Intervention de Jean Bizet

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er octobre 2015 à 8h30
Justice et affaires intérieures — Crise migratoire en europe - communication de m. jean bizet

Photo de Jean BizetJean Bizet, président :

Nous abordons le dossier compliqué de la crise migratoire, qui a occupé une partie de l'été, et ce n'est pas fini, malheureusement. L'Europe est confrontée à une crise migratoire sans égale, d'après les observateurs, depuis la Seconde Guerre mondiale. Frontex a comptabilisé 500 000 arrivées dans l'Union européenne de janvier à août 2015 contre 280 000 en 2014. Par ailleurs, 106 000 migrants ont été secourus en Méditerranée centrale au cours des huit premiers mois de l'année 2015.

Le 13 mai dernier, la Commission européenne a proposé de déclencher le mécanisme d'intervention d'urgence prévu par le traité. La relocalisation, sur deux années, de 40 000 migrants devait soulager l'Italie à hauteur de 24 000 personnes et la Grèce à hauteur de 16 000. Selon la clé de répartition retenue, la France recueillerait 20 % de ces réfugiés.

Après le Conseil européen des 25 et 26 juin qui a préconisé la poursuite de la discussion sur la question des quotas, le Conseil Justice et affaires intérieures (JAI) du 20 juillet est parvenu à un accord sur la relocalisation de 32 256 personnes et sur la réinstallation de 22 504 personnes déplacées sous protection du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) sur une base volontaire.

La crise migratoire s'aggravant, le 9 septembre, la Commission a souhaité alléger la pression pesant sur les États membres les plus touchés - en particulier la Grèce (50 400 réfugiés), l'Italie (15 600 réfugiés) et la Hongrie (54 000 réfugiés) - en proposant la relocalisation d'un contingent supplémentaire de 120 000 personnes, portant le total à 160 000. La clé de répartition obligatoire était fondée sur les mêmes critères qu'en mai, dont la taille de la population et le produit national brut. Le nouvel effort demandé à la France, de 20 % du total, porte sur 24 000 personnes sur deux ans. Globalement, il s'agirait donc d'environ 30 000 personnes, soit 15 000 chaque année.

La Commission a proposé, d'autre part, un règlement établissant une liste, commune à l'Union européenne, de pays d'origine sûrs. Pourraient s'ajouter l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, l'ancienne République yougoslave de Macédoine, le Kosovo, le Monténégro, la Serbie et la Turquie. La Commission préconise aussi un mécanisme permanent et obligatoire de relocalisation pour tous les États membres, afin de soulager ceux qui traversent une situation de crise migratoire, ainsi qu'un « fonds fiduciaire pour l'Afrique » doté d'un budget de 1,8 milliard d'euros.

Au Conseil JAI du 14 septembre consacré aux propositions de la Commission, les ministres ont buté sur la question des quotas de réfugiés refusés par plusieurs États. Le Conseil JAI du 22 septembre a adopté à la majorité qualifiée prévue par les textes - la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et la République tchèque ayant manifesté leur opposition - le principe d'une répartition volontaire de 66 000 demandeurs, dont 50 400 présents en Grèce et 15 600 en Italie. En revanche, le refus de la Hongrie de participer à l'accord a repoussé la résolution du sort des réfugiés présents sur son sol, pris en compte par la proposition de la Commission du 9 septembre.

Dans l'attente du Sommet européen du 15 octobre, le Conseil européen informel du 23 septembre est parvenu à un consensus apaisé en renonçant à la référence explicite aux quotas obligatoires. Les chefs d'État et de gouvernement ont implicitement validé l'idée d'une répartition volontaire en deux phases et sur deux ans de 120 000 demandeurs d'asile présents notamment en Grèce et en Italie et se sont concentrés sur la question du contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne ainsi que sur l'aide financière susceptible d'aider à une solution de la crise.

Alors que l'attention était surtout focalisée sur les boat people de la Méditerranée centrale, notamment en provenance de Libye, notre collègue Jean-Yves Leconte avait mis l'accent sur l'importance grandissante de la route des Balkans comme voie d'accès privilégiée aux destinations le plus souvent souhaitées, notamment l'Allemagne et la Suède, ainsi que sur la situation très exposée de la Hongrie. Il ne s'était pas trompé. Le 15 octobre, la commission pourrait entendre l'ambassadeur de Hongrie, avec lequel je me suis déjà entretenu à la mi-septembre. Les prises de position flamboyantes de ce pays l'ont placé sous le feu des projecteurs.

