Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, tout d’abord, je me félicite que nous puissions débattre de ce sujet sur une base aussi sérieuse et étayée que le rapport de nos collègues Élisabeth Lamure et Olivier Cadic. Il s’agit en effet d’une véritable mine d’informations, d’un trésor de propositions, monsieur le secrétaire d'État…
Je m’étonne quelque peu de l’absence de notre ami Jean-Vincent Placé. J’ai cru comprendre qu’il serait en déplacement, alors que l’on débat d’un sujet qui est au cœur de ses attributions.
La France est dans le « top 10 » mondial des puissances économiques, mais pour combien de temps encore ? En effet, notre pays se situe dans le même temps dans le « top 30 » des pays dont le poids administratif est le plus élevé selon le classement du Forum économique mondial, cité dans le rapport.
Si je fais référence à ce type de classement, ce n’est pas par masochisme, mais parce qu’il détermine certaines décisions en matière de localisation de la production, et donc en matière de création d’emplois et de valeur ajoutée.
Les causes de ce mauvais classement sont connues et s’expliquent notamment par une instabilité réglementaire et l’insécurité juridique qui en découle, par des arbitrages gouvernementaux puis législatifs pris en l’absence d’études d’impact – il existe en effet un contournement possible de cette procédure via le dépôt d’amendements, qui permet d’échapper aux contraintes constitutionnelles – et, naturellement, par une surtransposition régulière des directives européennes, phénomène pour lequel il y aurait bien des exemples à donner, en matière agricole en particulier.
Si je le dis, ce n’est pas pour faire du poujadisme facile ! Certains pensent, détournant ainsi la citation de Sartre, que l’enfer, ce n’est pas les autres, mais les normes ! Je serai plus nuancé, parce que je distingue la bonne de la mauvaise norme. La norme n’est pas mauvaise en soi, mais ses modalités d’application sont parfois kafkaïennes.
De même, je ne ferai pas le procès de la multiplication des codes. Disposer d’un code est utile dans la mesure où cela permet de rassembler l’ensemble des règles applicables. Certains de nos voisins n’utilisent pas ce type de recueil, ce qui oblige à chercher les règles applicables dans diverses sources.
Comme le rappelle Philippe Lentschener dans son livre intitulé Marque France, livre que je vous recommande et qui reprend certaines des préconisations qui figuraient dans son rapport au Gouvernement, la norme peut aussi être un standard de qualité.
Notre histoire économique nationale est intimement liée à ce constat. Prenons un exemple concret : normer le point sellier Hermès revient à valider un savoir-faire. La France, c’est avant tout la patrie de l’amour des gestes et des savoir-faire. C’est ce qui caractérise notre roman économique national et ce qui fait que la « marque France » véhicule quelque chose de positif à l’international.
De la même façon, normer un processus en matière administrative revient à garantir et à fiabiliser une procédure. Je le répète, une norme n’est pas mauvaise en tant que telle ; ce sont les modalités de sa mise en œuvre qui méritent souvent d’être revisitées. Sur cette question, le rapport de la délégation propose à la fois une méthode et un contenu.
Une fois ce constat posé, reconnaissons que de nombreux créateurs, entrepreneurs, chefs d’entreprise de TPE, de PME et d’ETI dans nos territoires – cela doit être la même chose en Lorraine, monsieur le secrétaire d'État – sont lassés de devoir jongler avec ce qui ne constitue pas le cœur de leur métier.
Évidemment, une entreprise du CAC 40 dispose d’une armada de conseils et d’avocats pour amortir le choc de complexification. Ce n’est pas le cas en revanche des plus petites structures. Or c’est dans ces petites entreprises que résident des gisements d’emplois et de croissance considérables.
Dans un tel contexte, ce gouvernement qui « aime l’entreprise » a annoncé sortir l’artillerie lourde en 2013. On allait voir ce qu’on allait voir ! En réalité, avouons-le, on n’a pas vu grand-chose…
Certes, Guillaume Poitrinal et Laurent Grandguillaume ont plutôt fait du bon travail au sein du Conseil de la simplification pour les entreprises en procédant à un toilettage méthodique des normes et en avançant des propositions de bon sens, comme l’extension du titre emploi service pour les entreprises d’un à dix-neuf salariés.
Toutefois, « l’optimisme de la volonté » invoqué hier par Jean-Vincent Placé à l’Assemblée nationale dans sa réponse à une question sur la simplification ne suffit pas ! J’en veux pour preuve les témoignages que nous recevons ou les expériences que nous vivons au quotidien.
