Cela serait logique, car la proposition de loi ordinaire, comme la loi du 1er août 2014, affirme notre volonté de renforcer l’individualisation de la réponse pénale, qui permet d’apporter une réponse à l’acte posé en adéquation avec sa gravité et avec le profil de l’intéressé.
Cette loi, n’en déplaise à certains, a supprimé les mesures automatiques, dont les peines planchers, lesquelles constituaient un obstacle à l’individualisation de la peine ; elle a lutté contre les sorties sèches de prison. Elle portait donc la même philosophie que les textes que nous examinons : une lutte sans merci face à la récidive, principale source de mécontentement de nos concitoyens.
Ces textes respectent aussi l’esprit de la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, avec, par exemple, la modernisation du service public de la justice, par l’innovation et la maîtrise de la révolution numérique, ou encore l’amélioration de l’organisation de la justice à proprement parler.
La proposition de loi reprend ainsi un point très intéressant du rapport de la mission d’information : la création d’un tribunal départemental de première instance, venant remplacer les tribunaux d’instance et les tribunaux de grande instance sans remettre en cause la carte judiciaire.
Comme la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, elle s’inscrit dans la perspective de décharger le juge de certaines tâches, en renforçant notamment le poids des conciliateurs de justice et en lui permettant de se reposer davantage sur des juristes assistants.
La proposition de loi organique, qui vise à stabiliser la nomination des magistrats, va également dans le bon sens. Une trop grande mobilité des magistrats peut être préjudiciable à certaines juridictions. Qu’ils restent au moins trois ans dans leur affectation, quatre dans le cas des fonctions spécialisées, et qu’une certaine souplesse soit laissée au Conseil supérieur de la magistrature participe à la bonne organisation de la justice.
Certes, tous les chantiers de la justice ne sont pas résolus ici, et c’est bien normal. Je pense notamment à la réforme du statut du parquet. On ne peut que regretter que les conditions n’aient pas été réunies précédemment pour la mener à son terme.
Je profite donc de votre présence, madame la garde des sceaux, pour passer le message et espérer que nous avancerons sur ce sujet.
Par ailleurs, je suis heureux que l’examen de ces textes par la chambre haute se télescope, si je puis dire, avec les annonces que vous avez faites lors du conseil des ministres du 4 octobre dernier et que vous avez rappelées devant notre assemblée.
Ainsi, vous allez lancer cinq grands chantiers qui visent à transformer en profondeur deux aspects majeurs de la question qui nous occupe : l’amélioration du fonctionnement quotidien de la justice et l’efficacité des peines. Si je ne peux que m’en féliciter, tant ces annonces font écho au travail que nous réalisons aujourd’hui, j’exprime pourtant un regret.
Pourquoi donc se cantonner aux annonces quand l’urgence est manifeste ? Le diagnostic est connu de tous. Le temps de la poursuite de l’action est venu ; c’est un besoin impérieux.
Aussi j’espère que la discussion que nous allons avoir aujourd’hui sera féconde et, pourquoi pas, suivie d’effet. Vous pourriez ainsi, madame la garde des sceaux, aider ces textes à prospérer dans la suite de la navette parlementaire… Vous me répondrez probablement, vous l’avez d’ailleurs déjà presque fait, que ces sujets méritent une importante concertation et que vous nous proposerez bientôt un projet de loi, ce à quoi je me permettrai d’opposer l’urgence évoquée précédemment.
Vous avez annoncé un « véritable plan d’action », qui « doit être élaboré dans des délais rapprochés pour que les réformes nécessaires puissent intervenir rapidement ». Nous vous offrons ici un support qui permettrait de raccourcir ces délais. C’est pourquoi, madame la garde des sceaux, j’invoque la nécessité d’aller dès à présent encore plus loin, plus vite, plus fort.
Vous le voyez, je le répète, le groupe socialiste et républicain porte un regard bienveillant sur les présentes propositions de loi.
Des améliorations ont été apportées en commission ; je pense notamment à la suppression de la condamnation à une amende civile de 10 000 euros en cas d’appel ou de pourvoi jugé dilatoire ou abusif en matière pénale. C’était un obstacle à l’accès à la justice et une atteinte aux règles du procès équitable. C’est une bonne chose que la commission et ses rapporteurs, que je salue, aient accepté à deux reprises de prendre en considération la proposition du groupe socialiste et républicain.
Je remercie également la commission d’avoir, grâce à un débat lancé par le dépôt d’un amendement que j’ai défendu au nom du groupe socialiste et républicain, acté la mise en place d’un groupe de travail sur la présomption irréfragable de non-consentement des mineurs à un acte de pénétration sexuelle. Je me permets cette digression, car, si le lien avec le texte est certes ténu, cette question relève également de l’amélioration de la justice. Nous comblerions ici un vide juridique qu’une actualité judiciaire douloureuse nous a rappelé il y a quelque temps.
Malgré ces points d’accord, nous avons plusieurs points de divergence avec la proposition de loi ordinaire. La réinstauration d’une contribution à l’aide juridictionnelle et l’inscription dans la loi du principe d’une consultation juridique préalable à la demande d’aide juridictionnelle afin de vérifier que l’action envisagée ne paraît pas manifestement irrecevable ne sont pas de bonnes mesures. Ce sont plutôt des obstacles pour l’accès à la justice pour tous. En mettant en place des démarches supplémentaires, vous empêcherez les plus précaires d’accéder au juge.
Par ailleurs, baisser les seuils d’aménagement de peine ou étendre le suivi socio-judiciaire ne nous semble pas cohérent avec la volonté de rendre les peines plus efficaces et donc avec l’esprit du texte. Je développerai ces points plus longuement lors de l’examen des amendements, et Marie-Pierre de la Gontrie évoquera les voies et moyens pour lutter contre le phénomène de surpopulation carcérale lorsqu’elle présentera à la Haute Assemblée un amendement sur ce sujet.
Pour conclure, je suis heureux que nous œuvrions ensemble pour surmonter les obstacles importants qui s’offrent à nous et que nous fassions preuve d’intelligence collective pour conforter la confiance des Français en leur justice. Nous ne pourrons pas être d’accord sur tout, c’est l’essence même de la démocratie, mais il convient de nous rassembler pour avancer sur les sujets qui sont la clé de voûte de la République. J’en appelle donc encore une fois à vous, madame la garde des sceaux : rejoignez-nous pour qu’ensemble nous accélérions un processus qui sera porteur de progrès supplémentaires pour tous nos concitoyens et donnera l’image d’une République ferme et généreuse.