L'effort demandé à la France ne doit pas être sous-estimé. L'addition des 30 000 personnes des plans européens de relocalisation et des 60 000 demandeurs d'asile enregistrés dans les conditions ordinaires donnent un total de 75 000 personnes à gérer en 2016 et en 2017. Ce chiffre doit être comparé aux 800 000, voire un million de réfugiés que l'Allemagne s'apprêterait à accueillir en 2015, malgré les messages à géométrie variable de la chancelière.

L'effort français est potentiellement important. La France s'est engagée à prendre en charge quelque 20 % des demandeurs d'asile en Europe, contribuant de façon non négligeable à l'effort commun, face à un flux dont l'ampleur reste incertaine pour les mois et les années à venir.

Le programme européen tendant à une plus juste répartition des réfugiés apparaît comme une manifestation de la plus élémentaire solidarité au sein de l'Union. Mais quid de la mise en oeuvre ? Dans leur communication du 11 juin, nos rapporteurs ont rappelé que si certains pays de l'Union européenne possédaient une culture de l'asile, d'autres en étaient totalement dépourvus. Une famille de réfugiés acceptera-t-elle de s'installer durablement dans un pays et une société qui ne souhaitent pas sa présence ? La crise migratoire actuelle fait apparaître un choix résolu en faveur de pays comme l'Allemagne ou la Suède. Une relocalisation non souhaitée est-elle plausible dans l'espace européen de libre circulation ? La question est facile à poser, la réponse difficile à formuler : sommes-nous capables d'accueillir et d'assimiler ces personnes ?

Comme le soulignait récemment avec justesse l'ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, abandonner Schengen serait un échec et un risque. Et d'ajouter, avec le sens de la concision et de la justesse qui le caractérise, que selon le principe même de Schengen, la circulation interne est libre parce qu'il existe un contrôle externe. En effet, l'article 23 du code sur les frontières de Schengen dispose qu'un État membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure. À chacun d'apprécier ces termes. La mise en place très rapide d'un contrôle effectif des frontières extérieures de l'espace Schengen m'apparaît donc comme une des grandes priorités de l'heure. Il faut encore renforcer l'agence Frontex. Il y a plusieurs années, nous avions préconisé la création d'un corps de gardes-frontières européens. N'est-il pas urgent d'activer la mise en place de ce projet ? Il en va de même pour la mise en place des hot spots, ces centres d'enregistrement et de tri en Italie, en Grèce et peut-être en Bulgarie qui doivent être dotés de moyens très conséquents. Certains proposent même de suspendre provisoirement de l'espace Schengen les États membres situés aux frontières extérieures qui, sous la pression, ne parviennent plus à contrôler la situation.

J'appelle au renforcement urgent des budgets alloués aux agences européennes telles que Frontex, Europol ou le Bureau européen d'appui en matière d'asile et de notre contribution au financement des agences de l'ONU. Le budget de notre aide alimentaire, dans le cadre du Programme alimentaire mondial (PAM) au profit des réfugiés syriens, aurait été récemment drastiquement réduit faute de crédits. Si l'on songe au fonctionnement du programme américain de food stamps, on peut penser que l'aide au PAM constituerait une façon élégante, économique et humaine de donner à nos concitoyens une autre image de l'Europe.

Je rappelle que la Turquie héberge aujourd'hui quelque 2,2 millions de réfugiés syriens, le Liban, un million, et la Jordanie, 650 000. N'oublions pas non plus l'afflux potentiel représenté par les sept millions de Syriens actuellement déplacés à l'intérieur de leur pays par les combats. Les décisions prises les 22 et 23 septembre par la Commission et le Conseil européen, parmi lesquelles le programme d'aide financière aux centres de réfugiés turcs, libanais et jordaniens, me paraissent aller dans le bon sens.

Un représentant du Haut-Commissariat pour les réfugiés vient d'estimer que 5 500 nouveaux réfugiés arrivaient chaque jour sur les îles grecques. Si ce flux devait perdurer, le quota de 20 % de la France ne représenterait pas 30 000 réfugiés sur deux ans, mais plutôt 700 000, auxquels s'ajoutent les autres flux migratoires en provenance de Libye notamment. On s'approcherait du million de réfugiés. Il est urgent d'agir.

Le groupe de travail présidé par notre collègue André Reichardt sur les migrations et l'espace Schengen suit ces questions avec la plus grande attention. Il devrait nous communiquer des conclusions dans les prochaines semaines. Le 16 septembre, la commission des lois a, pour sa part, créé une mission de suivi et de contrôle du dispositif exceptionnel d'accueil des réfugiés, dont M. François-Noël Buffet est rapporteur.

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