Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie le groupe écologiste de nous permettre de débattre aujourd’hui de la lutte contre l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Il s’agit d’une question de santé publique essentielle, qui requiert l’action urgente, énergique et concertée des pouvoirs publics nationaux et européens, de la communauté médicale et scientifique, des industriels, des associations et des citoyens.
Ces substances omniprésentes dans notre environnement ont fait l’objet d’une définition par l’OMS en 2002 : « Une substance ou un mélange exogène altérant une ou plusieurs fonctions du système endocrinien et provoquant de ce fait des effets néfastes sur la santé de l’organisme intact ou sur celle de sa descendance ».
Les perturbateurs endocriniens peuvent agir de différentes façons sur un organisme pour perturber le système hormonal et entraîner des effets néfastes sur la santé : imiter une hormone naturelle, bloquer un récepteur hormonal ou modifier les processus de production et de régulation des hormones.
Ces modes d’action particuliers permettent de distinguer l’effet endocrinien de l’effet toxique « classique » sur plusieurs points.
Tout d’abord, les perturbateurs endocriniens n’ont pas directement d’effet néfaste sur une cellule ou un organe ; le temps de latence souvent constaté, qui peut être de plusieurs années, voire de plusieurs générations, rend l’effet néfaste plus difficile à détecter.
En outre, ce n’est pas la dose qui fait le poison, mais la période d’exposition : le danger est ainsi plus grand pour les femmes enceintes, les enfants de moins de trois ans et les adolescents.
Ajoutons que les perturbateurs endocriniens peuvent agir selon une relation dose-réponse non linéaire, ce qui signifie que de faibles doses peuvent avoir des effets plus importants que des doses plus élevées.
Enfin, les effets des perturbateurs endocriniens peuvent se transmettre à la descendance.
Dans une tribune publiée le 29 novembre dernier, près de cent scientifiques ont alerté l’opinion sur ce danger, dans des termes d’une particulière gravité : « Jamais l’humanité n’a été confrontée à un fardeau aussi important de maladies en lien avec le système hormonal. […] La très grande majorité des scientifiques activement engagés dans la recherche des causes de ces évolutions préoccupantes s’accordent pour dire que plusieurs facteurs y contribuent, dont les produits chimiques capables d’interférer avec le système hormonal ».
L’enjeu de santé publique est en effet immense, car nous retrouvons ces substances dans l’alimentation, dans l’eau ou dans l’air, dans les produits fabriqués, notamment dans divers plastiques, dans les cosmétiques et les produits d’hygiène, dans les produits phytopharmaceutiques, dans les biocides.
Il est dès lors presque impossible de réduire efficacement l’exposition à ces produits à un niveau individuel. La seule action durablement efficace est donc la réglementation, en amont, de l’utilisation de ces substances, avec pour objectif l’interdiction du recours aux substances identifiées comme perturbateurs endocriniens.
Ainsi le bisphénol A, le perturbateur endocrinien le plus connu du grand public, a-t-il été interdit, en France puis en Europe, dans la fabrication des biberons et, en France seulement, sur les revêtements intérieurs des boîtes de conserve.
La France s’est dotée d’une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, élaborée par un groupe de travail réunissant l’ensemble des parties prenantes et adoptée par le Gouvernement en avril 2014. Sa mise en œuvre constitue l’une des actions phares du troisième plan national santé environnement.
Cette stratégie particulièrement ambitieuse et volontariste, qu’il faut saluer, regroupe quatre axes principaux : la recherche, la valorisation des travaux et la surveillance des effets des perturbateurs endocriniens ; l’expertise sur les substances ; la formation et l’information des professionnels et du grand public ; l’influence que la France doit exercer sur la réglementation européenne.
Les auteurs de la présente proposition de résolution nous invitent à poursuivre les efforts dans cette direction et à aller plus loin sur certains sujets, comme l’interdiction des phtalates dans les jouets. Ils préconisent également l’interdiction des pulvérisations aux abords des zones d’habitation et des écoles. Il est bon que toutes ces questions soient abordées, même si les solutions simples et radicales sont loin d’être toutes réalisables à court terme – nous y reviendrons.
Il a été beaucoup question des perturbateurs endocriniens ces dernières semaines, dans le cadre de la campagne électorale, notamment. Je souhaite pour ma part insister sur l’alinéa 15 de la proposition de résolution : le Gouvernement y est invité « à intervenir avec fermeté au niveau européen ».
En la matière, j’ai conduit de nombreuses auditions avec notre collègue Alain Vasselle, qui s’exprimera après moi. Nous avons présenté un rapport d’information sur les perturbateurs endocriniens, adopté par la commission des affaires européennes le 12 janvier dernier, ainsi qu’une proposition de résolution européenne adoptée à l’unanimité.
Permettez-moi, mes chers collègues, de profiter de ce débat pour rappeler les principales conclusions de nos travaux et pour encourager le Gouvernement, déjà expressément engagé en la matière, à déployer tous les moyens mobilisables pour que la réglementation européenne présente et future applique sans attendre le principe de précaution avec la plus grande fermeté.
Il n’existe pas de définition européenne des critères permettant de déterminer si une substance est ou non un perturbateur endocrinien.
