Intervention de Muriel Jourda

Réunion du 17 octobre 2017 à 14h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Muriel JourdaMuriel Jourda :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis ici pour débattre d’un projet ambitieux de réforme de notre droit civil, un projet nécessaire, qui est l’aboutissement d’une longue réflexion relative à l’adaptation de notre droit aux enjeux économiques contemporains.

Comme vous le savez, le droit des obligations que nous connaissons aujourd’hui est issu de la lettre du code civil, mais aussi d’une jurisprudence abondante, qui a fait grandement évoluer notre droit depuis 1804. Le droit des obligations repose en partie sur un vaste corpus de jurisprudence, alors même que notre droit est issu d’une tradition civiliste, aux règles écrites et codifiées. Cette particularité, source de grands travaux intellectuels et doctrinaux, rend délicates la lisibilité et la prévisibilité de notre droit, pourtant essentielles aux acteurs économiques. Une réforme était donc nécessaire.

Pour ce faire, la Chancellerie a publié en février 2015 un avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Soumis à contribution publique, il a suscité de très importantes réflexions. Il prend sa source dans les travaux de la doctrine en France et les projets d’harmonisation européenne du droit des contrats. L’objectif premier de ce projet de réforme, tel que présenté dans le rapport adressé au Président de la République, est de renforcer la sécurité juridique du droit des contrats.

Comme l’a indiqué notre rapporteur, cet objectif est primordial. Il est en grande partie atteint. En effet, la nouvelle rédaction ayant vocation à intégrer le code civil est plus claire et l’organisation du code plus didactique, ce qui renforce grandement sa lisibilité. Ainsi, un nouveau chapitre introductif rappelle clairement les principes directeurs du droit des contrats. Par ailleurs, la réforme vise à renforcer la cohérence de notre droit des contrats : en codifiant la jurisprudence de la Cour de cassation, les auteurs de cette réforme ont permis, en réalité, à l’intégralité du droit positif de rejoindre le code civil.

La réforme marque aussi une évolution majeure, en introduisant dans le code civil des innovations juridiques à la portée non négligeable. Je pense notamment à la théorie de l’imprévision, soit la possibilité pour le juge d’intervenir dans un contrat en cours, dans certaines conditions. Il s’agit aussi de la violence économique, nouveau vice du consentement, ou encore des nouvelles actions dites « interrogatoires », comme en matière de pacte de préférence ou d’action en nullité, qui permettent une meilleure information des parties.

La commission des lois du Sénat a choisi de ratifier cette ordonnance, laquelle a fait l’objet d’un bon accueil pour ce qui concerne la doctrine et les praticiens.

Toutefois, en dépit de la qualité générale de la rédaction, nous devons rappeler que ce processus de réforme du droit des obligations, tel qu’il s’achève aujourd’hui, est marqué par un certain mépris – je n’ose dire un mépris certain – du rôle du législateur. En effet, il faut rappeler l’opposition ferme du Sénat à la méthode des ordonnances, s’agissant en particulier de cette réforme. Lors de l’examen de l’habilitation demandée par le Gouvernement, le Sénat avait souligné l’importance d’un débat public sur une réforme de cette ampleur. Le choix de recourir à la méthode des ordonnances avait de fait grandement limité les possibilités de débat au sujet d’une réforme aux innombrables conséquences pour la vie économique du pays. On rappellera en outre qu’elle ne se borne pas à aborder des questions d’une grande technicité. Le droit des obligations soulève des interrogations d’ordre politique, telles que la tension entre un impératif de justice dans le contrat et le respect de l’autonomie des parties et, plus généralement, de la sécurité juridique des conventions.

Enfin, que dire du manque de cohérence s’agissant de la volonté du Gouvernement de disjoindre la réforme du droit des contrats de celle du droit de la responsabilité civile, pourtant inextricablement liées ?

Le choix de recourir à cette méthode dessert de toute évidence les objectifs de la réforme. La marge de manœuvre du Sénat pour modifier les dispositions issues de l’ordonnance est plus que limitée. Comment remettre en cause les fondements d’un texte auquel les praticiens se sont préparés et, désormais, adaptés ? Notre assemblée ne peut transformer les dispositions issues de l’ordonnance en droit transitoire, sauf à créer encore plus d’insécurité juridique, au détriment des objectifs du texte.

Pour autant, la commission des lois a choisi de ratifier l’ordonnance, tout en apportant de nécessaires ajustements de clarification. Ces correctifs permettent notamment d’évacuer plusieurs ambiguïtés importantes et de préciser les modalités d’application de la nouvelle loi aux contrats en cours.

Pour l’ensemble de ces raisons, tout en déplorant la méthode choisie par le Gouvernement, le groupe Les Républicains votera en faveur du texte de la commission.

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