Intervention de Jean-Jacques Jégou

Réunion du 18 novembre 2010 à 15h00
Loi de finances pour 2011 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Jacques JégouJean-Jacques Jégou :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, notre pays connaît la plus grave crise de ses finances publiques depuis l’après-guerre.

La réduction de nos déficits et de notre endettement constitue le plus grand défi des prochaines années. Le Premier ministre a raison lorsqu’il déclare, comme il l’a fait en début de semaine, que « la priorité absolue, c’est la lutte contre les déficits et la réduction de la dépense publique ». Il est regrettable que cette priorité n’ait pas été fixée il y a trois ans, en mai 2007...

Bien entendu, je n’ignore pas la crise, ni ses conséquences sur la dégradation de nos comptes publics, mais elle n’explique pas tout. Et la Cour des comptes a clairement montré que notre déficit et notre endettement avaient commencé à se détériorer avant la crise et que ce déficit était, en grande partie, structurel.

Depuis dix ans, notre pays a perdu 100 milliards d’euros de recettes fiscales en baissant les impôts. Cette perte de recettes fiscales explique en partie les déficits et la dette, sachant que, pendant ce temps, les dépenses continuaient à augmenter d’environ 40 milliards d’euros chaque année.

La réduction des déficits publics est donc urgente et nécessaire, car une telle situation fait peser une menace réelle sur notre pays. La progression des charges d’intérêts de 5 milliards d’euros par an ôte toute marge de manœuvre budgétaire au Gouvernement. Ces charges atteindront prochainement 50 milliards d’euros, et même 55 milliards d’euros en 2012 ; plusieurs de nos collègues, appartenant aussi bien à la majorité qu’à l’opposition, ont mentionné ce chiffre que l’on ne peut passer sous silence ! Je pense également au risque de fragilisation de la signature de la France sur les marchés.

Le Gouvernement affirme, et son message est repris en chœur par la majorité, qu’il a entrepris avec ce budget une réduction historique du déficit public. Regardons les chiffres de plus près : la baisse de 60 milliards d’euros du déficit est atteinte uniquement grâce à la disparition des dépenses exceptionnelles de l’année 2010, c’est-à-dire les 35 milliards d’euros du grand emprunt, les 14 milliards d’euros du plan de relance et le moindre coût de la taxe professionnelle. L’effort de réduction du déficit par le Gouvernement se limite alors à une dizaine de milliards d’euros pour le budget de l’État, cependant que la croissance de la dépense publique se poursuivra en partie, à cause de l’augmentation du poste des charges de la dette à hauteur de 4, 5 milliards d’euros.

Ce constat signifie que, pour arriver à réduire le déficit public de 7, 7 % à 6 % du PIB, le Gouvernement a recours à des prélèvements ; qu’ils soient rebaptisés réduction de dépense fiscale, reconstitution des recettes ou augmentation d’impôts, peu importe : la réalité est là ! Certes, la reprise de croissance permettra d’encaisser des recettes nouvelles, mais la majeure partie de ces recettes sera due à la progression des prélèvements obligatoires, puisque leur taux passera de 41, 9 % à 42, 9 % du PIB en 2011.

Il ne faut pas le nier et regarder la vérité en face : en 2011, les impôts augmenteront, pesant sur les ménages et les entreprises, sous la forme d’une série de mesures qui ont pour avantage de préserver fictivement le dogme présidentiel d’une non-augmentation généralisée des impôts. Sans évoquer les réductions de niches qui sont aussi, qu’on le veuille ou non, une augmentation d’impôt, on pourrait citer l’augmentation de la dernière tranche de l’impôt sur le revenu de 40 % à 41 %, l’augmentation de la taxation des plus-values mobilières et immobilières, les taxes sur les assurances, l’augmentation de la TVA sur les offres triple play. Oui, les impôts augmentent. Mieux vaut le dire, plutôt que de le faire subrepticement en le niant !

La question qui reste alors en suspens est la suivante : comment, une fois les mesures exceptionnelles disparues, le Gouvernement pourra-t-il tenir son objectif de ramener le déficit de 6 % à 4, 6 % du PIB en 2012 ? En effet, les recettes liées à l’hypothèse de croissance annuelle de 2, 5 % en 2012, 2013 et 2014 sont incertaines, puisque le taux de croissance annuel moyen sur les dix dernières années, hors crise, s’établit à 1, 5 %. Retenir une hypothèse de cet ordre aurait été beaucoup plus raisonnable et réaliste. Je doute de la capacité du Gouvernement à prendre les mesures qui permettront à notre pays d’atteindre ce niveau de déficit, surtout à la veille de l’élection présidentielle !

Nous devrons donc faire un effort sur la dépense publique sans commune mesure avec ce qui est prévu en 2011 et faire progresser les recettes. Sinon, notre endettement dépassera les 90 % du PIB. Or, à un tel niveau d’endettement, les intérêts de la dette commencent à asphyxier le budget et les possibilités d’investissement, au point d’hypothéquer la croissance future.

Ces considérations donnent le sentiment que le Gouvernement reporte après l’élection présidentielle de 2012 les décisions nécessaires, qui demanderont du courage : elles incomberont au Président de la République nouvellement élu.

Chaque année, nous perdons du temps, et les sacrifices à consentir seront d’autant plus importants que l’on reportera les décisions qui s’imposent. Nous n’aurons plus d’autre choix que de trouver de nouvelles recettes, c’est-à-dire, pour l’exprimer en termes moins pudiques, d’augmenter les impôts et de diminuer réellement la dépense pour redresser les comptes publics. Les Français sont capables d’entendre un discours de vérité et d’accepter les réformes structurelles et les efforts, s’ils sont justement répartis.

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