Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je rejoins le point de vue des précédents orateurs : le sujet mis en débat par la proposition de loi de M. Delahaye présente un grand intérêt. L’examen de ce texte offre l’occasion d’établir une sorte d’état des lieux ou de bilan des dispositifs assurant la sincérité et l’exactitude des comptes des collectivités territoriales ou, du moins, y contribuant. Il doit ainsi nous permettre de définir des pistes pour renforcer encore cette sincérité.
Notons que la présentation de ce texte, et son auteur ne s’en est pas caché, est un peu circonstancielle. C’est une espèce de marronnier, car l’on y retrouve des sujets de récrimination réciproque à l’occasion d’une alternance dans une collectivité locale, le prédécesseur étant, à ce moment-là, chargé de tous les maux.
Je le rappelle, nous avons eu des débats, qui ne sont pas encore clos et ont donné beaucoup de soucis à ce gouvernement et à ses prédécesseurs, sur les emprunts toxiques, sujet un peu comparable. Dans ces cas-là, il se trouve parfois, compte tenu de la durée de ces opérations, que c’est le successeur de l’auteur de l’erreur d’appréciation qui est ensuite amené à en assumer les conséquences.
Bien entendu, ces dysfonctionnements méritent critique et suggèrent forcément des réflexions pour essayer d’y remédier, mais nous pouvons tous convenir que ce n’est pas uniquement à partir de ces éléments de circonstance, assortis en plus d’une certaine acrimonie politique, que nous pourrons inspirer la meilleure législation.
Puisque le sujet a été évoqué, je veux donner ma propre lecture, partagée par mes amis, de ce qu’a été l’évolution de la législation dans ce domaine.
Il se trouve que, voilà déjà trente-six ans, j’étais rapporteur au côté de Gaston Defferre de la loi de décentralisation de 1982. Même si nous y avions réfléchi et que le Gouvernement avait beaucoup travaillé, ce texte donnait le sentiment d’un saut dans l’inconnu : que va-t-il se passer lorsque le préfet ne vérifiera plus les budgets des collectivités territoriales ?
C’est cette interrogation qui a conduit à une réflexion pour définir pour la nouvelle génération le mécanisme d’authentification et de vérification, avec des effets de droit, des comptes des collectivités territoriales. Nous avons donc inventé les chambres régionales des comptes, créant ainsi la catégorie des juridictions financières, alors que n’existait jusque-là que la seule Cour des comptes.
L’expérience s’est révélée positive à deux égards.
Le nouveau mécanisme de contrôle des comptes des collectivités locales apparu en 1982-1983, avec les cinq hypothèses de déclenchement d’un contrôle, a donné des résultats, conduisant à des sanctions ou à des redressements là où c’était nécessaire, mais jouant surtout un rôle dissuasif ou de mise en garde pour les gestionnaires locaux.
Par ailleurs, il a fait apparaître une ressource humaine très qualifiée avec une expertise nouvelle via les chambres régionales des comptes, dont les effectifs se sont étoffés au fil des ans. Nous avons aujourd’hui dans ces chambres des magistrats de grande qualité, bien spécialisés, qui sont venus renforcer la « puissance de feu » de la Cour des comptes.
Puisqu’il a été fait référence au projet de réforme inspiré par Philippe Séguin, alors premier président de la Cour des comptes, je rappelle que son objectif de base était en réalité, après vingt-cinq ans d’expérience montrant que l’effet de mise en garde des CRC avait atteint son but, de faire évoluer leur activité du simple contrôle périodique des comptes des collectivités territoriales vers l’évaluation financière. Telle était l’ambition de Philippe Séguin, partagée par beaucoup de personnes.
La réforme constitutionnelle de 2009, d’ailleurs, est orientée en ce sens. La Cour des comptes, en tant que navire amiral, mais aussi l’ensemble des juridictions financières ont désormais un rôle d’assistance du Parlement, et plus largement des citoyens, pour analyser le bien-fondé des politiques financières suivies et l’efficacité de l’utilisation des fonds publics, ce qui renvoie à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, déjà évoquée.
Ces dernières années, le rôle des CRC n’a pas évolué vers une intensification de la fonction de simple contrôle comptable ; au contraire, on leur demande d’exploiter au mieux l’expertise et le savoir-faire qu’elles ont acquis pour faire du travail qualitativement supérieur, c’est-à-dire de l’évaluation financière et économique. Il me semble qu’il s’agit d’une bonne orientation.
Je rejoins la première réflexion de M. Delahaye pour regretter que la mission de vérification confiée aux comptables publics, une des conséquences de cette réforme de « densification » du rôle des CRC, ne soit pas exploitée à plein. En effet, ceux-ci sont parfaitement en mesure de vérifier les comptes annuels des collectivités, au moment où ils arrêtent les comptes de gestion, et d’adresser aux ordonnateurs les remarques qu’ils estiment justifiées. Par conséquent, on pourrait leur déléguer une partie importante de la fonction de mise en conformité des comptes des collectivités territoriales.
La question centrale à l’origine de la présente proposition de loi est au fond celle du contrôle du rattachement, lorsque les ordonnateurs sont tentés de faire glisser des factures et des charges d’une année sur l’autre pour faciliter l’équilibre budgétaire. Le Gouvernement, dans sa fonction normale d’instruction et de directive, peut appeler les comptables publics à une vigilance particulière sur ce sujet dans un contexte non polémique, dans le cadre d’un dialogue normal entre administrations.
Certes, l’attention de M. Delahaye a été plus attirée par les grandes collectivités en termes budgétaires, mais ce sujet se retrouve à tous les échelons, lorsque les gestionnaires de collectivités se sentent en difficulté. Je pense donc qu’une vigilance un peu stimulée du réseau des comptables est préférable.
Je voudrais terminer sur une autre initiative prise par M. Delahaye, et qui soulève des questions de principe, sur lesquelles il est utile d’échanger un instant. Il s’agit du basculement de gestionnaires élus dans le champ des justiciables relevant de la CDBF.
Depuis que cet organisme a été créé, juste après la Seconde Guerre mondiale…