Intervention de François Marc

Réunion du 18 novembre 2010 à 15h00
Loi de finances pour 2011 — Suite de la discussion d'un projet de loi

Photo de François MarcFrançois Marc :

Soyons lucides, mes chers collègues : la crise est loin d’être finie. Malgré les 5 000 milliards de dollars d’aides publiques injectés dans le système financier mondial, la situation reste très tendue. La réunion de Séoul du G 20 l’a encore souligné.

De nombreux économistes considèrent que les mesures exagérément drastiques d’austérité vont mener à une croissance anémiée et surtout très pauvre en créations d’emplois.

Si l’on en croit l’édition 2010 de France, portrait social, qui a été publiée hier par l’INSEE, la pauvreté fait tache d’huile dans notre pays. Dans ces conditions, ces choix budgétaires nous apparaissent contestables, car porteurs de risques pour nos concitoyens.

Aux États-Unis, on s’efforce en ce moment d’accompagner la reprise d’une manière très active. À l’inverse, vous supprimez le plan de relance, vous amputez les grands budgets d’intervention de l’État et vous imposez un plan de rigueur aux collectivités locales. Croyez-vous réellement qu’une économie française léthargique permettra d’assainir durablement nos finances publiques ? On a le sentiment que la croissance est laissée pour compte !

Vous me répondrez sans doute que tout cela est bien beau, mais que l’argent public est rare aujourd’hui et que l’on ne peut pas tout faire ! Mais, monsieur le ministre, comment en êtes-vous arrivés là ? Pourquoi êtes-vous contraints à des choix budgétaires aussi douloureux ? La dette publique a doublé en une décennie. Devant ce « mur de la dette », vous invoquez des choix budgétaires inéluctables. Mais à qui la faute ? Depuis 2002, la droite n’a pratiquement jamais respecté les règles budgétaires des traités européens. Pendant le cycle de croissance d’avant-crise, la France a été la seule nation – avec la Grèce – à ne pas réduire son déficit. En diminuant sciemment les recettes, vous avez laissé filer les déficits. Tous les cadeaux fiscaux ont été financés à crédit, au détriment des générations futures ! §

Chacun a en tête le rapport de la Cour des comptes, qui nous rappelle que le déficit public est foncièrement d’ordre structurel puisque, sur 120 milliards d’euros de déficit hors opérations d’investissement de 2010, 80 milliards d’euros correspondent au manque à gagner résultant des cadeaux fiscaux accordés depuis 2002.

Êtes-vous capables d’assumer devant les Français les conséquences d’une telle politique financière et fiscale ? Certes, vous en venez à reconnaître du bout des lèvres l’erreur politique majeure commise par la droite depuis 2002 en matière de recettes, et vous parlez par euphémisme de la nécessaire « reconstitution des recettes » ou de la possible remise en cause du bouclier fiscal, considéré comme un « symbole d’injustice » ! Néanmoins, cette amorce de conversion vous contraint à agir dans l’urgence, à l’aveugle, à partir d’hypothèses de croissance très peu réalistes et dans une transparence toute relative. Deux poids, deux mesures : voilà ce que comprennent nombre de nos concitoyens en voyant la teneur de vos arbitrages budgétaires.

En définitive, ce projet de loi de finances confirme l’échec de la stratégie financière et fiscale conduite depuis 2002 en France. Vous avez voulu imprégner le pays de l’idée maîtresse du libéralisme, selon laquelle, en déversant des cadeaux fiscaux sur les plus riches, l’abondance finirait par ruisseler jusqu’au plus bas de l’échelle des revenus… Force est de constater, monsieur le ministre, mes chers collègues, que rien de tel ne s’est passé depuis 2002. Alors que l’on nous annonçait une corne d’abondance, les déficits publics se sont creusés massivement, la dette s’est envolée et les inégalités se sont accentuées. On nous parlait, à propos du paquet fiscal, d’un « cocktail gagnant », formule qui avait fait florès à l’époque ! Eh bien ce fameux cocktail gagnant s’est révélé en définitive être un breuvage empoisonné.

Comment réagir, comment faire pour relancer efficacement la machine anti-chômage ?

J’estime, pour ma part, qu’obtenir un taux élevé de croissance doit constituer une priorité immédiate. Une croissance régulière de 2, 5 % à 3 % par an est indispensable pour stopper la fuite en avant dans l’endettement, relancer l’emploi et répondre aux attentes en matière d’investissements d’avenir. Le développement économique doit, à cet égard, pouvoir s’appuyer sur l’efficacité des secteurs qui échappent en tout ou partie aux marchés : je veux parler de l’éducation, de la santé, des infrastructures ou de la recherche.