Mes chers collègues, pour ne pas être partial, je vais prendre le seul et unique commentaire posté sur le dernier article du site gouvernemental www.simplifier-entreprise.fr.
Qu’écrit M. Guérin, artisan en menuiserie dans le Morbihan ? « Je n’en peux plus des nouvelles complications administratives qui nous sont imposées sans explication et surtout sans interlocuteurs compétents et joignables !!! Tout semble fait pour que toutes ces tâches administratives et juridiques ne puissent être réalisées par notre secrétaire mais confiées à des logiciels coûteux ou à des cabinets comptables qui se créent des rentes et grèvent les budgets des TPME comme la mienne… Quelle énorme déception cette soi-disant SIMPLIFICATION ! »
Alors, en effet, mettons-nous à la place de M. Guérin !
Que vaut le principe selon lequel le « silence vaut acceptation » lorsqu’il faut continuer à se renseigner pour savoir si l’on entre dans l’une des 3 600 procédures éligibles ou au contraire dans l’une des 1 200 autres qui ne le sont pas ?
Que vaut la simplification face à l’impératif de mise en place du compte de prévention pénibilité ? Nous ne renions pas le concept de pénibilité, puisque nous en avons été à l’origine et l’avons inscrit dans le droit lors des réformes des retraites Woerth et Fillon. Simplement, les modalités retenues ne conviennent pas ! Parlez avec M. François Asselin de ce que cela représente dans la vie concrète d’une entreprise comme la sienne. Il est intarissable sur le sujet !
Que vaut enfin la simplification face à l’impératif de mise en place du prélèvement à la source, qui plus est lorsque l’on sait que la déclaration sociale nominative n’est pas totalement digérée ?
Alors que notre assemblée suspend aujourd’hui ses travaux en séance publique et que nous arrivons, en fait, au terme de la mandature 2012-2017, cela doit nous inciter à réfléchir aux voies et moyens pour parvenir à une réelle simplification, laquelle pourrait être débattue par le nouveau Parlement dès l’été prochain, et cela dans un esprit transpartisan, à l’image de la réforme budgétaire qu’avaient portée MM. Lambert et Migaud.
Le rapport le montre très bien, nos voisins britanniques et allemands ont réussi leur désinflation normative. C’est également à notre portée, mes chers collègues, mais il faut peut-être pour cela simplifier la simplification !
Le test PME constitue une très bonne idée, mais il existe d’autres mesures à mettre en œuvre prioritairement. Voilà quelques propositions simples.
Tout d’abord, il faudrait muscler les fonctions d’évaluation et de contrôle du Parlement. J’ai eu la chance de vivre dans la cabine de pilotage la révision constitutionnelle de 2008. À l’époque, j’ai vu de hauts responsables au Parlement refuser de se doter des moyens d’exercer un véritable pouvoir d’évaluation et de contrôle. Nous aurions pourtant vraiment besoin de ces moyens pour discuter sérieusement des études d’impact.
Ensuite, la simplification doit devenir une hygiène de vie, un réflexe à tous les étages de l’administration. Il y a des hauts fonctionnaires de défense et de sécurité. Nommer un fonctionnaire de simplification dans chaque ministère me paraîtrait sain et permettrait d’animer un réseau, non seulement au niveau de l’administration centrale, mais également au niveau des services déconcentrés. Les auteurs du rapport proposent d’ailleurs que les secrétaires généraux des préfectures puissent fournir des retours d’expérience sur les procédures mises en place et la meilleure façon de les simplifier. Le haut fonctionnaire de simplification pourrait typiquement remplir ce rôle.
Ces dix dernières années, un grand nombre de Premiers ministres ont rédigé des directives appelant à la simplification. Mais, en réalité, ces directives ne sont pas toujours suivies d’effet. Une volonté déterminée à la fois politique et administrative est donc nécessaire.
Parmi les autres pistes à creuser figure la possibilité de créer des normes à durée de vie limitée. En 2005, nous avions créé des commissions à durée de vie limitée afin de pouvoir nous réinterroger régulièrement, tous les cinq ans, sur leur utilité.
On peut également imaginer une nouvelle méthode de transposition des directives, comme la transposition immédiate et littérale de celles-ci dans une partie provisoire du code avant de procéder à leur transposition raisonnée et plus approfondie.
Monsieur le président, je vois que le temps s’écoule vite et j’en appelle donc à votre mansuétude et à l’application de la jurisprudence Bricq !