Les règlements européens encadrant l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et des biocides prévoient une évaluation de toutes les substances entrant dans leur composition et organisent le refus d’autorisation pour les substances identifiées comme perturbateurs endocriniens.
Néanmoins, ces deux règlements ne donnent pas de critères permettant de définir un perturbateur endocrinien. La Commission européenne devait proposer une définition au plus tard en 2013, ce qu’elle n’a pas fait ; ce manquement a d’ailleurs conduit à la condamnation de la Commission par le tribunal de l’Union européenne le 16 décembre 2015. La Commission a enfin proposé, le 15 juin 2016, deux projets de textes, qu’elle a ensuite revus et modifiés, pour les présenter de nouveau le 18 novembre 2016.
Avant d’évoquer l’insuffisance de la proposition de la Commission, j’attire l’attention sur le fait que cette dernière estime qu’elle n’a pas à proposer de critères d’identification pour d’autres produits. Nous ne pouvons que déplorer que cette approche morcelée continue de prévaloir, alors qu’une réglementation globale relative aux perturbateurs endocriniens, donc un nouveau règlement européen, serait nécessaire.
La proposition de la Commission, à ce stade des discussions, exige que soient cumulativement satisfaits trois critères pour que la substance soit reconnue comme perturbateur endocrinien, donc non autorisée : celle-ci doit « montrer des effets néfastes sur un organisme sain ou sa progéniture » et « altérer le fonctionnement du système endocrinien ». En outre, « ses effets néfastes [doivent être] une conséquence du mode d’action endocrinien. »
Comme nous l’a indiqué le professeur Robert Barouki, de l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, au cours de nos auditions, très peu de substances, au regard des critères proposés, risquent d’être identifiées, car il est difficile d’établir avec certitude un lien de causalité entre la perturbation endocrinienne et l’effet néfaste sur la santé. Cela tient à plusieurs facteurs, notamment à la lenteur des procédures de reconnaissance internationale des protocoles de recherche, mais aussi à la latence existant entre l’exposition au perturbateur et la manifestation de l’effet néfaste.
La proposition actuelle de la Commission n’est pas satisfaisante ; elle ne permettra pas, en effet, l’application du principe de précaution, lequel consiste à interdire, outre les perturbateurs avérés, les substances « présumées » perturbateurs endocriniens, afin de protéger la santé publique sur la base d’un niveau de preuve « plausible » s’agissant du lien entre effet néfaste et perturbateur.
J’insiste sur ces deux adjectifs essentiels : perturbateurs « présumés » et lien de causalité « plausible » entre la perturbation endocrinienne et l’effet néfaste sur la santé. Ces termes sont repris de la proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes.
La prochaine réunion des experts de la Commission est annoncée au 28 février prochain ; qu’en sera-t-il, madame la secrétaire d’État ? Je rappelle que le Parlement et le Conseil ne pourront pas amender les textes de la Commission, mais seulement les adopter ou y mettre leur veto. Avec notre collègue Alain Vasselle, nous suivons la procédure avec grande attention, en maintenant un échange d’information avec les services de la Commission.
Madame la secrétaire d’État, je sais que nous pouvons compter sur la détermination du Gouvernement, en cohérence avec la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, pour promouvoir une définition ambitieuse et réellement protectrice. Quel est votre sentiment sur la suite de la procédure ? Parviendrons-nous à la mise en œuvre du principe de précaution au niveau européen ?
Vendredi dernier, dans le cadre du règlement REACH, le comité a reconnu quatre phtalates comme hautement préoccupants, à cause de leurs propriétés perturbatrices endocriniennes pour l’homme. C’est une première ! C’est encourageant, mais il reste à se défaire du discours selon lequel, en matière de perturbateurs endocriniens, comme c’est le cas pour d’autres produits toxiques, il existerait un dosage ou un niveau d’exposition non dangereux.
Si cette occasion était par malheur manquée, il serait particulièrement difficile de poursuivre isolément, au sein du marché unique européen, une stratégie française, pourtant légitime, d’interdiction et de réglementation stricte de l’utilisation des perturbateurs endocriniens. Je pense à l’interdiction des phtalates ou encore à l’engagement d’un candidat à la présidence de la République d’interdire en France l’utilisation de ces substances et l’importation des denrées utilisant ces substances interdites. Nous ne pouvons avancer isolés !
Certes, l’article 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que les principes de libre circulation des marchandises et de non-restriction des importations « ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit, justifiées par des raisons de […] protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux ». Toutefois, une interdiction globale et permanente de toute importation de biens et de marchandises serait-elle conforme au principe de proportionnalité ?
La bataille des normes au niveau européen doit être une priorité absolue, d’autant que les intérêts des industries sont organisés et puissants. Je souhaite de nouveau alerter le Gouvernement sur ce point, ainsi que sur la nécessité d’un effort d’investissement en matière de recherche et d’une coopération internationale au niveau le plus élevé, de strictes exigences d’impartialité et d’indépendance des experts devant bien sûr être respectées.
La mobilisation nationale, européenne et internationale doit être à la hauteur de l’enjeu vertigineux de santé publique qui est devant nous.
Le groupe socialiste et républicain votera la présente résolution, animé de l’esprit combatif et réaliste, mais aussi alarmiste, que je viens de manifester.