Il y a donc un levier portant sur la compétence, je l’ai dit dès le début de notre discussion lundi dernier ; il s’agit de l’un des éléments essentiels, car, sans elle, on ne peut faire face à un marché – ce sera d’ailleurs l’objet des projets de loi que nous examinerons au printemps prochain sur la formation professionnelle, l’apprentissage et l’assurance chômage. Mais il existe aussi une insécurité juridique dans de nombreux domaines. Nous ne lèverons pas, au travers de ce projet de loi d’habilitation, tous les blocages, mais nous souhaitons en lever un certain nombre, les plus importants.
J’en citerai trois, que j’ai déjà mentionnés dans mon discours introductif, mais sur lesquels je veux revenir.
Il s’agit en premier lieu des barèmes des dommages et intérêts aux conseils de prud’hommes.
Je rappelle, non pas pour votre assemblée, qui a l’expertise, mais pour le grand public, qui n’a pas toujours une connaissance claire des indemnités, les indemnités légales, les indemnités conventionnelles et les dommages et intérêts. Il est de notre devoir d’expliquer d’emblée qu’il y a trois étages différents, deux étages correspondant aux deux types d’indemnités et un étage applicable en cas de contentieux et de jugement défavorable à l’entreprise, à savoir les dommages et intérêts.
Ceux-ci sont particulièrement peu encadrés en France par rapport à d’autres pays. Quelles en sont les conséquences ?
D’abord, pour des cas identiques – je parle bien de situations comparables, dans l’entreprise et y compris du point de vue personnel, par l’âge ou l’ancienneté –, la Chancellerie elle-même estime que les montants varient d’un à quatre. Ainsi, il n’y a bien évidemment pas de visibilité du côté de l’entreprise, mais, même du point de vue du salarié, il peut y avoir un sentiment d’iniquité : quand un collègue qui est dans la même situation touche quatre fois plus ou quatre fois moins de dommages et intérêts qu’un autre, la perception de l’équité n’est pas évidente.
C’est pourquoi, dans tous les domaines, le droit, s’il ne tient pas la main du juge, doit lui donner des repères, encadrer sa réflexion dans un souci d’équité et de visibilité. Le droit doit être équitable et, pour l’être, il doit être connu à l’avance.
Ensuite, la durée des contestations est également très pénalisante. Le contentieux dure en moyenne 21, 9 mois devant les prud’hommes, voire 29 mois en cas de formation de départage ; c’est très long. Or ce n’est pas forcément plus protecteur pour les entreprises ni pour les salariés. Tous ces délais de contentieux en première instance et en appel – je rappelle qu’un licenciement individuel sur cinq fait l’objet d’un recours aux prud’hommes et que 60 % d’entre eux donnent lieu à un appel –, toute cette mécanique, sont le lot quotidien des entreprises et des salariés qui recourent aux prud’hommes.
Cela rend toute projection dans l’avenir très difficile. Pour la petite entreprise ou la TPE qui a cinq ou six salariés, avoir devant soi un an et demi ou deux ans d’incertitude l’empêche d’embaucher ou de se réorganiser. Cela constitue donc un vrai frein.
C’est également vrai pour le salarié. Nous connaissons tous, dans notre entourage, des personnes qui ont fait un recours aux prud’hommes comme salariés – en tout cas, pour ce qui me concerne, vu mon grand âge et mes fonctions antérieures, je connais la situation des deux côtés –, et on sait qu’il est très difficile de se projeter dans l’avenir quand on est en suspens, dans l’attente d’un jugement. Là aussi, penser au délai pour calibrer les choses ne procède pas de « moins de droit », mais de « mieux de droit », si je puis dire.
Certes, toujours pour ce qui concerne ces barèmes, on observe aujourd’hui moins de contentieux aux prud’hommes qu’il y a quelques années, comme cela a été relevé. L’une des raisons principales en est le développement de la rupture conventionnelle, qui a donné lieu à environ 400 000 signatures l’année dernière ; cela relève d’une logique de conciliation, puisqu’il s’agit d’une transaction.
