Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 9 novembre 2017 à 10h30
Programmation des finances publiques de 2018 à 2022 — Discussion générale

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, mon intervention sera axée sur la trajectoire des finances publiques, en particulier des finances locales.

Le projet de loi de programmation des finances publiques prévoit de mettre à contribution les collectivités territoriales, qui devront réduire leurs dépenses à hauteur de 13 milliards d’euros par rapport au tendanciel.

Treize milliards, c’est plus que sous le quinquennat de François Hollande, au cours duquel les ressources des collectivités avaient été diminuées de 11 milliards d’euros, ce qui les avait obligées à réduire leurs dépenses de fonctionnement, mais aussi, et parfois surtout, leurs dépenses d’investissement. Les conséquences furent assez hétérogènes, mais pour certaines collectivités le coup fut très rude.

L’effort de 13 milliards d’euros exigé par le Gouvernement est sans précédent, d’autant que, comme l’a bien expliqué notre rapporteur, ce montant est calculé par rapport à une évolution tendancielle sous-estimée des dépenses des collectivités.

Selon la commission des finances, l’effort réel demandé aux collectivités sera en fait non pas de 13 milliards d’euros, mais de 21 milliards d’euros ! L’addition, vous en conviendrez, est beaucoup plus amère, monsieur le ministre.

Permettez-moi d’ailleurs de vous dire, monsieur le ministre, que se targuer auprès des élus de ne pas baisser les dotations s’apparente, d’une certaine manière, à une belle opération de mystification, ce que d’aucuns traduisent parfois par enfumage.

L’effort en dépenses sera certes réalisé dans le cadre d’une démarche de contractualisation, mais en cas de non-respect des objectifs de réduction des dépenses de fonctionnement et de désendettement, un mécanisme de correction sera appliqué l’année suivante, à travers une diminution des concours de l’État ou des ressources fiscales affectées.

Si, sur la forme, la démarche est inverse : « on vous impose un effort en matière de dépenses, si vous n’obtempérez pas, on vous baisse vos dotations », plutôt que « on vous baisse vos dotations, pour vous obliger à baisser vos dépenses », avouez, monsieur le ministre, que, sur le fond, cela revient au même ! La marge de négociation contractuelle avec l’État, c'est-à-dire le préfet, sera très limitée. Elle tournera autour d’un taux d’évolution des dépenses réelles de fonctionnement de 1, 2 %. Le Premier ministre, lors de questions d’actualité au Gouvernement ici même, avait précisé que le taux pourrait être de 1, 1 %, 1, 2 % ou 1, 3 %, selon les collectivités.

La marge de négociation résultera certes d’une démarche contractuelle, mais elle sera limitée à un ou deux dixièmes de point et dépendra avant tout, ce que nous ne pouvons accepter, de la décision du représentant de l’État dans le département, le préfet.

Certes, la contractualisation est une idée séduisante sur le papier. En réalité, il peut s’agir d’une forme de mise sous tutelle des collectivités, le préfet décidant du niveau maximal des dépenses des collectivités.

Autant l’objectif d’évolution des dépenses locales, l’ODEDEL, était indicatif, autant le non-respect par les collectivités contractantes de l’objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement, que nous pourrions appeler « ODEDEF », entraînera une sanction financière. Se pose donc, vous l’avez bien compris, la question de l’autonomie fiscale et financière des collectivités territoriale, ainsi que celle de leur libre administration.

Certes, je le concède, monsieur le ministre, seules les 319 plus grandes collectivités territoriales seront concernées. Le Gouvernement est d’ailleurs un adepte de ce nombre, comme nous le verrons cet après-midi lorsque nous évoquerons la surtaxe des 320 plus grosses entreprises.

Le taux de 1, 2 % s’imposera aux autres collectivités, mais de manière indicative. Il s’imposera également de la même manière à celles des 319 collectivités qui pourraient refuser la contractualisation.

Se pose donc la question suivante : quel est l’intérêt pour une collectivité de contractualiser et d’aboutir au taux de 1, 1 %, alors que, sans contrat, elle pourrait aller jusqu’à 1, 2 % ? En réalité, monsieur le ministre, un grand flou subsiste sur les contours de cette contractualisation.

Il apparaît donc comme assez incongru de demander aux sénateurs de voter une telle réforme alors même que ses détails ne sont pas connus, qu’il s’agisse du mécanisme de sanction ou du système de bonus pour les collectivités territoriales qui atteindraient leur objectif.

Lors de son audition au Sénat, votre collègue Jacqueline Gourault a botté en touche à plusieurs reprises et renvoyé les questions aux futures conclusions de la mission confiée à notre collègue Alain Richard et à Dominique Bur, ou à la Conférence nationale des territoires.

C’est la raison pour laquelle nous avons soutenu en commission des finances l’amendement de notre rapporteur tendant à prévoir que les lignes directrices des contrats entre l’État et les collectivités territoriales seront définies par la loi. Par ailleurs, nous avons soutenu ses amendements visant à préciser les modalités d’application du malus, d’une part, et d’un bonus, d’autre part.

Nous avons également approuvé le relèvement à 1, 9 % de l’objectif d’évolution des dépenses de fonctionnement des collectivités locales, pour les raisons développées par notre rapporteur.

Enfin, la commission des finances a adopté un amendement que j’avais déposé, ainsi que d’autres collègues d’autres groupes, visant à supprimer la proposition d’une règle d’or renforcée, fondée sur la capacité de désendettement. L’introduction d’un nouveau ratio prudentiel est en effet apparue superfétatoire à la quasi-totalité des membres de la commission, et ce pour plusieurs raisons.

Cette règle fait peser le risque, j’y reviens, d’une tutelle renforcée de l’État sur le recours à l’emprunt. Nous nous interrogeons d’ailleurs sur les conséquences qu’elle pourrait avoir sur le niveau d’investissement public local. Alors qu’il est techniquement démontré que l’actuelle règle d’or se suffit à elle-même, le risque de plafonnement du recours à l’emprunt pose tout à la fois un problème politique et un problème économique.

Un problème politique tout d’abord, parce que la nouvelle règle conduit, en matière de financement des nouveaux investissements dont la durée s’étale sur des décennies, à priver les élus locaux de la possibilité d’arbitrer entre autofinancement, c’est-à-dire par le contribuable actuel, et recours à l’emprunt, c’est-à-dire par le contribuable de demain.

Un problème économique ensuite, parce qu’il s’agit d’un frein au développement d’équipements locaux, alors même que l’État continue d’accroître son endettement pour faire face à des impasses de fonctionnement.

Avec les seuils proposés, les politiques de villes nouvelles par exemple n’auraient jamais pu être menées à bien et les grands projets tels que la construction d’infrastructures de transport en commun, indispensables au développement de plusieurs grandes agglomérations, devront être abandonnés !

Par ailleurs, ce ratio d’endettement n’est pas exempt de limites techniques, que j’ai développées dans l’exposé des motifs de mon amendement adopté en commission des finances.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce projet de loi de programmation si ses amendements adoptés en commission des finances figurent bien dans le texte qui résultera de nos travaux en séance publique.

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