Intervention de Albéric de Montgolfier

Réunion du 9 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Adoption d'un projet de loi modifié

Photo de Albéric de MontgolfierAlbéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, je vais commencer par un aveu : j’ai beaucoup de plaisir à voir M. le ministre, mais, ce soir, nous nous serions tous bien passés de ce projet de loi de finances rectificative. C’est un point dont nous pouvons tous convenir, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, alors que nous examinons un texte déposé en urgence à la suite de la décision du Conseil constitutionnel relative à la contribution de 3 %.

Le projet de loi ajuste le montant des dépenses de contentieux et prévoit la création de deux contributions exceptionnelles visant l’impôt sur les sociétés dû au titre de 2017. Au total, ses dispositions entraînent une dégradation nette du solde budgétaire de l’État de 400 millions d’euros, le portant à 76, 9 milliards d’euros en 2017.

Concernant les éléments qui dégradent le solde budgétaire, sur un plan technique, c’est la mission « Remboursements et dégrèvements » qui va supporter le montant de ces remboursements à hauteur de 5 milliards d’euros. En outre, la censure intégrale du dispositif conduit à une perte de recettes d’environ 200 millions d’euros, puisqu’il y a abrogation anticipée d’un dispositif, qui, initialement, devait aller jusqu’au 31 décembre.

Concernant le volet « recettes », le Gouvernement prévoit la création de deux contributions « exceptionnelles et ponctuelles » sur l’impôt sur les sociétés au titre de 2017, dont le rendement attendu s’élève à 4, 8 milliards d’euros en 2017 et à 600 millions d’euros en 2018. En volume, c’est à peu près 10 % du montant brut de l’impôt sur les sociétés.

Vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le Gouvernement n’avait provisionné que 5, 7 milliards d’euros sur la période 2018-202, dont seulement 300 millions d’euros en 2018 et 1, 8 milliard d’euros pour les exercices suivants. Or la décision du Conseil constitutionnel étant une abrogation complète de la taxe, il s’ensuit que l’ensemble des contributions peut faire l’objet d’une réclamation dans les deux ans suivant leur versement, c’est-à-dire que l’on peut supporter des remboursements jusqu’à la fin de l’année 2019 au plus tard.

Le coût des contentieux est donc revu à la hausse de 4, 3 milliards d’euros, totalisant 10 milliards d’euros, qui seraient répartis à égalité sur 2017 et 2018.

Je vais aller vite, puisque le dispositif est désormais connu. L’État prendrait à sa charge la moitié seulement des remboursements qu’il doit acquitter et en ferait supporter l’autre moitié par les grandes entreprises à travers cette taxe. Le Gouvernement propose ainsi une majoration du taux de l’impôt sur les sociétés, avec une première majoration de 15 % pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 milliard d’euros, et une seconde majoration pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 3 milliards d’euros.

Ces contributions permettraient d’éviter que le solde public effectif s’élève en 2017 à 3, 1 % du PIB, et on peut souscrire à cette volonté de ne pas dégrader le solde. Le Gouvernement veut, comme nous tous, que la France sorte du volet correctif du pacte de stabilité. S’il s’agit d’un objectif sur lequel chacun peut s’accorder, la mesure de rendement qui nous est soumise pose néanmoins un certain nombre de difficultés.

D’une part, elle est proposée dans l’urgence, et vous nous avez expliqué pourquoi. Pour être tout à fait précis, il convient pourtant de rappeler que la fragilité constitutionnelle de la taxe était connue depuis longtemps : si vous lisez le rapport sur le collectif 2016, signé par mes soins, vous constaterez que je jugeais alors les aménagements prévus insuffisants. Si le projet de loi de finances déposé en 2017 inclut bien la suppression de la taxe, il est pour le moins étonnant que la question du remboursement des entreprises surgisse en fin d’année. Référez-vous donc aux travaux du Sénat sur le collectif 2016.

D’autre part, la mesure fiscale proposée s’accompagne d’importants biais, ce que vous avez eu l’honnêteté de reconnaître, monsieur le ministre, puisque 223 sociétés sur les 318 redevables seront perdantes. Pour détailler, les entreprises de l’industrie, du commerce, des services financiers, comme les banques mutualistes, sont particulièrement concernées, et le produit est fortement concentré, puisque 30 sociétés représentent 71 % des recettes prévues.