Néanmoins, ce sont surtout les grandes et les moyennes entreprises qui ont recours à la rupture conventionnelle. Les petites entreprises connaissent moins ce mécanisme et ce sont donc surtout elles qui vont aux prud’hommes. Or il intervient ici un autre élément essentiel : la question du fond et de la forme, c’est crucial. Aujourd’hui, le juge statue en droit. Or que dit le droit ? Si la lettre de licenciement est mal rédigée, l’employeur est condamnable.
On trouve ainsi des exemples à foison d’artisans, d’agriculteurs ou de petits employeurs qui sont sanctionnés aux prud’hommes non parce qu’ils sont des voyous ou qu’ils ont fait de mauvaises choses – ce qu’il faudrait évidemment sanctionner –, mais parce qu’ils ont écrit dans leur lettre de licenciement que, ayant perdu un marché, ils ne pouvaient pas garder leur salarié au lieu d’indiquer simplement qu’ils supprimaient le poste. Cela constitue, aujourd’hui, un motif légitime pour condamner un employeur.
Il relève donc de la responsabilité du Gouvernement et du Parlement d’établir un droit plus clair, plus précis, donnant plus de repères, tout en permettant au juge d’apprécier la situation dans sa décision. Il me semble que c’est même un devoir civique que de faire en sorte que le droit soit lisible pour le justiciable, dans tous les domaines ; et, dans ce domaine-là, on a des progrès à faire.
Par ailleurs, nous pensons également que tout ce qui intervient le plus en amont possible est préférable. La rupture conventionnelle du contrat était, selon moi, une bonne réforme. De nombreux efforts ont été réalisés par les gouvernements précédents pour renforcer la conciliation, et nous voulons continuer dans cette direction, qui est la bonne. Cela dit, il y aura évidemment toujours des cas où il faudra aller aux prud’hommes, et ce sont ceux que nous visons.
C’est aussi dans cette volonté de favoriser un règlement en amont que nous souhaitons augmenter les indemnités légales de licenciement, qui s’élèvent, je le rappelle, à un cinquième de mois par année d’ancienneté, soit plutôt dans la moyenne basse en Europe. Tout ce qui est fait en amont doit permettre de libérer les juridictions et de réserver aux prud’hommes ce qui constitue de vrais contentieux, dans lesquels on n’a pas réussi à se mettre d’accord, dans lesquels il y a un conflit de fond, un préjudice. Là, c’est tout à fait normal, on a besoin des prud’hommes, du juge, pour sanctionner.
Je suis volontairement très détaillée, très opérationnelle, parce que toutes ces données mises bout à bout suscitent un engorgement des conseils de prud’hommes pour des sujets qui ne sont pas tous, en réalité, de fond – les sujets de fond doivent évidemment, je le répète, être traités, sanctionnés, il n’y a aucun débat sur ce point.
En deuxième lieu, certains d’entre vous ont évoqué les différents types de contrats ; ce sujet est relié au rôle des branches, évoqué à l’article 1er.
À la demande des partenaires sociaux, et plutôt d’ailleurs des organisations syndicales de salariés, nous avons ajouté dans les dispositions de branche, avec verrou obligatoire – c’est non pas l’entreprise qui définit les règles, mais la branche –, la possibilité, non l’obligation, pour la branche de définir de la norme sociale, encadrée par la loi, dans le domaine de la gestion et de la qualité de l’emploi, notamment dans celui des contrats courts – CDD, intérim –, et de mettre en place, dans certaines conditions et dans certaines branches, l’équivalent du contrat de chantier. Pourquoi ? Pour faire face à toute une série de situations ; je pense en particulier à un cas qui s’est présenté, voilà quelques mois, dans la construction navale.