Intervention de François Bonhomme

Réunion du 22 février 2017 à 22h20
Sincérité et fiabilité des comptes des collectivités territoriales — Discussion d'une proposition de loi

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi est le produit d’aléas consécutifs aux alternances politiques locales qui ne manquent pas de survenir à la faveur des élections. C’est le résultat de situations constatées par nombre d’équipes majoritaires et d’exécutifs locaux, qui, passé la satisfaction et parfois l’euphorie de se voir confier l’initiative de préparer, d’examiner et de voter leur budget local, relèvent un certain nombre de manquements comptables ou budgétaires.

Les exemples abondent à la suite de chaque élection. Chacun a en tête l’exemple récent de collectivités territoriales en région parisienne. Mais le cas qui pour moi reste le plus symptomatique est celui de la région Poitou-Charentes, révélé en 2015 à la suite des élections régionales. On avait alors vu naître non pas une nouvelle majorité, mais un nouvel exécutif sur fond de redécoupage régional. En l’espèce, c’est le préfet qui avait saisi la chambre régionale des comptes, laquelle avait constaté qu’une partie des 40 millions d’euros de trésorerie provenait d’emprunts supérieurs aux besoins, que la capacité d’autofinancement de la région était négative, qu’une partie de sa dette était à risque et, surtout, que 10 % des dépenses de fonctionnement avaient été reportées d’une année à l’autre par le jeu de retards de paiement.

Les conséquences furent une dégradation financière à retardement se traduisant par une baisse de l’épargne brute, une augmentation de l’endettement, source de coupes budgétaires ou de hausses d’impôts, voire des deux.

Ce type de dérives pose un vrai problème : certains exécutifs s’exonèrent de principes comptables fondamentaux, pratiques qui nuisent à la fiabilité et à la sincérité des comptes publics.

Quand je pense que, en 2004, Ségolène Royal, fraîchement élue présidente de la région Poitou-Charentes, voulait créer d’elle-même un « observatoire des engagements » ! Celui-ci n’a bien sûr jamais vu le jour. La même ne manquait jamais une occasion de proclamer, avec autant de gravité que de solennité, qu’« un euro dépensé est un euro utile » ! On sait maintenant qu’il fallait entendre : un euro engagé est un euro dissimulé !

Pourtant, le code des juridictions financières prévoit les conditions des contrôles des collectivités territoriales, qui peuvent être engagés sur demande motivée du préfet ou de l’autorité locale, mais le plus souvent sur l’initiative de la chambre régionale des comptes elle-même.

L’examen porte sur la régularité des actes de gestion, l’économie des moyens mis en œuvre dans l’utilisation des fonds publics et l’évaluation des résultats atteints par rapport aux objectifs fixés par l’assemblée délibérante. De ce point de vue, les chambres régionales des comptes remplissent leur mission, mais, parfois, le mal est fait.

De nouvelles dispositions, votées notamment dans le cadre de la loi NOTRe, sont venues, malgré les défauts de cette loi, renforcer les informations financières, avec une étude d’impact financière pour les opérations exceptionnelles d’investissement, l’envoi dématérialisé des documents adressés au comptable public pour les collectivités territoriales de plus de 10 000 habitants et la publicité des rapports des chambres régionales des comptes.

Pour autant, ces dispositions ne sont pas susceptibles d’éviter les tours de passe-passe comptables que je viens d’évoquer. Elles participent à l’objectif de transparence, mais renferment leurs propres limites.

Cette proposition de loi a le mérite de pointer des situations récurrentes, dans le but, sinon de les éviter, du moins de les réduire. Elle prévoit notamment de renforcer la fréquence des contrôles, qui seront ainsi plus dissuasifs, ce qui renforcera l’efficacité de cette mission. Elle vise donc à instaurer des contrôles préventifs plus systématiques : examen annuel du respect de l’annualité budgétaire pour les collectivités territoriales et leurs établissements publics dont les recettes sont supérieures à 200 millions d’euros par an, qui s’ajoutera à la vérification de leurs comptes tous les six ans.

