Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 9 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Adoption d'un projet de loi modifié

Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter un projet de loi de finances rectificative qui vise à trouver les recettes nécessaires à la suite de l’annulation de la taxe sur les dividendes qui avait été instaurée en 2012 à un taux de 3 %.

Cette taxe a fait l’objet d’un premier rappel à l’ordre de la Commission européenne en 2015. Elle a ensuite été annulée par la Cour de justice de l'Union européenne, annulation confirmée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 6 octobre dernier. J’aurai l’occasion, si vous le souhaitez, de revenir sur ces différentes décisions de justice qui expliquent certains des choix que le Gouvernement a faits.

Sur le fondement des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne, il semblait que seule une partie du dispositif de la taxe sur les dividendes serait annulée. C’est pourquoi le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, et moi-même avions provisionné 5, 7 milliards d’euros sur la durée du quinquennat.

Le 6 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a pris une décision plus dure que celle de la Cour de justice en estimant que l’État devait rembourser l’intégralité des sommes qu’il avait perçues, intérêts moratoires compris, soit environ 10 milliards d’euros. C’est donc cette somme qu’il faut aujourd'hui trouver.

Depuis plusieurs semaines, mes services et moi-même avons examiné toutes les options possibles. Nous en avons discuté avec toutes les entreprises concernées et avons fait avec le Président de la République et le Premier ministre un choix politique majeur, celui de rembourser les 10 milliards d’euros sans délai, afin de maintenir l’équilibre de nos finances publiques et de respecter nos engagements européens.

Pour vous parler avec une grande sincérité, il aurait été beaucoup plus facile pour le Gouvernement de reporter ou d’étaler ce remboursement, quitte à accroître la charge pesant sur les finances publiques de notre pays avec des intérêts moratoires au taux de 4, 8 %. Même avec des intérêts moratoires réduits, cette charge aurait été très élevée. Aussi le choix d’étaler les remboursements et d’accroître de fait la charge pesant sur les finances publiques aurait été irresponsable.

Nous aurions également pu estimer que la situation ne relevait pas de notre responsabilité – car ce n’est pas notre responsabilité ! –, qu’elle était le fruit du passé, un héritage de nos prédécesseurs et que, en conséquence nous n’y pouvions rien et pouvions laisser filer les déficits. Cela aurait été plus simple pour nous de nous rendre devant la Commission européenne pour lui annoncer, comme on le fait depuis dix ans, que nous sommes désolés et que ce n’est pas notre faute, mais qu’une nouvelle fois, la France ne respectera pas ses engagements européens.

Cela aurait plus facile et nous aurait épargné des discussions compliquées avec les entreprises. Je comprends d’ailleurs parfaitement qu’elles puissent s’étonner de la contribution exceptionnelle que nous avons décidée. Cela nous aurait également évité des débats politiques forcément difficiles.

Nous avons fait un choix différent et je pense que ce choix est à l’honneur du Gouvernement : c’est celui d’assumer toutes nos responsabilités, y compris celles de nos prédécesseurs ! En effet, il y a plus important que l’affiliation politique des uns et des autres, il y a l’intérêt général et l’intérêt national. Or l’intérêt de la nation française, c’est d’avoir des comptes publics bien tenus et de respecter ses engagements européens !

Nous avons finalement fait le choix d’une contribution exceptionnelle, perçue immédiatement, de façon à respecter nos engagements européens et à maintenir l’équilibre budgétaire de notre pays.

Nous avons souhaité que cette contribution exceptionnelle n’affecte que les entreprises dont le chiffre d’affaires est très élevé, en l’occurrence celles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros. Elle concernera au total 320 entreprises environ.

Pour éviter que les entreprises concernées par ce seuil ne soient trop lourdement pénalisées, nous avons décidé de créer un second seuil pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 3 milliards d’euros.

Pour les entreprises dépassant le premier seuil, nous porterons exceptionnellement le taux de l’impôt sur les sociétés de 33, 3 % à 38, 33 %, et ce pour la seule année 2017. Pour celles dont le chiffre d’affaires excède 3 milliards d’euros, soit 110 entreprises au total, ce taux sera porté de 33, 3 % à plus de 40 %.

Je mesure parfaitement l’effort demandé à ces entreprises. Je rappelle simplement que les entreprises concernées sont au nombre de 320, dont 110 avec un chiffre d’affaires supérieur à 3 milliards d’euros, total à comparer aux centaines de milliers de ces autres entreprises, PME, TPE, ETI qui, je le répète, ne seront pas visées par cette contribution exceptionnelle. Je le répète également : cette contribution n’existe que pour l’année 2017. Ensuite, on oublie !

