Intervention de François Bonhomme

Réunion du 31 janvier 2017 à 14h30
Efficacité de la justice pénale — Discussion générale

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, la justice est malade et le malade est sous respiration artificielle ! Rarement autant d’experts et d’acteurs de la justice n’auront partagé ce constat.

L’intérêt de l’initiative sénatoriale que nous examinons aujourd’hui est d’appréhender la question du bon fonctionnement de la justice dans sa globalité et du point de vue de son efficacité. Sa vertu consiste à faire des propositions pour chacun des maillons de la procédure pénale, afin que les décisions de justice soient mieux admises, comprises et, surtout, appliquées.

Chacun des six chapitres de la proposition de loi correspond à une étape de la procédure pénale : renforcer l’effectivité des alternatives aux poursuites ; renforcer l’efficacité des poursuites pénales et la capacité du procureur de la République à agir plus en amont dans la procédure ; renforcer le contenu de la réponse pénale ; restaurer l’efficacité de l’exécution de la peine prononcée ; renforcer la lutte contre le terrorisme ; renforcer la protection des mineurs.

Concernant le chapitre IV visant à restaurer l’effectivité de l’exécution des peines, l’article 21 supprime la contrainte pénale, issue de la loi Taubira, et la libération sous contrainte, afin de restituer son efficience au sursis avec mise à l’épreuve instauré en 1958.

Monsieur le garde des sceaux, vous avez présenté – je vous le rappelle – un rapport sur la surpopulation carcérale depuis une trentaine d’années. Il pointe un doublement du nombre de personnes incarcérées sur cette période – elles étaient près de 69 000 au 1er août 2016 – et impute ce phénomène à plusieurs facteurs, parmi lesquels l’augmentation du nombre de peines d’emprisonnement prononcées.

Dans le même temps, il y a effectivement lieu de s’interroger sur l’efficacité du dispositif de contrainte pénale, mis en place en 2014 par Mme Taubira – et avec quelle assurance…

Or, à la fin de 2016, le bilan de cette mesure phare de la réforme pénale s’avère bien sombre. Il faut l’admettre, ce dispositif n’a jamais véritablement pris. En deux ans, les juridictions ont prononcé 2 287 contraintes pénales, alors même que l’étude d’impact en prévoyait de 8 000 à 10 000 chaque année. Seuls vingt-quatre des 173 tribunaux de grande instance en ont prononcé la moitié.

C’est un euphémisme de dire que la contrainte pénale, qui ne représente que 0, 35 % des peines, est peu prononcée. Et elle n’est assurément pas la martingale judiciaire que votre prédécesseur brandissait avec une certaine théâtralité. Pourtant, comme le rappelle la circulaire de politique pénale de juin 2016, l’instruction a été donnée aux parquets de requérir son prononcé, notamment à la place des peines courtes d’emprisonnement.

Quelles sont les raisons de l’échec de ce dispositif ? D’abord, son manque de crédibilité. Il correspond davantage à un habillage juridique, puisqu’il prend la forme d’une nouveauté, mais est similaire – en moins bien conçu ! – à d’autres peines qui existent depuis les années cinquante, notamment le sursis avec mise à l’épreuve, créé en 1958, qui a très largement les faveurs des juridictions répressives.

Finalement, la contrainte pénale se distingue difficilement, par son contenu, du sursis avec mise à l’épreuve. Dans les deux cas, les mesures contraignantes ont pour vocation de contribuer à l’insertion et au reclassement social de la personne condamnée. En outre, en cas de violation des obligations et interdictions imposées, la peine d’emprisonnement peut être prononcée.

Enfin, cette mesure nécessiterait une augmentation très significative du nombre de postes de travailleurs sociaux, notamment dans les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP. En effet, pour que l’usage de la contrainte pénale produise les effets escomptés en matière de prévention de la récidive, la question des moyens alloués à ces services est évidemment essentielle. En moyenne, un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation gère plus de cent dix dossiers !

La contrainte pénale fait directement concurrence aux autres peines en milieu ouvert. Or les magistrats n’optent pour une nouvelle peine que si elle est crédible, meilleure et différente des précédentes et si elle n’est pas inutilement compliquée.

C’est pourquoi cette nouvelle usine à gaz mérite d’être supprimée, tout comme la libération sous contrainte. Tel est l’objet de l’article 21. Toute mesure dans ce domaine doit s’appuyer sur la sanction et la responsabilité individuelle. Elle doit combiner prévention, dissuasion, sanction et réinsertion, mais doit être fondée sur l’efficacité, la rapidité et la fermeté.

Plus largement, le code de procédure pénale fait, aujourd’hui, de l’aménagement de la peine le principe et non l’exception. Il faut s’interroger sur ce point et inverser la logique, en réservant cette mesure aux seules peines de prison ferme de moins de six mois par le juge de l’application des peines.

Il s’agit donc de redonner toute sa place au sursis avec mise à l’épreuve, en renforçant l’efficacité du contrôle et de la prise en charge des personnes condamnées, sans pour autant grever davantage le budget. Pour ce faire, l’article 22 de la proposition de loi prévoit la réintroduction des délégués bénévoles à la probation qui, pour les dossiers les moins lourds, viendront alléger la charge des agents des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

La justice est bien le maillon faible de la chaîne pénale, en particulier dans son volet relatif à l’exécution des peines. À n’en pas douter, c’est pourtant un enjeu majeur d’une bonne justice et c’est ce que nos concitoyens, confrontés à des dysfonctionnements répétés, attendent sans trop d’illusions…

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