Pour les collectivités territoriales dont les recettes sont supérieures à 100 millions d’euros par an, mais inférieures à 200 millions d’euros par an, un contrôle annuel limité serait effectué tous les deux ans.

La transmission obligatoire des irrégularités constatées par la CRC à la Cour de discipline budgétaire et financière constitue, me semble-t-il, le point le plus important.

La proposition de loi prévoit également le renforcement du régime de sanctions applicables aux responsables administratifs et exécutifs, c’est-à-dire aux élus, avec des peines d’inéligibilité ou des peines pécuniaires.

Enfin, l’article 1er prévoit la suppression du dispositif de l’ordre écrit de leur supérieur hiérarchique pour les fonctionnaires ou agents des collectivités locales et des entreprises publiques locales ; ils ne pourraient ainsi plus se décharger de leurs responsabilités devant la Cour de discipline budgétaire et financière.

Ces mesures sont fortes, et même très fortes !

La commission des lois a relevé l’importance de la question du défaut ou de l’insuffisance de rattachement comptable des charges et des produits ; elle a également souligné le problème de l’insuffisance de l’amortissement des immobilisations et des provisions pour risques.

Tous ces sujets renvoient à autant de principes essentiels, garants de fiabilité et de sincérité des comptes.

Doivent néanmoins être posées un certain nombre de questions complémentaires, notamment celle des moyens adéquats pour la mise en œuvre de ces mesures. Une telle mise en œuvre supposerait en effet des moyens humains et budgétaires considérables ; à défaut, on se heurterait à un très probable alourdissement des procédures et à des charges supplémentaires pour les CRC.

De même, il existe un risque de disproportion entre les peines prévues par les auteurs de la proposition de loi, à savoir l’engagement de la responsabilité personnelle et financière des élus ainsi que l’inéligibilité, au regard de la complexité des règles budgétaires et financières. Il arrive aussi parfois, il faut le dire, que l’erreur constatée ne soit pas commise sciemment dans le but de dissimuler la réalité des comptes de la collectivité locale.

C’est pourquoi la motion de renvoi en commission semble opportune.

Cette proposition de loi doit être réexaminée au regard du sacro-saint principe de décentralisation et du principe du contrôle a posteriori des actes des collectivités locales.

Il existe certes encore des dérapages, de moins en moins nombreux cependant – il faut noter une réelle amélioration ces dernières années. Je ne suis pas de ceux qui crient haro sur la Cour des comptes ou les chambres régionales des comptes, bien au contraire ! Il s’agit, me semble-t-il, des institutions les plus remarquables de la République et les CRC, depuis leur création, ont fait la preuve de leur immense utilité, de leur grande qualité et de leur rôle préventif.

Parfois, leurs observations embarrassent, et c’est naturel. J’ai ainsi en mémoire qu’après la démonstration par la Cour des comptes de la gabegie de l’écotaxe, Malek Boutih, député éclairé en principe, mais pas en l’espèce, a déclaré qu’il fallait, ni plus ni moins, la supprimer, parce qu’elle avait, de façon à ses yeux intolérable, mis le doigt sur ce sujet. Autrement dit, cassons le thermomètre !

Quoi qu’il en soit, tout cela appelle un examen approfondi de l’articulation entre le contrôle de l’annualité budgétaire, sacro-saint principe qui est ici proposé, et l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales.

C’est pourquoi la commission appelle, à juste titre, à choisir entre ces deux procédures pour éviter un « empilement » malvenu des dispositifs de fiabilisation des comptes locaux.

Il convient donc bien, me semble-t-il, d’attendre le bilan d’étape de l’expérimentation de certification des comptes, dont la publication est prévue l’année prochaine, afin, a minima, de pouvoir évaluer au mieux l’intérêt de chacune de ces procédures.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion