Intervention de Jean-Marc Boyer

Réunion du 7 novembre 2017 à 14h30
Fin de la recherche et de l'exploitation des hydrocarbures — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Marc BoyerJean-Marc Boyer, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable :

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, la France est mobilisée depuis plusieurs années pour la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre.

Dans le cadre de l’Accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015, elle s’est engagée à agir pour contenir l’augmentation de la température moyenne mondiale en dessous de 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels.

Lutter contre le réchauffement climatique nécessite avant tout de réduire notre consommation d’énergies fossiles, qui participent à hauteur de 70 % aux émissions de gaz à effet de serre en France. D’où notre regret, monsieur le ministre d’État, que le projet de loi que vous présentez ne comporte aucune mesure relative à la baisse de la consommation d’hydrocarbures et qu’il se limite à organiser la fin de la production de pétrole et de gaz sur le territoire national à l’horizon 2040.

Monsieur le ministre d’État, vous parlez de course contre la montre pour lutter contre le réchauffement climatique, mais cette course doit s’organiser en équipe, en partenariat, en concertation avec les autres pays européens pour être efficace et pour dépasser la portée symbolique des mesures envisagées.

Certes, vous avez plusieurs fois rappelé que ce texte ne devait pas être appréhendé seul et qu’il serait accompagné ultérieurement de mesures relatives à la réduction de la consommation énergétique et au développement des énergies renouvelables.

Cependant, si nous comprenons l’urgence qu’il y a à réduire l’utilisation des énergies fossiles, la décision d’arrêter la production nationale d’hydrocarbures d’ici à 2040 nous paraît incohérente, pour deux raisons.

Premièrement, 45 % de l’énergie finale consommée en France provient aujourd'hui du pétrole, contre 22 % pour l’électricité et 19 % pour le gaz. Bien sûr, il est souhaitable que la part du pétrole baisse, mais, selon certaines estimations, elle s’établira encore à 50 millions de tonnes en 2040, contre 75 millions de tonnes aujourd’hui.

Deuxièmement, la décision de mettre fin à la production nationale d’hydrocarbures pourrait donc paradoxalement conduire à une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, puisque la France devra substituer à cette production des importations d’hydrocarbures, qui génèrent beaucoup plus d’émissions de C02. En effet, selon certaines estimations, une tonne de pétrole produite en France émet trois fois moins de C02 qu’une tonne de pétrole importée. Nous risquons surtout de remplacer du pétrole et du gaz conventionnels par l’importation d’hydrocarbures non conventionnels, dont les modalités d’extraction et de transport sont dommageables pour l’environnement et fortement émettrices de gaz à effet de serre.

Il s’agit d’un débat important. C’est aussi un débat d’actualité si l’on pense aux négociations entre l’Union européenne et le Canada sur l’accord économique et commercial global, le CETA. Dans son rapport au Premier ministre sur l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé, la commission indépendante mise en place rappelle que l’extraction et la consommation de pétrole brut issu des sables bitumineux canadiens génèrent un volume de gaz à effet de serre 41 % plus élevé que pour le pétrole classique.

Ce projet de loi aurait dû, à notre sens, être assorti d’une réflexion quant à la mise en place d’un traitement différencié – par exemple, une taxation différenciée – des hydrocarbures importés en fonction du bilan carbone qu’ils présentent sur l’ensemble de leur cycle de vie.

Malgré cette réserve de taille quant à la portée et aux effets du texte, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, saisie pour avis, n’a pas souhaité s’opposer à celui-ci, mais a cherché à en améliorer le contenu.

La principale mesure du projet de loi vise à mettre progressivement fin à la recherche et à l’exploitation d’hydrocarbures en France d’ici à 2040.

Au regard du volume de la production nationale d’hydrocarbures, qui couvre 1 % de notre consommation annuelle, les effets de cette mesure seront doubles. Sur le plan de l’emploi et de l’activité, d’une part, les effets seront vraisemblablement limités. En termes d’investissements et d’innovation, d’autre part, cette mesure pourrait avoir un impact négatif sur l’ensemble de la filière pétrolière et gazière, en décourageant à l’avenir les investissements de recherche et de développement dans ces secteurs. Or ces investissements sont facteurs d’innovations, lesquelles profitent bien souvent à l’ensemble de la filière énergétique française.

Continuer à investir dans la recherche et la connaissance de notre sous-sol est essentiel.

C’est pourquoi nous avons souhaité, avec ma collègue rapporteur de la commission des affaires économiques, Mme Élisabeth Lamure, prévoir explicitement que les activités de recherche sur les hydrocarbures réalisées sous contrôle public à des fins d’amélioration de la connaissance scientifique continueront à être autorisées. Bien entendu, ces activités de recherche ne pourront pas déboucher sur une exploitation des gisements.

S’agissant des autres dispositions contenues dans le texte en matière d’énergie et d’environnement, je me limiterai à saluer la réforme des modalités de financement du raccordement des installations d’énergies renouvelables en mer prévue à l’article 5 bis.

Pour terminer, le projet de loi pose le problème de la vision globale de notre politique énergétique. En effet, on ne peut pas à la fois mettre fin à l’exploitation des énergies fossiles, développer les énergies renouvelables et réduire considérablement notre parc nucléaire sans remettre en cause notre indépendance énergétique et sans que la facture payée par les consommateurs augmente significativement.

Nous ne sommes pas résignés, monsieur le ministre d’État, mais cette transition énergétique doit s’accompagner avant tout d’une révolution idéologique et philosophique qui doit dépasser largement les frontières françaises et européennes.

Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, telle est la position de notre commission sur ce projet de loi, dont vous avez compris qu’il ne nous satisfait qu’à moitié.

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