Je remercie Mme Troendlé pour le travail que nous avons effectué ensemble.
Nous avons rédigé deux rapports car, après le bilan d'étape, le besoin s'est fait sentir d'aller plus loin en observant les pratiques ayant cours à l'étranger. Mme Troendlé et moi avons travaillé de concert ; nos idées ont convergé.
Le terme même de « déradicalisation » est un mirage de l'esprit, car il est faux de penser que l'on peut changer aisément la personnalité et les croyances d'autrui. Cela ne fonctionne que dans les États peu démocratiques, habitués au « lavage de cerveau ». Il doit néanmoins être possible de suivre ces personnes, de les accompagner et de les aider à se réinsérer et à se resocialiser. À ce propos, il serait malvenu de croire que la radicalisation ne concerne que des cas psychiatriques ou s'assimile à l'embrigadement dans une secte. Ces individus sont actifs, prennent des risques, partent parfois très loin de chez eux et n'ont pas forcément une personnalité vulnérable ; ils cherchent un idéal et le trouvent en Daesh. Il n'existe donc pas de typologie préétablie des personnes radicalisées, même si leur parcours passe souvent par la délinquance et la vie dans une famille monoparentale.
Qu'est-ce qui a changé entre ce bilan et le précédent ? Nous nous sommes rendues à l'étranger, où la prise en charge des personnes radicalisées est différente, avec des dépenses moindres pour de meilleurs résultats. Le degré de « déradicalisation » ne peut jamais être défini avec certitude. Est-on « déradicalisé » parce que l'on a trouvé un travail, un domicile, fondé une famille ? Quoi qu'il en soit, notre expérience a été très intéressante à Aarhus, au Danemark, ville cossue d'où partent pourtant des personnes vers la Syrie ou l'Irak. Une solution pragmatique a été envisagée, au moyen d'une gradation de la prise en charge de la radicalisation. Un mental program de soutien est adapté aux moins radicalisés, un autre programme comprend des conseils et un accompagnement. Un troisième, exit program, est destiné à aider les personnes à sortir de la radicalisation. Tout cela a été mis en place grâce à l'intervention d'agents des forces de l'ordre, d'éducateurs et de psychologues, qui assurent un suivi personnalisé. Je pense notamment au suivi localisé mis en place à Vilvorde, en Belgique. C'est au contraire le point faible de nos outils...
Mme Troendlé et moi-même avons donné l'alerte pour dénoncer les dérives des associations en charge de la « déradicalisation ». Si leur nombre a diminué en 2016, leur travail parfois inefficace n'a pas été interrompu pour autant. Un nouveau business très lucratif s'est développé, au profit des cabinets privés qui s'autoproclament spécialisés dans la formation sur la prise en charge de la radicalisation et qui reçoivent des subsides de l'État sans avoir été véritablement contrôlés au départ. Une évaluation complète par les préfectures est nécessaire, assortie de l'obligation d'établir un cahier des charges précis et de prouver un savoir-faire.
Les cellules départementales de suivi de la radicalisation sont apparues à la suite de la territorialisation organisée par une circulaire du ministre de l'intérieur de 2014. Cette construction est encore en cours. Les préfectures recourent à des équipes polyvalentes, composées de psychologues, d'éducateurs, ... Ces cellules pourront agir si elles disposent des moyens pour contrôler les associations auxquelles elles font appel. Parmi ces dernières, notamment dans le sud de la France, certaines font preuve d'un amateurisme problématique. Les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) peuvent s'occuper de « déradicalisation », ils en ont l'expérience car ils accompagnent déjà les jeunes délinquants.
À l'étranger, les organismes qui suivent les personnes radicalisées n'opèrent pas de distinction entre les groupes extrémistes - néonazis ou autres. En France, l'association Accord 68, à Mulhouse, aide à la fois les délinquants et les « radicalisés ». La situation ne changera pas du jour au lendemain, mais tout n'est pas perdu : nous pourrions par exemple augmenter les effectifs et le budget de la PJJ.
Les difficultés tiennent aux délais de la « déradicalisation », qui sont très longs, contrairement au temps politique, qui est court. Aider quelqu'un à sortir de cette idéologie très forte de Daesh et à s'insérer dans la société ne peut être réalisé que sur la durée. Ayons bien conscience que les résultats ne peuvent pas être immédiats.