Intervention de Éric Doligé

Réunion du 18 novembre 2010 à 15h00
Loi de finances pour 2011 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Éric DoligéÉric Doligé :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, nous savons tous que l’exercice budgétaire n’est pas simple. Il l’est d’autant moins cette année que nous sommes toujours dans une période de tourmente internationale qui nous touche directement, même si les mesures prises dans le cadre de la relance ont permis d’atténuer le creux que nous aurions pu connaître, comme bien d’autres pays européens.

Comme toujours, chacun s’accorde sur la nécessité de faire des efforts, à condition qu’ils ne touchent que les autres. À titre personnel, je m’intéresse plus particulièrement à la mission « Outre-mer », qui doit vous être chère, monsieur le ministre, et à la mission « Sécurité civile ». J’interviendrai sur ces deux missions dans la suite du débat.

Dans mon propos de ce jour, j’insisterai sur la situation des finances des collectivités locales. Si l’État peine à établir son budget – permettez-moi, monsieur le ministre, de saluer le travail que vous avez réalisé et les grandes orientations que vous avez tracées ! –, les collectivités locales, et principalement les départements, peinent encore davantage que l’État.

L’analyse globale des budgets des collectivités territoriales montre que le bloc regroupant les communes et les intercommunalités se trouve dans une situation globalement équilibrée : le montant de leurs charges a progressé de 2 % en 2010, tout comme le montant de leurs recettes.

Les charges des départements ont progressé de façon insupportable, en raison du poids considérable des dépenses sociales : ainsi, on estime que le différentiel entre la croissance des charges et celle des recettes s’élève à 8 points ! Cette situation se traduit par un « effet de ciseaux » qui étouffe ce niveau de collectivités : dans deux ans, ou plus, seul un département conservera une faible capacité d’autofinancement.

Peut-on considérer que l’enjeu budgétaire dont nous débattons concerne seulement l’État, ou doit-on prendre en considération le devenir du niveau départemental ? Je crois savoir que l’État est bien conscient de son rôle : il a su user, à juste titre, de la décentralisation pour transférer certaines de ses compétences, mais aussi beaucoup de ses charges. Ces transferts ont joué le rôle de variable d’ajustement budgétaire : certains chiffrent cette variable en milliards d’euros. Je n’engagerai pas maintenant le débat sur ce sujet, nous saurons le faire à un autre moment.

Vous savez également, mes chers collègues, que nombre de décisions prises au niveau de l’État et du Parlement ont des conséquences sur le budget des collectivités locales. Je citerai pêle-mêle : la revalorisation des salaires, les normes, les niveaux de prestation ou les populations concernées. Le niveau centralisé oriente et décide, le niveau local assume.

M. le ministre Baroin indique, à juste titre, que l’État est, ou se veut, vertueux au niveau des finances publiques, que l’État ne souhaite pas augmenter les impôts – avec un taux de prélèvements obligatoires de 56 %, nous pouvons le comprendre ! –, que l’État ne peut plus accepter que la France soit dans le peloton de tête des prélèvements obligatoires, que l’État doit maîtriser les finances publiques et, enfin, que l’État a confirmé la stabilisation – nous dirons plutôt le gel ! – de ses concours aux collectivités locales, hors Fonds de compensation de la TVA.

Je suis en accord à 100 % avec ces propositions ! Je ne conteste pas le gel des concours aux collectivités locales : il est nécessaire, et chacun doit accomplir des efforts.

En ce qui me concerne, mon credo n’a pas varié : nous devons nous battre pour la compétitivité de nos entreprises. Je ne puis donc qu’approuver les propos tenus en ce sens par Mme Lagarde ce matin. En effet, ces entreprises sont notre richesse ; elles seules nous permettent de développer notre pays et nos territoires, et donc d’assurer notre demande sociale et environnementale. À ce titre, j’ai toujours agi pour que le département que je préside reste parmi les moins imposés et les moins dépensiers. Cependant, je m’interroge en cet instant sur l’intérêt d’être vertueux. Si j’en avais le temps, je vous démontrerais facilement que notre société a fortement tendance à pénaliser les vertueux.

