Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, si l’examen du projet de loi de finances est un exercice comptable, les discussions budgétaires permettent de juger des choix économiques et politiques d’un gouvernement. En l’occurrence, le projet de loi de finances pour 2011 fait-il les bons choix ? Répond-t-il aux objectifs d’efficacité et de justice fiscale que nos entreprises et nos concitoyens sont en droit d’attendre dans la période actuelle de sortie de crise ?
Vous ne serez pas surpris si je vous dis que j’ai des doutes quant à la pertinence des options retenues, du moins d’un grand nombre d’entre elles.
Une nouvelle fois, le projet de loi de finances est fondé sur des prévisions de croissance à l’évidence trop optimistes. Je sais bien qu’il n’est pas facile de prévoir avec justesse le taux de croissance de l’année suivante. Des prévisions restent des prévisions. Et d’ailleurs, en matière budgétaire, ne faudrait-il pas, madame, monsieur les ministres, méditer cette pensée de San Antonio, alias Frédéric Dard ? : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ». La politique, ce n’est l’art de faire des prévisions – art très difficile, surtout quand il concerne l’avenir ! –, c’est plutôt l’art de prendre les bonnes décisions pour améliorer le quotidien des Français et l’attractivité économique de notre pays.
Ce projet de loi de finances pour 2011 table sur une hypothèse de croissance du PIB de 2 % en 2011. Pourtant, la moyenne des prévisions du groupe d’experts relatives à la croissance française est de 1, 53 % et la prévision du FMI de 1, 6 %. Cet écart, nous le savons bien, n’est pas anodin en termes de recettes.
Certes, depuis quelques mois, on sent bien s’installer un cycle de reprise assez classique. Le commerce mondial reprend des couleurs, stimulant au passage nos exportations. La demande mondiale adressée à la France aurait augmenté de 11, 8 % cette année et on estime qu’elle sera de 7, 7 % pour 2011.
Vous l’avez dit, madame, monsieur les ministres, l’investissement des entreprises redémarre. La consommation reprend et elle pourrait croître de 1, 7 % en 2011. Enfin, l’emploi se redresse, ce qui engendrera des gains de pouvoir d’achat. Et le taux d’inflation se maintiendrait autour de 1, 5 % en 2011 comme en 2010.
Si on ne peut que souhaiter toutes ces prévisions, il faut surtout faire preuve d’une politique volontariste pour permettre leur réalisation. Et de ce point de vue, un certain nombre d’éléments invitent à la prudence et doivent nous amener à exprimer de profondes réserves.
S’agissant de la reprise mondiale comme moteur de la croissance, vous savez qu’elle est soumise à des aléas.
Même si 2011, avec une prévision de croissance mondiale de 3, 9 %, devrait confirmer la reprise amorcée en 2010, n’oublions pas que depuis l’éclatement des bulles immobilières, en particulier aux États-Unis et en Espagne, les ménages et les entreprises demeurent très endettés. Et cette situation pèsera encore sur l’investissement.
Par ailleurs, j’ajouterai que dans le contexte d’un marché du travail encore très déprimé, la consommation pourrait être moins dynamique que prévu. D’autres incertitudes existent. Je pense notamment à l’évolution des cours du baril de pétrole. Petit rappel : la direction générale du Trésor fonde ses prévisions sur un prix du baril à 80 dollars alors que le groupe technique a établi une fourchette comprise entre 77 dollars et 92 dollars. Quant au taux de change, c’est également souvent une source d’inquiétude, en particulier pour la zone euro. Si le taux de change entre l’euro et le dollar est stabilisé à 1, 30 dollar pour 1 euro en 2011, des instituts prévoient la poursuite de la baisse du dollar en 2011 tandis que d’autres tablent sur son appréciation.
Enfin, quels seront les effets de la normalisation des différentes politiques budgétaires réclamées par le FMI ?
Pour améliorer leur solde budgétaire, de nombreux pays ont mis en place des plans d’austérité, qui ne seront pas sans conséquences sur la demande.
Par ailleurs, si le G20 ne manifeste pas davantage d’empressement à réguler les marchés financiers et à diminuer l’incitation des opérateurs à l’emballement mimétique, nous ne sommes pas à l’abri de nouvelles tensions obligataires, bancaires ou boursières.
