Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, madame la ministre, mes chers collègues, nous allons à nouveau légiférer. Au-delà des attitudes et des formules d’éloquence, examinons donc de près pourquoi il faut de nouveau légiférer et sur quoi nous allons nous prononcer.
La menace pour la sécurité de nos concitoyens du fait de mouvements terroristes persistants va se poursuivre. Sans esquisser un panorama trop large, nous savons bien que le changement de situation au Proche-Orient et la réduction progressive des capacités opérationnelles de Daech ne sont pas, à court terme au moins, un facteur d’allégement de la menace sur notre sol et sur notre population. Voilà pourquoi il faut légiférer.
Le chef de l’État a souhaité, comme nous tous déjà avant le 14 juillet 2016, que l’on mette fin à l’état d’exception que constitue l’état d’urgence. De ce fait, il faut examiner précisément, textes à la main, quelles sont les mesures de limitation et de prévention du risque dont nous avons besoin.
Si nous voulons être précis et objectifs, respectons le contenu de la loi sur laquelle nous allons nous prononcer. Elle comporte en réalité quatre dispositions nouvelles.
Deux d’entre elles sont des dispositions de police administrative que nous appliquons en permanence.
La première autorise la création de périmètres de protection. Au cours de la semaine passée, dans combien de nos communes avons-nous dû organiser le 14 juillet avec des contrôles accrus par rapport à ceux des périodes antérieures ? En nous appuyant sur des dispositions légales un peu fragiles, il nous a fallu organiser des limitations d’accès aux zones de spectacle et des fouilles de sac sur instruction de nos préfets, avec un léger risque d’irrégularité. Qui peut prétendre y voir une atteinte aux libertés ? Qui ne voit qu’il s’agit au contraire du moyen de concilier la liberté, l’initiative culturelle et festive, avec l’exigence de la prévention du terrorisme ?
La deuxième est relative à la fermeture des lieux de culte. Ceux d’entre nous qui ont quelque appétence historique savent que, dès l’origine, la loi de 1905, dans son article 35, sanctionnait pénalement les propos prononcés lors de l’exercice du culte et constituant une atteinte à l’ordre public. En outre, la possibilité de prévenir de tels troubles existe par décision administrative depuis l’arrêt Benjamin rendu par le Conseil d’État en 1933.
Par rapport au droit commun de la police administrative, le dispositif proposé par le Gouvernement présente l’avantage de permettre l’action dans le temps le plus réduit possible et, en même temps, d’assurer les droits de la défense de l’association cultuelle ou de l’officiant qui serait mis en cause.
Deux mesures de ce projet de loi, et deux seulement, apportent une limitation aux libertés individuelles, tempérée et organisée. Il s’agit, d’une part, de la possibilité de visites avec saisie sur décision administrative et, d’autre part, de ce que j’appellerai une limitation individuelle de mouvement et de contact.
Dans leur substance, ces deux mesures diffèrent respectivement de la perquisition administrative et de l’assignation à résidence. Dans les deux cas, ces mesures nouvelles sont des outils indispensables à la poursuite d’une activité de renseignement qui fournit l’énergie nécessaire à la lutte effective contre le terrorisme.
La visite avec saisie est nécessaire, comme l’a dit M. le ministre d’État, pour repérer des situations dans lesquelles des poursuites judiciaires ne peuvent être engagées, parce qu’elles seraient infructueuses, et permettre une action de prévention en temps utile pour empêcher la préparation d’actes de terrorisme.
Cette mesure a un caractère intrusif ; par conséquent, la commission et le Gouvernement sont d’accord pour prévoir qu’elle soit précédée par l’autorisation d’un magistrat judiciaire, le juge des libertés et de la détention. Où est donc l’atteinte à la liberté individuelle, puisque cette procédure permet de vérifier l’adéquation de la mesure aux nécessités de la sécurité nationale ?
Quant à la limitation de mouvement, c’est typiquement une mesure de police administrative qui apparaît comme une mesure restrictive de liberté au sens où l’entend le Conseil constitutionnel. Elle doit être prise par l’administration et non par un juge. Une telle limitation prononcée par un juge supposerait qu’une procédure judiciaire complète ait eu lieu, alors qu’il y a éventuellement urgence.
Cette limitation de mouvement et de contact est donc organisée dans le projet de loi. Là encore, après un dialogue qui s’est poursuivi ces derniers jours, un accord a été trouvé entre le Gouvernement et la commission pour que des dispositions d’encadrement procédural strictes accompagnement cette mesure. Il s’agit d’éviter que cette mesure de contrainte soit d’appréciation trop générale, donc susceptible d’être détournée.
D’ailleurs, je note que, parmi ceux qui proclament leur hostilité à ce projet de loi, aucun ne conteste sur le fond ses dispositions.
J’ai aussi relevé une mesure, plutôt d’inspiration libérale, qui a pour objet de fixer le cadre légal des interceptions des liaisons hertziennes. Ce dispositif ancien n’était pas vraiment encadré, et il avait été abrogé pour ce motif par le Conseil constitutionnel. La lacune est ainsi réparée.
Si l’on examine les critères de l’État de droit, force est de constater qu’ils sont satisfaits par le projet de loi. De toute façon, ses contempteurs le porteront devant le Conseil constitutionnel, sous une forme ou sous une autre, et cette conformité sera examinée.
Pour autant, je le répète, je constate que les critiques portées contre ce projet de loi correspondent plus à des postures et ne portent pas sur son contenu.
Il me semble que le Sénat fait son travail en répondant au Gouvernement sur les objectifs de ce texte et en fixant un cadre.
En menant ce travail de législateur, nous revient à l’esprit la discussion d’Antigone et de Créon. Rappelons-nous : comme le narre Sophocle, quand Créon prenait cette responsabilité, la cité était menacée. En ce qui nous concerne, nous sommes aussi menacés, donc nous pouvons nous placer dans la position de Créon tout en respectant les principes des Lumières.