Alors que la sécurité intérieure de l'Union européenne est durement mise à l'épreuve par de multiples attaques terroristes dont les attentats de Manchester et de Londres constituent les derniers épisodes en date, la coopération policière constitue un enjeu majeur.
Pour plus de détails, je vous renvoie à notre réunion du 1er décembre dernier, au cours de laquelle notre commission avait adopté une proposition de résolution européenne et un avis politique sur la réforme d'Europol et la coopération policière européenne que j'avais présentés avec notre collègue Michel Delebarre.
Le Conseil européen des 22 et 23 juin derniers porte des conclusions sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Les chefs d'État ou de gouvernement ont ainsi réaffirmé leur détermination à coopérer au niveau de l'Union européenne en vue d'accroître la sécurité intérieure. Ils ont plus particulièrement pris des engagements pour faciliter des échanges rapides et ciblés d'informations entre les services répressifs, y compris avec des partenaires de confiance.
En vertu des dispositions du traité de Lisbonne relatives à la coopération policière, le renseignement demeure au coeur des compétences régaliennes des États. La sécurité nationale reste, aux termes des traités, de la seule responsabilité de chaque État membre.
Pour autant, le traité de Lisbonne a aussi posé les bases d'une coopération policière opérationnelle. Il prévoit ainsi la mise en place de mesures de coordination et de coopération entre autorités policières et judiciaires. La coopération policière peut notamment porter sur la collecte, l'échange et le traitement d'informations, la formation des personnels et les techniques communes d'enquête. Sur décision du Conseil européen statuant à l'unanimité, l'intervention des autorités de police ou de douanes d'un État membre sur le territoire d'un autre État membre est autorisée.
Le traité de Lisbonne a également officialisé le comité permanent de sécurité intérieure (COSI) chargé de renforcer la coopération opérationnelle et la coordination. Il donne une base juridique pour des mesures destinées à combattre le financement du terrorisme. Enfin, la clause de solidarité prévoit la possibilité pour l'Union européenne et ses États membres de porter assistance à un autre État membre victime d'une attaque terroriste.
Europol a pour mission d'appuyer et de renforcer l'action des autorités policières et des autres services répressifs des États membres ainsi que leur collaboration mutuelle dans la prévention, notamment du terrorisme, et la lutte contre ce phénomène. Il s'agit cependant d'une agence de soutien, mais en aucun cas d'un FBI européen !
Europol dispose d'unités nationales implantées dans les États membres servant de relais de transmission entre l'agence et les autorités nationales compétentes. Elle constitue un espace d'échange d'informations, d'analyse du renseignement et d'expertise. Elle effectue chaque année plus de 18 000 enquêtes transfrontalières. Collectant des millions de données, elle est surtout un gigantesque moteur de recherche. Dans la période récente, certaines de ses compétences se sont étoffées et, en janvier 2016, un Centre européen de lutte contre le terrorisme a été mis en place en son sein.
L'implication des États membres dans Europol demeure cependant inégale. En 2015, plus de 90 % des contributions aux bases de données d'Europol n'ont émané que de cinq États membres. La France est un des principaux contributeurs au système d'information d'Europol, en particulier dans le domaine du contre-terrorisme, notamment en ce qui concerne les combattants étrangers en Syrie et en Irak.
C'est aussi le cas du Royaume-Uni. Son retrait de l'Union devrait cependant entraîner aussi son retrait d'Europol et donc, sans doute, la suppression des données britanniques. Nous devrons veiller à ce que ce ne soit pas tout à fait le cas, car le Royaume-Uni deviendrait alors un État tiers avec lequel la coopération avec Europol demeurerait certes possible, mais, dans le cadre actuel, de façon moins approfondie qu'avec les États membres.
Les moyens d'Europol, dont le directeur est un Britannique, seraient aussi impactés par le Brexit. La coopération policière devrait donc constituer un aspect important de la négociation des relations futures avec l'Union européenne.
Actuellement, le renseignement relève de la sécurité nationale qui demeure de la compétence des États membres, en particulier pour préserver le secret sur les méthodes opérationnelles. Cela n'empêche pas une coopération multilatérale des services antiterroristes par exemple, mais en dehors des traités et donc sans la présence du Conseil et de la Commission.
