Intervention de Pierre Bernard-Reymond

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 juin 2011 : 1ère réunion
Examen de la proposition de résolution n° 582 de m. richard yung et des membres du groupe socialiste et apparentés sur la révision de l'acquis schengen rapport de m. robert del picchia

Photo de Pierre Bernard-ReymondPierre Bernard-Reymond :

Notre collègue Robert del Picchia ne pouvant nous rejoindre qu'un peu plus tard, il m'a demandé de vous donner communication de son rapport.

1. Rappel du contexte

L'espace Schengen est un espace de libre circulation dans lequel les États signataires ont aboli toutes leurs frontières internes pour une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d'entrée selon des procédures identiques. Des règles et des procédures communes sont appliquées en particulier dans le domaine des visas pour séjours de courte durée et des contrôles aux frontières.

Afin de garantir la sécurité au sein de l'espace Schengen, la coopération et la coordination entre les services de police et les autorités judiciaires ont été renforcées. La coopération Schengen a été intégrée au cadre juridique de l'Union européenne par le traité d'Amsterdam en 1997. L'espace Schengen s'est peu à peu étendu à la quasi-totalité des États membres. Chypre ayant demandé un délai supplémentaire, la Bulgarie et la Roumanie sont les derniers nouveaux États membres à faire l'objet d'une procédure d'évaluation en vue de leur entrée dans l'espace Schengen.

La décision des autorités italiennes de délivrer aux Tunisiens arrivés clandestinement en Italie entre les mois de janvier et d'avril 2011 des titres de séjour provisoires pour raisons humanitaires d'une durée de six mois a soulevé une polémique sur la possibilité, pour les titulaires du titre de séjour, de circuler librement dans l'espace Schengen ainsi que sur le manque de solidarité intra européenne en matière de gestion des flux migratoires.

Par une lettre conjointe en date du 26 avril 2011, le président de la République et le président du Conseil des ministres italien ont saisi la Commission européenne, demandant plusieurs aménagements, tant des règles applicables à l'espace Schengen (code frontières Schengen) que de la politique commune en matière d'immigration et d'asile. Le Conseil Justice et affaires intérieures s'est réuni le 12 mai 2011. Il a examiné la communication de la Commission européenne sur les migrations du 4 mai, qui avait fait suite aux demandes françaises et italiennes d'adapter la politique européenne en matière de migration. Un conseil européen se tiendra sur le sujet de l'espace Schengen le 24 juin.

L'attention se focalise notamment sur la possibilité de restaurer les contrôles systématiques aux frontières intérieures en cas d'afflux massif d'immigrants ou en cas de défaillance d'un État membre dans la surveillance des frontières extérieures dont il a la charge (clause de sauvegarde). Actuellement, sauf cas d'urgence, la clause de sauvegarde ne peut être actionnée qu'en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure.

La communication de la Commission européenne va au-delà de la seule question des contrôles aux frontières et porte également sur la mise en oeuvre d'une véritable politique européenne de l'immigration et de l'asile ainsi que sur la mutualisation des moyens humains et matériels des États membres. Elle devrait être suivie de propositions détaillées.

2. Que demande la proposition de résolution ?

Tout d'abord, elle rappelle l'attachement au principe de la liberté de circulation et à l'espace sans frontière de Schengen. Ensuite, elle s'oppose à toute modification de l'acquis Schengen tendant à l'élargissement des clauses dites de sauvegarde, qui permettent aux États membres de rétablir des contrôles aux frontières intérieures.

Les auteurs de la proposition considèrent que la réintroduction de contrôles temporaires aux frontières intérieures en cas de défaillance d'un État membre à contrôler son segment de frontière extérieure ou en raison d'une pression migratoire illégale forte, imprévue mais non extraordinaire, constitue une remise en cause de l'acquis Schengen et, par là-même, de la liberté de circulation.

Ils condamnent le rétablissement des contrôles à ses frontières intérieures par un État membre sur la base d'une décision unilatérale. Ils demandent l'application de sanctions contre les irrégularités graves constatées dans l'application de l'acquis Schengen.

