Intervention de Éric Doligé

Réunion du 20 juillet 2017 à 15h00
Convention fiscale avec le portugal — Adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Éric DoligéÉric Doligé, rapporteur :

… je la reprends –, mes chers collègues, nous examinons le projet de loi autorisant la ratification de l’avenant du 25 août 2016 à la convention fiscale franco-portugaise, qui date donc du 14 janvier 1971.

En décembre dernier, à l’Assemblée nationale, le Gouvernement avait déposé, cela mérite d’être signalé, un amendement tendant à autoriser la ratification de cet accord par un simple article au sein du projet de loi de finances rectificative. Le Sénat s’y était opposé, estimant que la ratification d’une convention fiscale n’avait pas sa place dans une loi de finances. Le Conseil constitutionnel avait ensuite confirmé notre position, en censurant l’article en question.

Je me permets d’insister sur cet épisode, car il me semble que nous avons ainsi évité de créer un précédent fâcheux, que les gouvernements successifs auraient sans doute eu la tentation de répéter. Monsieur le ministre, cet exemple vous montrerait, si besoin était, que nous sommes attentifs et doués d’une certaine expertise, même si ces qualités ne semblent plus nécessaires pour un parlementaire.

J’en viens maintenant au fond du présent accord. Sans entrer dans les détails, il s’agit de poursuivre un double objectif.

Premièrement, cet accord vise à mettre en conformité avec le modèle de l’OCDE les règles applicables à l’imposition des rémunérations et pensions publiques, en prévoyant une imposition exclusive à la source. La convention franco-portugaise de 1971, actuellement en vigueur, est dérogatoire sur ce point, en ce qu’elle autorise aussi une imposition par l’État de résidence du bénéficiaire.

Cette particularité, longtemps sans effet, est devenue problématique en 2013, lorsque le Portugal, alors en pleine crise économique, a engagé une série de contrôles fiscaux à l’encontre d’agents et de retraités de la fonction publique française résidant au Portugal – étaient en réalité concernés les personnels des lycées français de Lisbonne et de Porto. Ceux-ci se sont alors retrouvés dans une situation difficile, l’impôt sur le revenu étant sensiblement plus élevé au Portugal et les redressements portant sur plusieurs années.

À la suite de l’intervention de la France, le Portugal a accepté de renégocier la convention fiscale et de la mettre en conformité avec les principes de l’OCDE.

Deuxièmement, cet avenant vise à moderniser les dispositifs de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, sur deux points que vous avez cités, monsieur le ministre : d’une part, les échanges d’informations entre la France et le Portugal, étant précisé que les deux pays appliquent déjà le standard le plus élevé en vertu d’engagements multilatéraux et européens ; d’autre part, l’introduction de deux clauses anti-abus, permettant d’écarter les cas où le bénéficiaire d’un revenu n’en est pas le « bénéficiaire effectif » ou lorsqu’il apparaît que l’opération a un objectif « principalement fiscal ».

Tous ces éléments constituent des modifications bienvenues de la convention franco-portugaise de 1971, et justifient la ratification de l’avenant.

Je souhaiterais toutefois prendre le temps d’adresser au Gouvernement une série de questions qui ne portent pas tant sur l’avenant lui-même que sur le contexte dans lequel il s’inscrit.

S’agissant du premier sujet, l’avenant prévoit que les nouvelles règles relatives aux rémunérations et pensions publiques auront une portée rétroactive, à compter de 2013, afin qu’elles puissent s’appliquer aux contrôles engagés par le Portugal.

C’est une disposition bienvenue. Il se trouve cependant que, dans le cas des binationaux, l’effet de cette rétroactivité n’est pas le même selon qu’ils sont actifs – ils seront alors imposés à la source par la France – ou retraités – ils seront imposés à la résidence, c’est-à-dire par le Portugal, ce qui est a priori moins favorable.

Les règles applicables aux retraités sont conformes au modèle de l’OCDE et ne sont pas contestables sur le fond. Cela étant dit, s’agissant des dossiers en cours, elles placent les quelques rares personnes concernées dans une situation difficile, alors même que les enjeux pour les deux États sont modestes et que chacun semble vouloir faire preuve de bonne volonté.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer s’il est envisageable que le Portugal accepte de clore définitivement ces quelques affaires par une mesure de clémence fiscale, quitte à ce que celle-ci porte sur les seules majorations et pénalités ?

Naturellement, une telle décision relève de la compétence exclusive du Portugal, mais pourriez-vous nous dire si la France a engagé des démarches en ce sens ?

S’agissant du second sujet, celui de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, vous savez, mes chers collègues, qu’une forme d’incertitude plane aujourd’hui sur l’ensemble des conventions fiscales signées par la France. Le 7 juin dernier, les représentants de quelque soixante-seize pays ont signé la convention multilatérale de l’OCDE pour la mise en œuvre des mesures du plan BEPS de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et les transferts de bénéfices. Cet instrument, très ambitieux, va modifier, en une seule fois, les dispositions anti-abus de quelque 1 105 conventions bilatérales dans le monde, dont la convention franco-portugaise.