Cette coopération se fait dans un cadre informel, et la France y tient pour l'instant. D'ailleurs, notre pays ne reconnaît pas à Europol de fonction de renseignement. Cette fonction s'exerce plutôt dans le cadre du groupe antiterroriste (GAT) institué après les attentats du 11 septembre 2001. Le GAT réunit tous les services de renseignement de sécurité intérieure de l'Union, ainsi que les services norvégien et suisse. Il est doté d'un système de communication chiffrée qui permet de relier de manière permanente et sécurisée l'ensemble des membres du réseau.
Le GAT est chargé d'alimenter le centre de situation et de renseignement de l'Union européenne (IntCen) créé à la suite des attentats de Madrid de mars 2004. Alimenté par les services de sécurité et de renseignement intérieurs et extérieurs des États membres, il a permis la production d'études à caractère thématique ou géographique. Il est rattaché au service européen d'action extérieure (SEAE) depuis 2010 et ne relève plus exclusivement du Conseil. La contribution des États membres à l'IntCen n'est pas obligatoire. Les productions de l'IntCen alimentent le SEAE, la Commission et les États membres. Europol, Frontex et Eurojust reçoivent également les productions qui les concernent.
Néanmoins, les services de renseignement ont généralement une tendance naturelle à préférer les coopérations bilatérales ou dans des instances ad hoc dont ils maîtrisent le format et les modalités de travail. Interrogé sur la perspective d'une agence européenne du renseignement, le directeur général de la sécurité intérieure, M. Patrick Calvar, a indiqué devant la commission d'enquête « Schengen » le 22 février dernier qu'il ne croyait « absolument pas à une agence européenne [...] tant que l'on ne sera pas dans une Europe fédérale ».
J'en viens à l'arrêt Tele2 de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) du 21 décembre 2016. Le 21 décembre dernier, la CJUE a rendu un arrêt, dit Tele2, qui, selon le rapport de la délégation parlementaire au renseignement (DPR), « introduit des incertitudes nouvelles dans l'application de la loi du 24 juillet 2015 » relative au renseignement. Je rappelle que cette loi précise les conditions d'utilisation de certaines techniques de renseignement en l'absence de procédure judiciaire sur les mêmes faits et fixe la procédure d'autorisation pour leur mise en oeuvre.
L'activité des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs d'accès à internet est régie notamment par une directive de 2002, modifiée en 2009, relative au traitement des données à caractère personnel et à la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. Actuellement, les opérateurs européens sont soumis à des obligations de conservation des données - un an en France par exemple - qui sont indifférenciées. Ils constituent ainsi des bases de données qui peuvent être utilisées, à la demande du juge judiciaire ou des services de renseignement, à l'occasion d'une enquête.
Or l'arrêt Tele2 juge que la directive de 2002 ne permet pas aux législations nationales d'imposer aux opérateurs de télécommunications et aux fournisseurs d'accès à internet à des fins de lutte contre la criminalité une obligation générale et indifférenciée de conservation des données d'identification et de connexion de leurs utilisateurs.
Comme le souligne la DPR, cet arrêt « pose problème. Il empiète sur la compétence des États, telle qu'elle résulte de l'application du principe de subsidiarité, et ne tient manifestement aucun compte des impératifs et des finalités qui s'attachent à l'action des services de renseignement ». La DPR appelle ainsi le Gouvernement à exiger du Conseil une révision de la directive de 2002.
En effet, cet arrêt pourrait rendre plus difficile la lutte contre le terrorisme. Il reste difficile à interpréter, et plus encore à mettre en oeuvre. Certains le considèrent comme un appel à un coup d'arrêt à la surveillance de masse par une collecte généralisée et indifférenciée de données. Quoi qu'il en soit, nous devons rester vigilants sur ses conséquences opérationnelles. Le sujet a déjà été abordé trois fois au niveau ministériel. Plusieurs pistes de travail sont envisagées au niveau technique, mais aucune conclusion n'a pour l'instant été arrêtée. De même, la Commission a annoncé les lignes directrices sur les conséquences à tirer de cet arrêt sans toutefois fixer de date précise.
Au niveau national, une réflexion interministérielle est en cours. Elle est cependant largement dépendante des travaux menés au niveau européen.
De manière générale, il convient de garder présent à l'esprit que l'obligation de conservation des données de connexion obéit à certaines finalités, la sécurité nationale en particulier. Je remercie le président de notre commission d'avoir mis ce sujet majeur à l'ordre du jour.