Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 31 janvier 2017 à 14h30
Efficacité de la justice pénale — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le gouvernement de notre pays nous a proposé, il y a deux ans, de bâtir une justice pour le XXIe siècle. La description idyllique de votre prédécesseur, monsieur le ministre, n’a pourtant pas répondu aux besoins pressants de l’institution judiciaire, qui traverse une crise grave.

Ce constat, vous avez bien voulu le partager avec nous lors de votre nomination aux fonctions de ministre de la justice et de garde des sceaux. Force est de le constater, les dégâts causés par ces décisions ont mis notre justice dans de grandes difficultés et, surtout, ont suscité la défiance de nos concitoyens.

Les conséquences sont à ce jour considérables, car les choix de ce gouvernement ont été portés par un dogmatisme à toute épreuve, fondé le seul objectif de désencombrer les prisons, de sortir du « tout-carcéral ».

Pourtant, et je ne suis pas le seul à le constater, la population carcérale ne cesse d’augmenter. Notre système est mis en danger. Les effets d’annonce n’ont pas suffi à rassurer les professionnels de l’institution judiciaire, ni même les Français, qui ne se retrouvent pas dans l’exécution des décisions qui sont prises.

Notre justice est marquée depuis plusieurs décennies par une augmentation des contentieux, tant en matière civile et pénale qu’en matière administrative, et par un encombrement avéré.

Nous le savons, les magistrats assument leur rôle, et nous leur redisons toute notre confiance, mais notre justice n’a plus aujourd’hui les moyens d’accomplir sa mission et, surtout, d’être crédible et respectée par les justiciables.

Ce que les Français ne supportent plus, ce sont bien sûr les lenteurs liées à l’engorgement des tribunaux, mais surtout la non-exécution des peines prononcées en matière pénale.

Il est urgent de mettre fin à cette situation, car nous ne pouvons accepter cette remise en cause.

Vous avez voulu porter l’ambition d’une justice plus proche, plus efficace et plus protectrice pour nos concitoyens. Pourtant, la défiance des Français envers la justice est actuellement grande : 64 % de nos concitoyens jugent en effet qu’elle est peu ou pas satisfaisante.

La seule certitude aujourd’hui, c’est que notre système judiciaire ne passera pas le XXIe siècle si les décisions qui ont été prises jusqu’à maintenant sont maintenues et si nous ne modifions pas fondamentalement les choses. Rien n’est pourtant plus éloigné de la réalité que les projets qui ont été soutenus jusqu’à présent. Le meilleur exemple, le plus symbolique, est celui de la contrainte pénale. Ce que je me permets de qualifier de « Canada Dry de l’alternative à la prison » est né dans la confusion pour survivre dans le trouble. Les magistrats ne la prononcent pas parce qu’ils doutent eux-mêmes de son efficacité.

Alors oui, pour des raisons très pragmatiques, et non pas idéologiques, comme nous l’avons entendu dire lors de la réunion de notre commission, nous souhaitons la supprimer.

Notre objectif rejoint celui des professionnels : rendre à la justice son efficacité. C’est bien tout le sens de la proposition de loi que mes collègues cosignataires et moi-même vous proposons cet après-midi.

La justice doit être simple, c’est-à-dire lisible et comprise par chacun de nos concitoyens. En d’autres termes, chacun doit pouvoir connaître les limites de notre droit, les termes de nos devoirs et les sanctions s’y rattachant.

La justice doit bien sûr être indépendante, ce qui impose une impartialité des juges afin de rétablir la confiance avec les justiciables.

La justice doit être efficace pour redonner du sens à la peine, ce qui impose notamment de lui redonner des moyens à hauteur de ses besoins.

Rendre son efficacité à la justice permettra de rendre une justice plus protectrice de nos concitoyens afin que soient assurées, en tout lieu du territoire, la sûreté des biens et des personnes, mais aussi la protection des droits et des libertés.

Nous proposons donc de systématiser et d’accélérer la mise en œuvre de la sanction afin de redonner leur valeur d’exemplarité aux décisions de justice et du sens à la peine.

La loi pénale doit avoir une vocation sociale dissuasive. C’est pourquoi nous proposons de réinstaurer les peines planchers. Ne criez pas au loup trop rapidement, chers collègues : nous les avons modernisées et adaptées au XXIe siècle ! Elles ne pourront concerner que les crimes et délits passibles de plus de cinq ans d’emprisonnement. Les peines minimales sont un dispositif garantissant une plus grande sévérité à l’égard des récidivistes. Si ces peines ne permettaient pas l’individualisation des peines, comme nous l’avons trop souvent entendu dire, le Conseil constitutionnel l’aurait censuré dès 2007 !

La protection des droits, à laquelle le Sénat est constamment attaché, est fondamentale dans un contexte où le pouvoir régalien de l’État déploie toute sa mesure, mais elle doit être fondée sur des rapports de réciprocité. Or ces rapports sont aujourd’hui asymétriques. C’est pourquoi il est nécessaire de nous interroger sur la part de chacun dans l’exécution de la peine et la prévention de la récidive.

L’automaticité des réductions de peines, à échéance fixe, rompt l’effectivité des décisions de justice. Cette rupture est tragique pour les victimes, on le comprend aisément, mais elle est fatale aussi pour les délinquants. Les taux de récidive, que le ministère de la justice a grand mal à nous communiquer, sont sans équivoque. Comment un délinquant, entré souvent très jeune dans la spirale infernale, peut-il comprendre que son acte est grave si la peine qu’il purge est réalisée selon des modalités définies par le temps ?

Or le fondement actuel des réductions de peines est bien celui du temps, un droit octroyé par provision. Nous vous proposons d’inverser cette logique, de revisiter l’accès au bénéfice de la réduction de peine, en posant le principe qu’elle est non pas un droit acquis, mais une faveur octroyée en considération des gages donnés par le condamné de sa volonté de réinsertion. Nous sommes convaincus que c’est notamment par ce nouveau contrat social que nous inverserons la spirale de la récidive.

Ce changement de paradigme sera accompagné de la mise en place d’un tribunal de l’application des peines qui, collégialement, adaptera les décisions en fonction des risques potentiels liés à la libération anticipée d’un individu et qui permettra d’avoir un regard différencié sur la personnalité du délinquant mis en cause.

Nous ne devons pas oublier que, derrière chaque dossier judiciaire, il y a une femme ou un homme gangrené par une délinquance toujours plus subversive et dont la solitude est parfois pénible à porter.

C’est pourquoi, sans remettre en cause la nécessité d’étendre le parc pénitentiaire, il nous est apparu intéressant de proposer la création de centres de rétention pénitentiaire à sécurité adaptée, à raison de la peine ou du profil de la personne concernée, dans l’unique objectif de lutter contre la récidive.

Mes chers collègues, nous ne vous présentons pas une législation de plus alors que les professionnels et les justiciables étouffent sous l’accumulation grandissante des normes. Nous vous proposons un texte attaché à l’indépendance des magistrats et à l’individualisation des peines. Dans toutes nos propositions, le juge est au cœur de la décision. Ce texte permettra de restaurer la lisibilité et la crédibilité de la justice pénale. Il répondra à l’exigence d’efficacité de tous les maillons de la chaîne, conformément aux vœux de nos concitoyens.

Merci au rapporteur, François Pillet, et au président de la commission des lois, Philippe Bas, du travail tout particulier qu’ils ont effectué sur ce texte que nous avons eu l’honneur de proposer.

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