L’attractivité et la compétitivité de notre pays nécessitent des infrastructures et une main-d’œuvre de qualité. À cet égard, le sondage dont les résultats ont été publiés le 11 octobre dernier par le quotidien La Tribune sous le titre « Les entreprises de croissance veulent plus d’État » ne dit rien d’autre. Cela suppose, mes chers collègues, des investissements publics importants, qu’il faut financer. De ce point de vue, vos choix budgétaires paraissent bien timorés.

La généralisation du très haut débit, par exemple, exige des sources nouvelles de financement. Les conclusions du récent rapport de notre collègue Hervé Maurey sur le financement des infrastructures à très haut débit ne trouvent hélas, dans ce projet de budget, aucun écho. Quant au schéma national des infrastructures de transports, le SNIT, d’un coût prévisionnel de 170 milliards d’euros d’ici à 2025, aucun fonds n’est pour l’heure annoncé pour le financer, alors qu’il s’agit d’un indispensable investissement d’avenir.

Sur quels acteurs s’appuyer pour mettre en œuvre cette dynamique de croissance que nous appelons de nos vœux ? Pour ma part, j’estime qu’il faut davantage faire confiance aux initiatives locales et traiter les collectivités territoriales en partenaires actifs et reconnus.

Vous savez très bien que l’autonomie fiscale n’est pas contradictoire avec l’équilibre des finances publiques de la nation. Je rappelle, à cet égard, que les collectivités territoriales n’ont contribué que très marginalement à la dégradation des équilibres financiers du secteur public, en termes tant de déficit que de dette. Dans ces conditions, pourquoi stigmatiser comme vous le faites la dépense publique locale ? L’État a pris le parti de se défausser sur les collectivités territoriales et de les installer dans la précarité financière.

Pourquoi affaiblir ainsi l’action publique locale ? L’édition d’aujourd’hui du journal Les Échos nous apprend que les investissements des collectivités territoriales ont régressé de plus de 2 % dès 2010. Qu’en sera-t-il dans les années à venir ? On peut craindre un renforcement de ce taux de décroissance, ce qui serait très inquiétant.

L’objectif commun n’est-il pas de promouvoir dans notre société un développement durable réel et porteur d’avenir ? La mise en œuvre d’un plan de soutien à l’investissement local en faveur des transports collectifs, des économies d’énergie ou de l’habitat de haute qualité environnementale pourrait concourir à la réalisation de cet objectif. Au lieu de cela, ce projet de budget entérine un recul avéré, et largement dénoncé, de la décentralisation.

Mon analyse est par conséquent que la croissance exige une politique économique et budgétaire plus ambitieuse, et d’abord la confiance ; or celle-ci est, à ce jour, loin d’être au rendez-vous.

La croissance passe en outre par un effort réel de solidarité ; or votre bouclier fiscal en exonère au contraire totalement les plus riches. Vous avez ainsi créé, dans notre pays, un sentiment d’injustice très démobilisateur. Admettez-le, l’existence du bouclier fiscal est un véritable scandale au cœur de notre République.

La croissance exige, par ailleurs, une ambition européenne renouvelée, car c’est de l’Europe unie que peut venir une véritable dynamique d’investissement et les nouveaux moyens financiers nécessaires. La France reste-t-elle porteuse d’une réelle ambition européenne ? Nous aimerions en être certains.

Enfin, la croissance doit s’appuyer sur un discours de vérité et de transparence quant à l’état financier du pays. Vous devez reconnaître objectivement devant les Français les erreurs stratégiques commises depuis 2002.

En conclusion, je voudrais affirmer ma conviction que seule une autre politique budgétaire, fondée sur la justice fiscale, l’efficacité de la dépense publique et une réforme en profondeur des prélèvements obligatoires, permettra un redressement durable et équilibré de notre pays.

La situation appelle, en effet, un véritable sursaut : de la fin des années quatre-vingt-dix à aujourd’hui, la production industrielle française a reculé de 10 % et l’emploi industriel de 20 % ; la part de marché de la France dans le commerce mondial est passée de 6, 5 % à 3, 7 % ; le nombre d’entreprises exportatrices a baissé de 110 000 à 91 000, contre 245 000 en Allemagne et 200 000 en Italie ; enfin, la balance commerciale de la France est passée d’un excédent équivalent à 1 % du PIB à un déficit s’élevant à 3 % du PIB.

Les multiples causes probables de cette situation ont toutes une racine commune, à savoir l’incapacité à s’investir efficacement dans des projets d’avenir et à promouvoir un nouveau modèle de croissance. Le projet de budget pour 2011 n’apporte pas, hélas ! les réponses appropriées que l’on était en droit d’attendre. Nous ne pourrons donc le voter en l’état.

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