Or, au regard des dernières décisions du sommet de Séoul, auquel vous avez participé, madame le ministre, on ne peut qu’être déçu : la supervision des marchés de gré à gré d’actifs dérivés sera renforcée là où il conviendrait d’imposer des chambres de compensation ; les règles prudentielles de Bâle III sont certes entérinées, mais les mesures ajoutées à l’intention des SIFI limitent, vous le savez, leur portée.
Madame, monsieur les ministres, vous connaissez mon engagement en faveur d’une taxation des transactions financières. Notre proposition de loi avait été discutée ici même en juin dernier et, malgré un accueil très favorable, elle n’avait pu être adoptée au motif d’arguments techniques, qui semblent aujourd’hui se dissiper devant la volonté du Président de la République. Nous ne pouvons que nous en réjouir : il est toujours difficile d’avoir raison très tôt... Mais, peu importe, sachez que nous vous soutiendrons si, au cours de la présidence française du G20, cette disposition forte devait voir le jour.
Alors, oui, nous en convenons tous, il est nécessaire d’agir sur l’endettement de notre pays. D’ailleurs, nous n’avons pas le choix : c’est une question de bon sens ! Qui plus est, nous avons des engagements européens à respecter.
M. le rapporteur général a excellemment démontré les dangers d’un endettement massif, qui pourrait atteindre un jour 90 % du PIB. Il est nécessaire de réagir d’autant plus rapidement que les marchés restent très préoccupés par la soutenabilité des dettes publiques en Europe. Le cas préoccupant de l’Irlande, qui succède à celui de la Grèce, a entraîné de nouveaux mouvements de panique boursière. En cas de nouvelle crise, la France n’est pas à l’abri de voir la prime de risque sur ses emprunts souverains se tendre fortement. Le poids de sa dette pourrait lui faire perdre sa note « triple A », une note qui permet à notre pays de financer ses déficits à un faible coût.
Dans cette perspective, afin de faire glisser le déficit public de 7, 7 % à 6 % en 2011, il est prévu, grâce à l’article 5 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, de compléter la norme « zéro volume » par une norme « zéro valeur ». On ne peut pas vous reprocher de chercher à être vertueux, mais, ce que l’on peut regretter, ce sont les choix qui sont faits pour y parvenir.
En dehors d’une baisse des crédits de fonctionnement et d’intervention qui serait de 5 % l’année prochaine, nous connaissons bien désormais la principale ficelle de la baisse des dépenses publiques. C’est toujours la même, la fameuse RGPP, avec, en particulier, son fameux principe du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Madame, monsieur les ministres, ne pensez-vous pas que la suppression de tous ces postes pourrait, à terme, avoir une incidence sur le pouvoir d’achat et donc sur la croissance ?
Vous mettez en avant votre capacité à diminuer les dépenses de façon volontaire. Pourtant, c’est aussi grâce à une extinction automatique des dépenses consacrées au plan de relance que vous pouvez vous prévaloir de cette maîtrise. Au même titre, la suppression des programmes liés aux investissements d’avenir entraîne une moindre dépense de 35 milliards d’euros dans le présent projet de loi de finances.
Mais, je vous l’accorde, c’est bien par un rétablissement des recettes de l’ordre de 11, 1 milliards d’euros que vous pouvez vous satisfaire d’une réduction du déficit structurel. Pour autant, la part des recettes fiscales nettes dans le PIB ne fait que diminuer depuis 2004. Comment l’État entend-il poursuivre ses missions à long terme, si cette décrue se poursuit ?
Pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu, c’est bien un choix politique qui avait été opéré par la loi TEPA, avec l’instauration de l’impopulaire bouclier fiscal. Vous l’aviez dit vous-même, monsieur le ministre – en d’autres temps ! –, c’est un impôt injuste.
À défaut de reconnaître que c’était une erreur, je suis heureux de constater que le Président de la République commence à nous entendre et je salue l’idée d’une taxation des revenus du patrimoine, même si je regrette qu’il faille attendre encore plusieurs mois pour la mettre en chantier. Le calendrier politique prime une nouvelle fois sur le calendrier parlementaire.
Concernant l’impôt sur les sociétés, un impôt théoriquement de 33 %, le Conseil des prélèvements obligatoires a publié un rapport édifiant, qui démontre la manière dont les grandes entreprises du CAC 40 réduisent fortement le montant du bénéfice assujetti à l’impôt sur les sociétés. C’est ainsi que le taux de l’impôt sur les sociétés tombe à 20 % pour les entreprises de moins de 500 salariés, à 13 % pour celles qui comptent plus de 2 000 salariés et à seulement 8 % pour celles du CAC 40.