Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, notre débat de ce soir fait suite à une décision du Conseil constitutionnel concernant l’annulation d’une taxe sur les dividendes des entreprises. Il faut simplement se rappeler dans quel contexte la décision de créer cette taxe avait été prise. C’était au moment où un nouveau Président de la République qui avait déclaré « mon ennemi, c’est la finance » présentait son premier collectif budgétaire C’est parce que le texte s’inscrivait dans cette logique que le groupe auquel j’appartiens avait voté contre le principe même de cette taxe sur les entreprises.
Depuis, le monde politique semble avoir changé et le nouveau gouvernement paraît plus ouvert au monde de l’entreprise, utilisant de nouvelles méthodes, pratiquant une écoute nouvelle au nom de la compétitivité et du pragmatisme – j’ai entendu ce mot tout à l’heure. Or, en réalité, depuis cette décision du 6 octobre, nous avons assisté à plusieurs réactions du Gouvernement.
Peut-être cette attitude s’explique-t-elle par une solidarité vis-à-vis du précédent gouvernement et de l’ancien Président de la République, qui était l’instigateur de cette taxe sur les dividendes. Au nom de cette solidarité, sans doute le Gouvernement se sentait-il un peu obligé de respecter, d’une manière ou d’une autre, une volonté affichée voilà cinq ans. En fait, nous avons assisté à ce qui fut sans doute la plus courte conversion d’un gouvernement à l’écoute des entreprises. En effet, on annonçait une baisse de l’impôt sur les sociétés, une réduction des prélèvements sur un certain nombre d’acteurs économiques de la société française, une ouverture sur le libéralisme. Si on avait voulu démontrer que ce gouvernement n’avait pas de vision libérale de l’économie, on n’aurait pas mieux fait ! En effet, en l’espace de quelques semaines, à l’évidence, tout cela a été abandonné !
À vous entendre, monsieur le ministre, ce gouvernement ferait preuve d’une certaine innovation. En l’occurrence, je suis désolé de vous le dire, ce que vous faites est d’un classicisme absolu. C’est dans l’improvisation – tout à l’heure, quelqu’un a parlé de « bricolage » – que Bercy a ressorti les recettes usuelles déjà vendues à quelques reprises à plusieurs Premiers ministres, aussi bien de gauche que de droite, pour faire face à une situation prétendument exceptionnelle. En réalité, il n’y a rien d’innovant dans ce que vous proposez ! Le dispositif est d’un classicisme absolu et demandait simplement de trouver une cible ! J’imagine que vous avez envisagé de vous en prendre aux footballeurs et aux kinésithérapeutes. Et vous vous êtes arrêté sur les grandes entreprises ! C’est à peu près ainsi que cela a été fait, dans une prétendue urgence.
On n’a pas fait dans la nuance ! Pour déterminer celles des grandes entreprises qui seraient retenues, on ne s’est pas demandé si elles n’étaient pas en train de sortir d’une période déficitaire ou de plans de restructuration douloureux. On n’a pas davantage pris en considération les efforts faits par ces entreprises depuis un certain nombre d’années pour s’adapter à la réalité du marché. Sans tenir aucun compte du passé, on a fait un bloc, un package, procédant à une sorte de coup de rabot pour choisir une cible dans l’urgence, en quelques semaines. C’est cela, la méthode du Gouvernement !
Monsieur le ministre, vous mettez en avant votre sincérité. Je veux bien l’admettre, mais elle ne justifie malheureusement pas tout, elle n’excuse pas tout !
Il s’agit, dites-vous, d’une mesure d’exception. Parlons-en, de l’exception ! Nombreux sont ceux qui ont évoqué la stabilité en matière fiscale, en se demandant comment des investisseurs pourraient faire confiance à la France si les règles fiscales y changent tous les six mois. Le Premier ministre a parlé il y a peu de temps de la stabilité, qui est nécessaire pour les opérateurs. Et en guise d’exemple, le Gouvernement prend, comme première mesure, une disposition qui prolonge l’instabilité fiscale au nom d’une exception !
Certes, l’exception est réelle. Elle réside dans le fait que, en France, sur le territoire national, le taux d’imposition de certaines sociétés est de 43, 3 %. Vous connaissez la situation en Europe. Avant la mesure, le taux réel d’imposition aurait été en France de 38, 4 %, alors qu’il s’établit à 28, 6 % en Allemagne, à 23, 6 % en Italie et à 21, 5 % au Royaume-Uni. Alors, elle est là, l’exception ! Elle est illustrée par le fait que dans le monde compétitif où nous vivons nous appliquons le plus fort taux jamais pratiqué en matière d’impôt sur les sociétés en Europe !