Par souci de transparence, nous établirons un rapport sur les contributeurs à cette taxe en distinguant les perdants des gagnants. Sur le sujet, j’ai toujours fait preuve de la plus grande transparence : je n’ai jamais caché qu’il y aurait des perdants, ni que cette contribution exceptionnelle se concentrerait sur un petit nombre, et même un très petit nombre de très grosses entreprises.

Nous aurons probablement un débat tout à l’heure sur les banques mutualistes, qui, malgré tous nos efforts, seront effectivement pénalisées. Nous en avons conscience, mais, je le répète, nous assumons ce choix au nom de la bonne maîtrise de nos finances publiques et du respect de nos engagements européens. Nous donnerons, je le redis, dans le rapport qui sera élaboré toutes les informations sur les perdants et les gagnants de cette contribution exceptionnelle.

En outre, je tiens à dire que ce choix ne modifie en rien les grandes orientations du Gouvernement en matière de finances publiques et de fiscalité : nous avons décidé de baisser l’impôt sur les sociétés dès 2018 et nous le ferons ! Nous avons en effet décidé de ramener son taux de 33, 3 % à 25 % d’ici à 2022, ce qui placerait la France dans la moyenne européenne en la matière. Ce cap-là sera tenu !

Si l’on compare chiffre contre chiffre, il y a, d’un côté, une contribution exceptionnelle de 5 milliards d'euros, mais il y a, de l’autre côté, près de 11 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires pour alléger l’impôt sur les sociétés des entreprises, donc notre orientation favorable aux entrepreneurs, à ceux qui créent des richesses, à ceux qui créent des emplois, reste inchangée ; le prélèvement forfaitaire unique à 30 % sur les revenus du capital reste inchangé ; nous ne reviendrons pas sur la suppression de l’impôt sur la fortune sur les valeurs mobilières. Toutes les grandes orientations fiscales de notre gouvernement restent les mêmes et nous visons justement cette stabilité fiscale, qui crée la confiance pour les entrepreneurs et pour les investisseurs.

Enfin, ce dispositif nous permet, comme l’a indiqué la Commission européenne hier dans son rapport, de respecter pour la première fois depuis dix ans nos engagements européens en parvenant à un déficit public qui sera enfin en dessous des 3 % – 2, 9 % très exactement –, dès 2017. Et il doit nous permettre, comme l’a précisé le commissaire européen hier, de sortir de la procédure pour déficit public excessif dans laquelle la France se trouve depuis 2009.

L’enjeu est considérable, parce que si nous voulons que la France puisse défendre la modification de la directive sur les travailleurs détachés, comme elle l’a fait, si nous voulons qu’elle puisse défendre la taxation des géants du numérique, si nous voulons qu’elle puisse défendre un commerce équitable fondé sur des règles de réciprocité, si nous voulons qu’elle puisse défendre l’harmonisation fiscale au sein de la zone euro, il faut qu’elle retrouve sa crédibilité économique et sa crédibilité fiscale.

Une nation qui ne tient pas ses engagements européens ne peut pas être respectée par les autres partenaires européens.

Voyez-vous, dans toute cette histoire, où le Gouvernement doit assumer la responsabilité de décisions qu'il n’a pas prises voilà quelques années, l’enjeu dépasse selon moi de très loin celui de cette contribution exceptionnelle. Les entreprises avec qui j’en parle régulièrement en ont conscience. L’enjeu, c’est la bonne tenue des comptes publics de la Nation, ainsi que le respect de nos engagements européens, et, partant, la crédibilité de la voix française sur la scène européenne.

J’ai suivi évidemment de près vos débats et vos propositions. J’entends monter la petite musique : finalement, cela irait beaucoup mieux que ce que l’on pense, et la croissance serait largement supérieure au 1, 7 % que nous avons inscrit dans les prévisions budgétaires pour le PLF. Par conséquent, nous aurions des recettes exceptionnelles, si bien que nous n’aurions pas besoin de cette contribution exceptionnelle.

Je ne partage pas cette appréciation. Je suis un ministre sincère et rigoureux, et je tiens à cette sincérité, comme au caractère rigoureux de nos estimations On me dit que la croissance sera de 1, 8 % et que les rentrées fiscales seront bien meilleures. Oui, mais il peut aussi y avoir des dépenses exceptionnelles. Regardons les chiffres avancés par les uns ou par les autres : nous, nous disons 1, 7 % ; l’INSEE dit 1, 8 %, mais la Commission européenne dit 1, 6 %. Je crois donc que 1, 7 %, comme l’a retenu le Haut Conseil des finances publiques, c’est une estimation qui est sincère, et je ne trouverais pas raisonnable pour les finances publiques de parier sur un subit rebond de la croissance et sur des recettes fiscales absolument miraculeuses.

Je me méfie de Perrette et du pot au lait, …

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