 9 novembre 2010 : « La politique commerciale au coeur de la stratégie Europe 2020 »,
Vu les conclusions du Conseil européen du 16 septembre 2010 et du 21 décembre 2010,
Vu la résolution du Parlement européen du 9 mars 2011 sur une politique industrielle à l'ère de la mondialisation,
Considérant que l'année 2011 constitue une fenêtre d'opportunité cruciale mais étroite pour la conclusion des négociations commerciales multilatérales ouvertes à Doha en 2001,
Considérant qu'un échec du cycle de Doha représenterait un préjudice important, non seulement pour l'économie mondiale mais aussi pour le multilatéralisme,
Considérant que l'absence de différenciation entre les pays en développement contribue au blocage des négociations depuis 2008 et à la perte de légitimité de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC),
Invite le Gouvernement à agir au sein du Conseil de l'Union européenne en vue des objectifs suivants :
l'Union européenne doit réaffirmer son attachement au système commercial multilatéral ;
les concessions sur le plan agricole ne sauraient aller au-delà de celles déjà consenties en 2008, sous peine de mettre en péril les filières agricoles européennes les plus sensibles ;
l'Union européenne ne doit en aucun cas cumuler les concessions, notamment pour la filière bovine, dans les cadres multilatéral et bilatéral au cas où un accord de libre-échange avec le Mercosur serait conclu avant l'aboutissement du cycle de Doha ;
l'Union européenne doit promouvoir une différenciation entre les « pays en développement » dans les négociations à l'OMC, mais aussi dans les accords de libre-échange qu'elle négocie et au travers de la réforme de son système de préférences généralisées (SPG), afin que les plus grandes concessions accordées par l'UE bénéficient aux pays qui en ont le plus besoin ;
Je vous demande encore un instant d'attention. Le Gouvernement nous demande de lever la réserve d'examen parlementaire concernant un texte européen qui est de nature technique.
Ce texte, qui porte le numéro E 6272, concerne des modifications à apporter au cahier des charges du réseau de consultation Schengen, qui permet aux États membres d'échanger des informations sur des demandes de visas présentées par les ressortissants de certains pays tiers.
Il s'agit à la fois de modifier la présentation des formulaires de consultation et de prendre en compte la liste mise à jour des codes à trois lettres utilisés par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) qui sert à désigner les États, entités ou territoires de provenance.
C'est donc un texte de portée très réduite et je crois que nous serons tous d'accord pour lever la réserve d'examen parlementaire.
Il en est ainsi décidé.