Intervention de François Bonhomme

Réunion du 4 août 2017 à 15h00
Confiance dans la vie politique — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, plus personne ne l’ignore, la commission mixte paritaire, réunie mardi dernier, n’a pas été en mesure de trouver un accord sur ce projet de loi organique.

Cette absence d’accord illustre des approches radicalement différentes des deux assemblées qui ont examiné ce texte.

Les choses avaient pourtant bien commencé, et l’on ne dira jamais assez combien le patient travail de notre président-rapporteur a permis de faire adopter par l’Assemblée nationale un grand nombre de dispositions ambitieuses introduites par le Sénat dans le projet de loi ordinaire.

Nous étions partis d’un texte lacunaire, qui témoignait d’une volonté insidieuse d’introduire le soupçon – du moins le doute – à l’égard des élus. Le contenu du texte était fort éloigné d’une conception de l’éthique qui s’imposerait à l’ensemble des acteurs de la vie publique.

Le Sénat a permis de rééquilibrer le projet de loi ordinaire, afin de concilier la nécessité de la transparence de la vie publique et le respect des droits et libertés fondamentaux.

En revanche, s’agissant du projet de loi organique, la commission mixte paritaire n’est pas parvenue au même résultat, en raison essentiellement d’un profond désaccord sur la suppression de la réserve dite « parlementaire ».

Je regrette profondément que ni l’Assemblée nationale ni le Gouvernement n’aient souhaité entendre la voix de nos collectivités territoriales.

Tout d’abord, j’aimerais rappeler quelques réalités sur ce dispositif que l’on appelle la « réserve parlementaire ».

Que n’a-t-on dit à son sujet, entre approximations, balivernes et fantasmagories ? Contrairement à ce qui a été affirmé dans les médias et dans le discours du Gouvernement, la dotation d’action parlementaire n’est pas une somme d’argent distribuée arbitrairement par un parlementaire. Il s’agit de crédits inscrits en loi de finances, essentiellement au bénéfice de projets d’investissement locaux, comprenant des pièces de dossier instruites et contrôlées par le ministère de l’intérieur et par les préfectures.

Ce n’est donc pas une manne insaisissable et floue que chacun répandrait et dilapiderait selon son humeur et sa prodigalité. Au contraire, ce sont souvent des aides qui peuvent se révéler essentielles pour des projets d’investissement de petites communes qui n’auraient pas eu d’appui financier autrement.

En outre, le mécanisme d’attribution est parfaitement transparent. Chacun peut d’ailleurs le mesurer puisque le Sénat met en ligne, en open data, la liste des opérations d’investissement local, avec toutes les précisions nécessaires.

Chacun y trouvera des projets d’accessibilité pour les personnes handicapées, de préservation du patrimoine culturel ou de rénovation de crèches. On dira que c’est une liste baroque ou un inventaire à la Prévert. Il n’y a cependant rien de dégradant ou d’infamant à participer à faire émerger de tels projets, importants pour des territoires ruraux souvent oubliés.

Le Sénat s’est toutefois montré prêt à travailler avec le Gouvernement.

Nous avions élaboré un dispositif alternatif répondant aux exigences de transparence et préservant, en même temps, les ressources des collectivités locales.

Nous avions proposé la création d’un fonds de soutien à l’investissement réservé aux communes et à leurs groupements, renforçant les garanties en matière de transparence, avec des critères d’éligibilité.

Nous avions proposé la participation de droit de tous les parlementaires aux commissions attribuant la DETR.

Nous avions aussi renforcé les exigences de publicité s’agissant de la réserve dite ministérielle, avec une publication annuelle en open data.

La chronique parlementaire retiendra que le Sénat s’est montré prêt à renforcer les exigences de transparence dans l’attribution de ces fonds tout en proposant un dispositif alternatif sécurisant les ressources des communes et sanctuarisant une dotation de solidarité.

En commission mixte paritaire, notre président-rapporteur a, inlassablement, proposé un chemin de compromis, main tendue malheureusement refusée.

Cette fin de non-recevoir intervient dans un contexte budgétaire et financier plus difficile que jamais pour les collectivités locales, sur qui repose l’essentiel de l’effort financier de réduction des déficits publics, déficits dont l’État est le premier et principal auteur.

Cette situation est particulièrement déresponsabilisante.

En trois ans, c’est une ponction de 11 milliards d’euros qui a été réalisée sur les budgets locaux. Pour les cinq prochaines années, c’est une réduction de 13 milliards d’euros qui a été annoncée, à laquelle s’ajouteront la suppression de la taxe d’habitation et le gel de 80 % des crédits destinés à l’équipement des territoires ruraux et au soutien à l’investissement local.

C’est un camouflet aux 500 000 élus locaux, bénévoles pour la plupart, que vous allez achever de décourager, alors même qu’ils mesurent chaque jour la nocivité de la loi NOTRe et ses funestes conséquences.

Madame la ministre, comment voulez-vous que le Sénat, représentant des collectivités locales, accepte de supprimer ce levier de développement local en direction de multiples petits projets ?

Le Gouvernement et sa majorité sont restés engoncés dans leurs certitudes et ont soigneusement évité de rechercher une alternative à cette suppression pure et simple. Et que dire de l’attitude des députés membres de la commission mixte paritaire qui ont mécaniquement adopté une position a priori qualifiée de non négociable, affichage d’intention oblige ?

À travers la suppression de la réserve parlementaire, vous avez recherché un totem pour cette loi de moralisation.

Je dis « moralisation », car, bien que vous ayez donné un autre titre au texte, cette moralisation vous est revenue en boomerang avec la démission de quatre ministres. Il est même possible que cela finisse comme le sparadrap dont le capitaine Haddock n’arrive pas à se débarrasser en dépit de ses gesticulations…

Je dis « totem », car, pour mettre fin à cette pratique, il suffisait au Gouvernement de ne pas déposer d’amendement abondant la ligne budgétaire au moment de la prochaine loi de finances. Mais vous avez recherché à tout prix, sur fond déclamatoire pour mieux le brandir, un symbole plutôt qu’une analyse proportionnée et raisonnable, manifestant par là une forme d’infantilisme dans cette préférence donnée à l’affichage des bonnes intentions, au détriment de l’amélioration d’instruments et d’outils de développement local.

Je dis « infantilisme », car je ne peux m’empêcher de penser à Milan Kundera, qui disait que la maturité, politique en l’espèce, se mesure à la capacité à résister au symbole.

Je vous donne rendez-vous à l’automne, car le juge constitutionnel censurera probablement cette disposition dénuée de toute force normative.

Madame la ministre, vous comprendrez que la chambre qui représente les collectivités locales ne puisse suivre l’Assemblée nationale sur un chemin aussi hasardeux qu’incertain. Elle revotera donc le texte proposé par notre président-rapporteur, qui aurait dû vous inspirer bien plus fortement.

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