Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi et la proposition de loi organique que nous examinons viennent à point nommé, alors que le constat sur l’état et le fonctionnement de la justice de notre pays est peu ou prou partagé.
Ce constat, c’est celui de la dégradation constante de la justice, du besoin de réformes structurelles profondes, de nature à améliorer l’organisation et le fonctionnement de l’institution judiciaire, indépendamment ou, en tout cas, en complément d’un redressement significatif et durable de ses moyens.
Dans ce domaine de votre ministère, comme dans d’autres, il y a sans doute une méprise ou tout au moins une insuffisance qui demeure et qui consiste à considérer les enjeux d’un bon exercice de la justice par le seul prisme des moyens qui lui sont alloués. Vous avez rappelé, madame la garde des sceaux, votre volonté d’augmenter le budget de la justice de 4 %. Cette approche quantitative, sous le seul angle budgétaire, peut néanmoins amener à manquer l’analyse des insuffisances et des dysfonctionnements procéduraux. Nous le constatons parfois par l’absurde. Malgré une hausse régulière des moyens de la justice – 89 % en quinze ans –, aucune amélioration de son fonctionnement ne peut être valablement constatée.
Notre système judiciaire demeure le moins bien classé parmi les pays européens, si l’on en croit l’analyse de la Commission européenne sur l’efficacité de la justice.
Dès lors, ces deux textes pour le redressement de la justice se fixent quatre objectifs, chacun concourant à l’atteinte du but commun : juger plus et mieux.
Premier objectif : la maîtrise des délais. Question essentielle en effet pour une bonne justice que celle des délais de jugement. De ce point de vue, le renforcement des moyens humains dans les juridictions, par l’augmentation des crédits de 5 % par an, l’amélioration des outils informatiques par la sécurisation juridique de l’open data des décisions, et l’encouragement des modes alternatifs de règlement des litiges par l’incitation à la conciliation constituent autant d’éléments importants pour atteindre cet objectif.
Deuxième objectif : l’amélioration de la qualité des décisions en première instance comme en appel. Il faut aux magistrats plus de temps pour travailler, plus de collégialité, être entourés par des équipes de collaborateurs, mais il faut aussi remédier à leur excessive mobilité.
Troisième objectif : une plus grande proximité de la justice pour le justiciable, tout au moins pour les litiges de la vie courante. Cela passe par une organisation territoriale de proximité, c’est-à-dire un tribunal départemental unique de première instance avec des chambres détachées ; par la création d’un tribunal des affaires économiques, avec l’extension de la compétence du tribunal de commerce aux agriculteurs, professions libérales et associations ; par un assouplissement de l’organisation prud’homale, avec une composition des sections variable, en fonction du contentieux ; enfin, par la révision du financement structurel de l’aide juridictionnelle, c’est-à-dire le rétablissement du droit de timbre et la consultation obligatoire d’un avocat avant toute demande d’aide.
Le quatrième objectif, sans doute le plus sensible et attendu, est d’assurer, avec certitude et promptitude, l’effectivité de l’exécution des peines et une diminution du risque de récidive, par une évolution des textes existants sur l’exécution des peines, par la réduction de moitié du seuil d’aménagement des peines ab initio et par l’augmentation des capacités pénitentiaires, ainsi que des effectifs des personnels .
Madame la garde des sceaux, le Gouvernement et votre ministère peuvent donc trouver là matière à analyse et à conception dans les deux textes que nous vous proposons comme une contribution utile et féconde du Sénat vu l’urgence de la situation, même et surtout parce que celle-ci dure !
Ces propositions répondent aux mêmes préoccupations que celles qui guident le Gouvernement dans les chantiers de la justice que vous avez lancés le 5 octobre dernier. Elles s’inscrivent également dans votre objectif de présenter, au printemps 2018, une loi quinquennale de programmation des moyens de la justice pour la période 2018-2022 et une loi de simplification pénale et civile.
Sachez vous inspirer de ces propositions, du travail de tisserand réalisé par Philippe Bas et les deux rapporteurs, qui n’en prendront pas ombrage : rassurez-vous, il n’y aura pas de droits d’auteur à verser ! L’enjeu qui nous occupe est l’un des plus nobles : celui d’une bonne justice, comme on parlait au XIVe siècle d’un bon ou d’un mauvais gouvernement, c’est-à-dire d’une justice qui affirme et garantisse le droit des plus faibles.