Madame la ministre, une question prégnante me taraude : comment donc un salarié peut-il s’épanouir et contribuer à la vie de l’entreprise au sein de l’inquiétant dispositif que vous proposez dans votre texte, et tout particulièrement dans le carcan de mesures prévues à l’article 3 ?
Le sens régressif de ces mesures est clair. Elles visent toutes à conforter les droits de l’employeur et à fragiliser ceux de l’employé. Je ne pense pas que cela renforce le dialogue social et sécurise les travailleurs au sein de l’entreprise. À mon sens, cela ne peut que durcir le dialogue social.
Mon intervention porte plus particulièrement sur le dispositif prévu à l’alinéa 22, c’est-à-dire la promotion, voire la banalisation, des formes de travail précaire et atypique.
Je m’explique : le travail de nuit était, jusqu’à aujourd’hui, considéré par la loi et la jurisprudence comme « ayant un caractère exceptionnel ». Il n’est pas un mode normal d’organisation du travail et ne doit, à ce titre, être mis en œuvre que lorsqu’il est indispensable au fonctionnement de l’entreprise.
Je pensais cette affirmation partagée par le plus grand nombre d’entre nous dans cet hémicycle. Il semble bien que non. Je me rends tristement compte que cette conception du travail, cette conception de l’exceptionnel, est celle-là même qui nous divise.
Avant, nous aurions été nombreux à dire qu’il était indispensable, pour préserver la santé et la sécurité des salariés, de maintenir le caractère exceptionnel du travail de nuit. Car son caractère gravement nuisible à la santé est avéré depuis longtemps : il engendre des effets délétères sur la santé mentale et la vie sociale des employés.
Aujourd’hui, madame la ministre, vous voulez aller plus loin que la loi El Khomri avant même qu’elle ne soit évaluée, en faisant preuve d’une volonté de faire entrer l’exceptionnel dans l’ordinaire. Vous essayez de promouvoir un modèle que je trouve particulièrement déshumanisant pour notre société : celui de l’ubérisation, des « mini-jobs », des contrats de chantier, celui du licenciement expéditif, bref celui de la précarité.