Notre rapport sur l'avenir de la PAC est un point d'étape, alors que les contours de la future réforme ne sont pas encore bien identifiables. Le bilan de la PAC 2014-2020 n'est pas encore fait : l'évaluation à mi-parcours que doit produire la Commission européenne n'est prévue, au mieux, que fin 2017. Ensuite le calendrier est encore très flou, comme le met en évidence notre rapport : en théorie, il faudrait boucler le cadre financier pluriannuel et les nouveaux règlements PAC au premier semestre 2020. Or, il y aura des élections européennes à la mi-2019 et une nouvelle Commission à désigner. À Bruxelles, nos interlocuteurs ne croient pas à l'échéance de 2020.
Pourtant, cela n'empêche pas aujourd'hui un foisonnement d'initiatives. La Commission européenne elle-même a lancé en février une vaste consultation sur la modernisation et la simplification de la PAC. Elle a reçu 322 000 réponses. Elle publiera à l'automne 2017 un premier document d'orientation expliquant sa vision de la future PAC.
Parallèlement, la Commission avait engagé une démarche de simplification de la PAC dans le cadre de la discussion du règlement Omnibus qui comportait plusieurs dispositions agricoles, comme la baisse de 30 à 20 % du seuil de perte permettant d'activer l'instrument de stabilisation du revenu, ou encore l'assouplissement de la notion d'agriculteur actif. Cette discussion a d'ailleurs fait naître des demandes nouvelles : application du seuil de 20 % à tous les outils de gestion des risques, prise en compte des conclusions de la Task force pour renforcer la place des agriculteurs dans la chaîne de valeur alimentaire (à travers par exemple la généralisation de la reconnaissance des organisations de producteurs, ou encore la mise en place d'une lutte contre les pratiques commerciales déloyales).
L'année dernière, la France avait aussi remis à ses partenaires européens un document d'orientation du Gouvernement sur les contours de la future PAC, qui insistait sur trois points : tout d'abord, la mise en place d'une véritable politique de gestion des risques économiques encourus par les agriculteurs, pouvant même aller jusqu'à un troisième pilier assurantiel ; ensuite, le maintien des flexibilités dont on dispose pour adapter la PAC à nos besoins : aides couplées, majoration des paiements pour les premiers hectares (dit paiement redistributif), préservation de l'enveloppe sectorielle vin et fruits et légumes ; et enfin la simplification et l'amélioration des exigences environnementales, avec la piste d'un quatrième critère du « verdissement » des aides du premier pilier (le renforcement de la couverture végétale des sols) mais aussi la refonte des mesures agro-environnementales (MAE), pour aller vers une logique de résultats plutôt que de moyens.
Notre rapport rend compte de toutes ces initiatives. Il appelle à une grande vigilance pour la discussion de la future PAC, compte tenu des risques lourds qui pèsent sur les négociations. Le premier risque est budgétaire, comme à chaque nouveau cadre financier pluriannuel. Le budget agricole avait été maintenu en euros courants pour la période 2014-2020. En sera-t-il de même demain ? C'est peu probable. Les dépenses agricoles représentent encore 37 % du budget européen. Il existe de fortes pressions pour allouer des ressources vers d'autres priorités. Par ailleurs, le « Brexit » complique l'équation, en privant l'Union européenne de 7 milliards d'euros de dépenses mais aussi de 17 milliards de recettes, soit une impasse de 10 milliards. La Commission européenne vient de publier un document de réflexion sur l'avenir des finances de l'Europe où tous les scénarios, sauf le plus improbable, prévoient une baisse du budget agricole.
Un autre risque est de conserver des règles PAC très passives, qui ne visent en rien à corriger les déséquilibres. Une des personnes auditionnées par notre groupe de travail nous a dit qu'il serait temps que l'Union européenne, plutôt que de « gérer les crises », se mette à « prévenir les crises » : c'est bien l'objectif.
La dernière crise laitière a nécessité trois plans de soutien successifs en deux ans. Seul le troisième a fonctionné lorsque l'on on a enfin décidé de retirer des quantités de lait excédentaires du marché. En attendant, les producteurs ont subi une situation très difficile dont nous ne sommes pas encore sortis. Les outils comme la réserve de crise ne sont quasiment jamais utilisés. L'intervention, sous forme de stockage public, se fait toujours trop peu et trop tard. Les organisations de producteurs se voient reconnaître trop peu de pouvoirs. Le risque de la future réforme est de continuer sans volonté régulatrice de la part de l'Union européenne.
La France doit, dans cette réforme, rappeler ses objectifs et défendre ses intérêts, en évitant de se raccrocher à des modèles qui ne pourront pas être suivis. La mise en place d'un Farm Bill à l'européenne mettant l'accent sur la gestion des risques semble illusoire, car le soutien massif à des assurances de chiffre d'affaires suppose un budget flexible d'une année sur l'autre, ce qui existe aux États-Unis mais pas en Europe. La mise en place de paiements contra-cycliques comme le propose Momagri est aussi très hasardeuse, notamment à cause de ce problème d'annualité budgétaire.
Dans la prochaine réforme, il faudra être pragmatique, tout en défendant les intérêts de l'agriculture française : simplifier la PAC sans l'affaiblir, tel est l'enjeu qui est devant nous.