Or, en l’absence de version consolidée de la convention, il nous est impossible de mesurer précisément la nature et l’ampleur de ces modifications. Nous avons, par exemple, identifié l’une d’entre elles, relative à la notion très importante d’« établissement stable ». Si la France a accepté sans réserve les modifications contenues dans l’instrument multilatéral de l’OCDE, tel n’est pas le cas du Portugal. Par conséquent, cette clause ne s’appliquera pas intégralement, même si cela n’apparaît explicitement nulle part.

Des divergences de ce type, très techniques, sont susceptibles d’apparaître sur d’autres points et dans le cadre d’autres accords.

Monsieur le ministre, pouvez-vous vous engager à ce qu’à l’avenir, dans le cadre de l’examen des conventions fiscales, le Parlement dispose d’une information claire, lisible et exhaustive sur ce que change l’instrument multilatéral, pour chaque stipulation, et dans chaque accord ?

Cela nous semble indispensable à une autorisation éclairée du législateur.

S’agissant ensuite de l’échange d’informations fiscales, la principale source d’information du législateur est le « jaune » annexé au projet de loi de finances pour chaque année, qui permet de juger de la bonne ou de la mauvaise coopération d’un État avec la France. Or ce document n’a été publié ni pour l’année 2015, ni pour l’année 2016, ni, à ce jour, pour l’année 2017, en dépit des engagements répétés du gouvernement précédent, et alors même que tout est en train de changer avec le passage à l’échange automatique.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire si ce document sera publié pour l’année 2017 et, si oui, à quelle date ?

À l’avenir, si le Gouvernement estime que ce document n’est plus le support le plus pertinent, quelles sont les alternatives envisageables pour améliorer l’information du Parlement ?

Pour finir, je souhaiterais évoquer un autre sujet lié à la fiscalité qui concerne la France et le Portugal, bien qu’il ne figure pas dans le présent avenant : il s’agit du statut des résidents non habituels, dits RNH.

Mes chers collègues, vous avez sans doute entendu parler de ce statut fiscal avantageux, auquel nombre de reportages, à la télévision ou dans les hebdomadaires, ont été consacrés.

Il permet aux particuliers qui résident au Portugal plus de 183 jours par an, notamment aux retraités, de bénéficier, pendant une période de dix ans, d’une exonération totale d’impôt sur le revenu sur leurs revenus de source étrangère.

En principe, bien sûr, un tel régime relève de la souveraineté fiscale du Portugal, qui, en tant qu’État de résidence, peut choisir d’exercer ou non son droit d’imposer. Il existe depuis longtemps un consensus international sur le sujet. Mais, par deux décisions de 2015, le Conseil d’État a jugé que, pour se voir reconnaître la qualité de résident fiscal d’un État, il ne fallait pas seulement être imposable dans cet État, mais y être effectivement imposé.

Ces décisions ne portaient pas sur le Portugal, mais pourraient trouver à s’y appliquer, ainsi d’ailleurs qu’à d’autres pays qui offrent des avantages similaires aux retraités étrangers, comme le Maroc. Si tel était le cas, les Français ne pourraient de facto plus bénéficier du statut de résident non habituel au Portugal.

À vrai dire, ce sujet est très complexe et devrait être apprécié au cas par cas, tant les situations sont diverses. Faudrait-il aller jusqu’à refuser les exonérations accordées par certains États en vertu de critères tels que la taille de la famille ou la modestie des revenus ? Une entreprise exonérée en échange de la construction d’une route dans une zone géographique isolée doit-elle être traitée comme un géant du numérique exonéré contre l’achat d’une boîte aux lettres ? La France accepterait-elle qu’un autre État remette en cause son choix d’exonérer les organisateurs des jeux Olympiques de 2024 ?…

Bref, une clarification de la doctrine semble nécessaire.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous donner ici quelques précisions sur la manière dont l’administration fiscale entend faire application de ces décisions du Conseil d’État ?

Dans quels cas celle-ci estime-t-elle légitime qu’un résident d’un autre État puisse être exonéré sur ses revenus de source française, sans pour autant que cela entraîne un redressement équivalent en France ?

Qu’en est-il, en particulier, du cas du Portugal ? Sait-on combien de personnes sont concernées et s’il s’agit surtout d’actifs ou de retraités ?

À titre personnel, il ne me semble d’ailleurs pas forcément opportun d’imposer rétroactivement ceux qui ont choisi ce statut, car ils l’ont fait de bonne foi et en toute conformité avec le droit existant. De plus, la fiscalité n’est pas nécessairement leur motivation principale, car le statut concerne de nombreux binationaux.

Reste qu’il y a bien là une forme de concurrence fiscale offensive, d’ailleurs pleinement assumée par le Portugal, qui offre aussi des golden visas aux étrangers hors Schengen, et comprise comme telle par d’autres pays, à l’instar de la Finlande, qui a négocié une nouvelle convention fiscale mettant fin à cette possibilité.

Au fond, monsieur le ministre, tout pourrait se résumer ainsi : comment le nouveau gouvernement entend-il concilier l’impératif de lutte contre la concurrence fiscale agressive, d’une part, et le respect de la souveraineté fiscale des États, d’autre part ?

Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, il me semble que l’avenant constitue un bon équilibre et qu’il est souhaitable de l’approuver.

Je vous remercie, monsieur le ministre, de bien vouloir répondre à mes différentes questions.

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