Je veux maintenant parler du moment où intervient cette décision. Entre octobre et novembre, c'est-à-dire à une période où les entreprises ont établi leur programme d’investissement et arrêté la manière selon laquelle elles vont donner ou faire la répartition de leurs éventuels profits entre les actionnaires, l’investissement et les salariés. À cette époque de l’année, le budget prévisionnel des entreprises est normalement adopté. Et c’est à ce moment-là que l’État, comme d’habitude, jacobin, comme d’habitude, autoritaire, fait totalement fi du monde économique pour résoudre ces problèmes ! Et il procède à la louche, parce qu’il fallait répondre à une injonction de Bruxelles et se situer impérativement sous la barre des 3 %. Et là, la sincérité ne joue plus ! On utilise un artifice !
La sincérité aurait voulu que l’on en convienne, pendant cinq ans, le précédent gouvernement avait donné des résultats iniques à Bruxelles pour prétendre tenir des engagements à la louche, qui, en fait, ne l’étaient pas ; il s’en fallait de 0, 2 % environ. Il aurait mieux valu faire preuve de sincérité vis-à-vis de Bruxelles. Je pense que l’urgence aurait été comprise.
Et la sincérité, on la retrouverait surtout, monsieur le ministre, si cet engagement, qui est de court terme, avait été retranscrit dans le budget pour 2018. Certes, une ponction exceptionnelle est opérée sur 300 entreprises en France. Ces entreprises, on aurait pu les rassurer en leur expliquant qu’on leur proposerait six mois plus tard des mesures de compensation pour ne pas compromettre leur activité, leur compétitivité et l’équilibre même de leurs comptes. Or là, aucune mesure de ce type n’est annoncée. On se contente de raser gratis et de renvoyer les efforts à demain. En attendant, la France est aujourd'hui championne d’Europe s’agissant du taux appliqué à l’impôt sur les sociétés.
Enfin, monsieur le ministre, en tant qu’élu parisien, j’ai un troisième sujet à évoquer. Il y a eu le Brexit, ce qui pose normalement le problème de la place financière de Paris, en rivalité avec Francfort. On a longtemps taxé un Premier ministre britannique de dérouler le tapis rouge. Le Gouvernement avait, paraît-il, fait quelques efforts pour présenter sous son meilleur jour la place financière de Paris. Nous allions nous prévaloir de stabilité auprès des investisseurs internationaux auxquels nous allions faire comprendre que nous avions changé. À la continuité avec le gouvernement précédent s’était substituée une rupture par rapport à ses pratiques. Et vous faites totalement l’inverse ! Je sais bien que vous n’agissez pas en tant que tel. Je connais la solidarité à laquelle se doit le membre d’un gouvernement qui s’efforce d’appliquer une politique. Si vous vous en étiez tenu au caractère exceptionnel de la mesure, vous auriez rassuré d’emblée tous les entrepreneurs en leur annonçant que cette injustice serait corrigée dès 2018. Car il s’agit évidemment d’une injustice ! Le problème relève peut-être plus de l’éthique que de la finance. Ce qui est en cause, c’est un problème d’approche du monde économique. Et la première mesure de ce gouvernement, qui fait malheureusement seulement semblant d’entendre la sphère économique, n’est pas à la hauteur de l’attente de cette dernière !
Alors, c’est une faute politique, et même peut-être une double faute, parce qu’elle a déjà été commise par un Président de la République il y a cinq ans. Lorsqu’on ne tient pas compte de ce qui s’est passé voilà cinq ans, il s’agit automatiquement d’une double faute politique.
Par ailleurs, cette mesure est inspirée d’un gouvernement socialiste qui était quand même particulièrement orthodoxe dans sa vision de l’économie. Vous reprenez pleinement et totalement, monsieur le ministre, cette mesure de nature socialiste. Je comprends bien que, sur certaines travées de cet hémicycle, on considère que l’exception justifie les moyens ; pour notre part, membres du groupe Les Républicains, nous n’accepterons pas cette vision des choses pour des raisons d’éthique.
Enfin, lorsqu’on dit que des entreprises seront perdantes et que d’autres seront gagnantes, en réalité, il existe 318 entreprises qui seront toutes perdantes, parce que toutes auront un problème de compétitivité ou d’adaptation au marché.
C’est pourquoi le groupe Les Républicains a déposé un amendement visant à supprimer cette taxe exceptionnelle. Faute de son adoption, nous voterons évidemment contre ces dispositions.