La proposition demande, par ailleurs, aux États membres d'accepter la communautarisation du système de l'évaluation de l'application des règles Schengen. Elle souligne la nécessité d'un contrôle parlementaire et démocratique de l'agence européenne Frontex. Enfin, elle estime que le débat autour de la révision de la réglementation Schengen ne doit pas être instrumentalisé par les États membres pour retarder l'entrée dans l'espace Schengen de la Roumanie et de la Bulgarie, qui remplissent désormais les critères techniques demandés aux autres États membres parties prenantes.

3. Quelle appréciation pouvons-nous porter ?

Nous ne pouvons que partager l'attachement au principe de liberté de circulation. Nous pouvons aussi souscrire pleinement à l'idée que l'espace Schengen est l'une des réalisations les plus concrètes de l'Union européenne. Je relève que cette position est aussi partagée par le Gouvernement qui a clairement indiqué qu'il s'agissait de réformer Schengen et non de le remettre en cause.

De même, je peux rejoindre les auteurs de la proposition de résolution sur le renforcement des mécanismes d'évaluation qui sont un facteur essentiel de confiance mutuelle entre les États membres, et sur la nécessité du contrôle parlementaire de l'agence Frontex.

Pour le reste, j'avoue avoir une forte divergence d'appréciation avec les auteurs de la proposition de résolution. Être attaché à Schengen, cela implique aussi de veiller à ce que cet espace fonctionne de manière efficace et qu'ils reçoivent la confiance de nos concitoyens sur la réalité du contrôle de nos frontières. En particulier, il me paraît légitime de réfléchir aux conditions de mise en oeuvre des clauses de sauvegarde. Les propositions faites par la Commission européenne me paraissent une bonne base de discussion pour faire évoluer le cas échéant les règles en vigueur afin de les adapter aux réalités. Il ne me paraît donc pas souhaitable de les écarter a priori comme le fait la proposition de résolution.

Il faut bien sûr intégrer cette réflexion dans un cadre plus large d'une véritable politique européenne de l'immigration et de l'asile. Il faut aussi renforcer la mutualisation des moyens entre les États membres et les capacités opérationnelles de l'agence Frontex.

Enfin, si la Bulgarie et de la Roumanie on vocation à intégrer l'espace Schengen, cela n'est envisageable que si toutes les conditions sont réunies en particulier pour assurer un contrôle efficace et sûr des frontières extérieures. Il y a là un enjeu essentiel auquel nos concitoyens sont légitimement attentifs. On ne peut donc se fonder sur les seuls critères techniques. Il faut avoir toutes les assurances sur ce point crucial. Or je rappelle que ces deux pays font encore l'objet d'un mécanisme de coopération et de vérification sur les questions de justice et d'affaires intérieures qui, jusqu'à présent n'a pas montré des progrès décisifs notamment sur la lutte contre la corruption. Nous devons donc être ouverts mais aussi vigilants sur l'évolution de ce dossier.

Toutes ces questions sont très importantes. C'est pourquoi notre commission des affaires européennes a mis en place avec son homologue de l'Assemblée nationale un groupe de suivi des accords de Schengen. Ce groupe s'est réuni une première fois à l'Assemblée nationale le 31 mai. Il se réunit à nouveau aujourd'hui ici-même. En particulier, il lui revient d'examiner les conditions de mise en oeuvre des clauses de sauvegarde et de réfléchir à la nécessaire mutualisation des moyens.

A travers les auditions qu'il conduit, le groupe de suivi va recueillir des informations très utiles et forger des éléments d'appréciation qu'il soumettra à notre commission. Celle-ci pourra alors examiner sereinement les propositions qui seront faites. Elle le fera, j'en suis sûr, animée par la volonté de consolider Schengen et non pas d'affaiblir cet espace de libre circulation.

Outre mon désaccord sur le fond avec plusieurs affirmations contenues dans la proposition de résolution, il me paraît donc nécessaire de laisser le groupe de suivi poursuivre ses travaux sans préjuger de ses conclusions. Chacun pourra se forger son opinion sur les conditions de fonctionnement de l'espace Schengen et faire valoir son point de vue.

Pour l'ensemble de ces motifs, je ne pense pas que la commission des affaires européennes puisse adopter la proposition de résolution qui nous est soumise.

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