Face à cette situation, ma tentation, et la vôtre sans doute également, auraient été naturellement de rééquilibrer les montants acquittés entre les sociétés, notamment pour mieux les faire correspondre aux montants remboursés. Cependant, je reconnais volontiers qu’une telle initiative conduirait sans doute à reproduire des modalités de taxation déjà censurées par le Conseil constitutionnel. Par ailleurs, le choix d’une contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés nous empêche d’en modifier les paramètres sans prendre d’importants risques juridiques. C’est pourquoi, je le reconnais honnêtement, il y avait très peu de possibilités de faire autrement. Le Gouvernement a bien tenté de moduler les effets de la surtaxe grâce à un mécanisme de plafonnement individuel : le Conseil d’État a jugé ces dispositions contraires à la Constitution.

Malheureusement, la solution retenue est peut-être la moins mauvaise. Je dis malheureusement, parce que c’est une surtaxe. Pour autant, nous aurions souhaité faire mieux correspondre les montants remboursés aux montants acquittés, ce qui n’est malheureusement pas possible.

Si l’on peut regretter cette absence de marges de manœuvre sur les modalités de la taxation, il faut néanmoins souligner que le montant que les entreprises devront acquitter est particulièrement élevé, qui plus est dans un calendrier très contraint. C’est un signal très négatif donné aux entreprises et sans doute un potentiel frein à la croissance économique.

Surtout, et c’est là où nous allons avoir un différend, le Gouvernement a calculé le montant de sa mesure de rendement au regard du respect de la règle des 3 %, sans procéder à une actualisation de l’hypothèse de croissance. J’ai bien entendu ce que vous avez dit sur la prudence, monsieur le ministre, mais je pense que vous auriez pu établir votre calcul dans le cadre de ce projet de loi de finances rectificative en revoyant les hypothèses d’élasticité des recettes à la hausse. Le Gouvernement a simplement pris en compte des prévisions qui datent de septembre dernier.

Pour notre part, nous considérons qu’il y a une meilleure élasticité. Pour parvenir à cette conclusion, nous nous sommes appuyés sur vos propres termes figurant dans la lettre que vous avez adressée à la Commission européenne le 31 octobre 2017 en réponse au vice-président et au commissaire européen, MM. Dombrovskis et Moscovici : « les recettes tirées des prélèvements obligatoires en 2017 pourraient être supérieures à ce qui est attendu dans le PLF ». Vous ajoutez que « la prévision des recettes tirées des prélèvements obligatoires est prudente » pour l’année 2018.

Vous avez donc considéré qu’il y avait une meilleure élasticité des recettes. Ce surcroît de recettes ajouté à l’acquis de croissance de 2017 aurait dû vous convaincre de moins solliciter les entreprises.

À l’instant, je vois que le consensus des économistes a révisé sa prévision de croissance pour 2017. Celle-ci s’établirait plutôt à 1, 8 % en fin d’année, alors que vous avez dit 1, 6 % pour la Commission. En tout cas, il est à peu près certain, je le répète, que nous avons une meilleure élasticité des prélèvements obligatoires au PIB, lequel sera supérieur au montant retenu. Il ne s’agit pas d’une hypothèse farfelue, puisque vous en faisiez état dans votre propre lettre à la Commission européenne.

Nous vous croyons et nous en tirons les conséquences : une meilleure élasticité des recettes contribue tout simplement à accroître les rentrées fiscales, une variation de 0, 1 point de l’hypothèse d’élasticité pouvant aboutir spontanément, c’est-à-dire sans révision de l’hypothèse de croissance et en restant prudent, à 2, 5 milliards d’euros de recettes supplémentaires. Aussi, la commission des finances vous propose, à défaut, et elle le regrette, de pouvoir réviser les paramètres de la nouvelle contribution comme elle l’aurait souhaité, d’ajuster la contribution des grandes entreprises au montant strictement nécessaire au respect de nos engagements européens. C’est la raison pour laquelle je présenterai tout à l’heure un amendement tendant à réduire de moitié la contribution exceptionnelle demandée aux entreprises.

Encore une fois, monsieur le ministre, vous n’êtes pas responsable de cette situation. Nous regrettons de devoir nous réunir ce soir. Nous savons que les marges de manœuvre sont très réduites et nous souscrivons plutôt à l’idée de cette surtaxe, qui présente le moins de risques juridiques. Néanmoins, nous souhaitons tenir compte de la meilleure élasticité des recettes pour moins solliciter les entreprises.

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