Monsieur Leconte, l'exemple du Liban est souvent cité. C'est plutôt un contre-exemple : à force de recevoir une quantité incroyable de migrants, il est au bord de l'implosion. La Turquie est un pays majeur, qui accueille environ deux millions de réfugiés sur son sol. J'ai été atterré d'apprendre qu'au moment même où le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, prônait la générosité envers les migrants à la tribune de l'ONU, le programme alimentaire mondial (PAM) diminuait de 90 % son financement aux camps turcs ! Il y a un défaut de cohérence. La première nécessité, si l'on veut stabiliser les camps de réfugiés, est d'y assurer des conditions décentes, ce qui n'est pas possible avec une telle diminution du financement du PAM.
Beaucoup de réfugiés viennent de Syrie, qui est un pays en guerre, mais nous enregistrons aussi beaucoup de gens venus d'Irak, du Pakistan, d'Afghanistan, des zones certes déstabilisées mais où leur vie n'est peut-être pas en danger. Les réfugiés qui fuient la Syrie craignent pour leur vie. Ils passent ensuite par la Turquie, puis par la Grèce, par la Macédoine, la Serbie. Tous ces pays sont sûrs. Ils ne fuient plus les persécutions mais poursuivent un autre objectif. À quel moment un réfugié politique devient-il un migrant économique ? Ils estiment qu'en Allemagne ou en Suède, les allocations ou les conditions sont très supérieures à ce que la Hongrie ou la Serbie peuvent leur offrir.
Le règlement de Dublin, que nous respectons, ne fonctionne pas concrètement. Le mois dernier, certains pays ont prétendu renvoyer 20 000 migrants en Hongrie. Nous les attendons toujours. Les personnes concernées, inscrites sur des listes, se sont égayées dans la nature au lieu de se présenter à la gare en Allemagne.
Vous évoquez les affiches en hongrois. Nous sommes en Hongrie. Croyez-vous vraiment que les migrants ne les comprennent pas ? Les téléphones sont équipés de logiciels de traduction, les passeurs sont là. Les migrants ont parfaitement compris le message.
Lorsqu'un migrant se présente à la frontière hongroise, on l'enregistre en lui demandant de décliner son identité, en prenant sa photo ainsi que ses empreintes digitales pour la base de données Eurodac. Ensuite, le migrant doit dire s'il dépose une demande d'asile, ce qu'ils font tous, sous peine d'être renvoyés à la frontière. Aucun migrant ne souhaitant rester en Hongrie et les centres d'accueil étant ouverts, il disparaît avant même que sa demande ne commence à être instruite. Si nous accordons très peu de demandes d'asile, c'est que les intéressés ne sont plus là : 95 % des dossiers sont clos pour cause de disparition de l'intéressé, qui est peut-être déjà dans un camion frigorifique à la frontière autrichienne.
La courbe du nombre de migrants du 1er septembre au 15 octobre montre une montée en régime, jusqu'à 10 000 personnes par jour, juste avant l'érection de la clôture. Puis leur nombre a été très bas pendant trois jours, le temps pour les passeurs de réfléchir à un nouveau circuit, par la Croatie. Il a repris ensuite, à un rythme de 7 000 à 8 000 personnes par jour. Désormais, seules quelques dizaines de personnes par jour traversent la frontière avec la Serbie, par les points de passage officiels. La Croatie, en tant que membre de l'Union européenne - mais non de Schengen - est tenue d'enregistrer les réfugiés. Nous estimons qu'ils l'ont été et les installons dans des trains jusqu'à la frontière autrichienne, qu'ils franchissent à pied. Ils sont alors pris en charge par les Autrichiens et installés dans d'autres trains, pour Vienne ou Munich. Tout dépend de la bonne volonté des Autrichiens et des Allemands. Quand ils y mettront un coup d'arrêt, il faudra bien agir à la frontière croate...
Il est évident que le problème doit être traité à la source. Les images choquantes sont savamment choisies par une certaine presse. On pourrait en trouver de tout aussi choquantes à Calais ou en Allemagne, où l'on met le feu à des centres d'hébergement.... C'est hélas inévitable.