Permettez-moi d’effectuer un arrêt sur image, une image pour l’instant bien sombre, que nous aurons à éclaircir au fil des jours à venir : le projet de loi de finances pour 2011, adopté très tôt ce matin par l’Assemblée nationale en première lecture, comporte, en son article 61, un mode de calcul savant, dont je suppose que moins de 1 % de ceux qui l’ont approuvé comprennent les conséquences réelles sur le plan budgétaire. Ce mode de calcul résulte d’un amendement adopté contre l’avis du Gouvernement et porte sur la répartition des sommes versées par le Fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux.

Je suis scandalisé – et je sais ne pas être le seul dans ce cas ! – par la manière dont ce sujet est traité. Elle n’est pas digne dans la forme : depuis des mois, je vois circuler des tableaux sur le sujet ; ils circulent sous le manteau et, après en avoir pris connaissance, vous apprenez qu’ils sont faux ! À titre d’exemple, entre le calcul qui relevait d’un accord sur lequel nous travaillions depuis des mois au niveau interministériel et le calcul qui semblait ressortir du vote de l’Assemblée nationale, je constate une aggravation du déséquilibre budgétaire de mon département, équivalente à 15 milliards d’euros si elle était rapportée à l’échelle du budget de l’État. Que diriez-vous, monsieur le ministre, si nous aggravions le déficit de l’État de 15 milliards d’euros dans la nuit ?

En cet instant, je vous déclare solennellement que, si nous devions en rester à cet état du texte, je voterai sans hésitation contre ce projet de loi de finances lors du vote final ! Et rien ne me fera fléchir, car personne n’est en droit de me demander de pousser la collectivité que je préside à se faire hara-kiri !

Nous avons déjà connu un désagrément particulier lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Nous souhaitions en effet que les allocations familiales versées au titre des enfants dont les départements assurent la tutelle – dans le cas de mon département, ils sont au nombre de 1 500 environ – ne soient plus versées en totalité aux familles, puisque les départements assurent 100 % des charges. Cette demande relevait de la pure logique, mais la logique est parfois absente de nos enceintes parlementaires !

Ce projet de budget, s’il est globalement satisfaisant, compte tenu de la situation que nous connaissons, aura des conséquences insupportables pour certaines collectivités locales, en raison de son article 61. Je ne pourrai donc le voter en l’état si aucune évolution n’est enregistrée sur ce point. Par ailleurs, je rappellerai qu’une modification de cet article serait sans conséquence sur l’équilibre budgétaire national.

Le Président de la République a évoqué, dans son intervention de mardi soir, la prise en charge de la dépendance, qui aura des conséquences sociétales évidentes, avec une traduction budgétaire pour les départements ; d’autres collègues en ont parlé avant moi. Il faudra apporter impérativement, au cours du premier trimestre de 2011, une réponse claire, chiffrée et bien définie dans le temps, à cette cause d’hémorragie financière pour les départements.

Aucune des réponses envisageables ne peut aujourd’hui être considérée comme étant la bonne solution. En revanche, plusieurs pistes doivent être explorées, de manière indépendante ou complémentaire. J’en citerai quatre, mais il peut en exister d’autres : la solution assurantielle, la contribution sociale généralisée, le recours sur succession ou la journée de solidarité. Cette dernière solution, qui ne retient pas véritablement l’attention aujourd’hui, est peut-être celle qui tiendra la corde dans six mois.

Lorsque la solidarité est en cause, il faudrait peut-être que chacun se sente concerné et accepte de laisser de côté ses propres égoïsmes ! Ce matin, lors de la réunion de la commission des finances qui a précédé l’ouverture de ce débat, nous avons évoqué les quatre milliards d’euros promis pour le Grand Paris. Finalement, cette somme sera trouvée, parce qu’une volonté s’exerce en ce sens au plus au niveau de l’État. Je remarque que les cent départements constatent un manque de financement dû au dérapage de leurs dépenses sociales – vieillesse, handicap, etc … – d’un montant de quatre milliards d’euros, pour lequel on leur proposera peut-être une compensation de 150 millions d’euros.

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