Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l’État doit 10 milliards d’euros à 5 000 entreprises. Voilà l’objet du collectif budgétaire que nous examinons aujourd’hui.
Un projet de loi présenté en conseil des ministres le jeudi 2 novembre, en commission des finances à l’Assemblée nationale le vendredi 3, adopté par les députés le lundi 6, examiné par la commission des finances du Sénat le mercredi 8 et en séance aujourd’hui, jeudi 9 : voilà ce que j’appelle un examen au pas de charge, dans un temps record ! Et ce pour 10 milliards d’euros, excusez du peu, presque un demi-point de PIB !
Pourtant, du temps, nous en avions. L’illégalité de la perception de ces 10 milliards d’euros avait été identifiée par notre rapporteur général, il y a un an, lors de l’examen du collectif budgétaire de fin d’année. Avant même l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne de mai 2017, M. de Montgolfier évoquait, en décembre 2016, « la fragilité de cette contribution de 3 % sur le plan du droit de l’Union européenne et, à rebours, sur le plan de sa constitutionnalité ».
La taxe sur les dividendes des entreprises ayant rapporté 2 milliards d’euros par an au budget de l’État depuis 2013, le total de 10 milliards d’euros est assez simple à calculer.
M. Macron aurait donc pu percevoir le problème plus tôt. Il ne peut pas rejeter totalement la responsabilité sur son prédécesseur, et ce d’autant plus qu’au moment du vote de la mesure, en 2012, il était conseiller de François Hollande à l’Élysée, chargé des affaires économiques et financières. Selon Christian Eckert, qui était alors rapporteur général du budget à l’Assemblée nationale, « Emmanuel Macron ne peut pas dire qu’il ne connaissait pas le dossier. À l’époque, en 2012, il était à l’Élysée et le surveillait comme le lait sur le feu. »
De surcroît, M. Macron était ministre de l’économie en 2015, quand M. Eckert, devenu secrétaire d’État chargé du budget et des comptes publics, avait déclaré lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2016 au Sénat, le 23 novembre 2015 : « Il est vrai que le dispositif de cette contribution additionnelle a fait l’objet d’une mise en demeure de la Commission européenne. » Il reconnaissait donc ainsi, dès 2015, l’incompatibilité de la taxe sur les dividendes avec le droit européen.
En réalité, dès qu’un recours fut porté devant le Conseil d’État, en 2016, l’issue ne faisait plus guère de doute, la rupture d’égalité étant manifeste et la mesure de rendement ne constituant habituellement pas un motif d’intérêt général suffisant.
Vous aviez par conséquent la possibilité, monsieur le ministre, de rectifier le tir dès cet été, dans un collectif budgétaire, d’anticiper, de provisionner des économies suffisantes ou même de vendre des participations de l’État, plutôt que d’attendre une décision certes dure et de mettre des entreprises au pied du mur.
Autant, comme nous l’avons rappelé, nous approuvons votre effort de sincérité dans le projet de loi de finances pour 2018, qui repose sur des hypothèses raisonnables et met un terme aux sous-budgétisations, autant nous considérons qu’il aurait été possible d’anticiper ce problème. Vouloir se payer sur le dos des entreprises a d’autant moins de sens que l’objectif de ne pas dégrader le déficit public en dessous de 3 % en 2017 pourrait être mis à mal par la décision d’Eurostat.
Il n’est en effet pas certain qu’il soit possible de comptabiliser sur 2018 la moitié de la facture, même si l’INSEE a donné son accord au niveau national.
Ainsi, selon l’article 20.189 du système européen des comptes, « le moment d’enregistrement de la dépense ou de la recette correspond au moment où les bénéficiaires disposent d’un droit automatique et incontestable au versement d’un montant pouvant être déterminé individuellement, et qu’il est improbable que ces derniers ne réclament pas ce qui leur est dû. » C’est bien le cas en l’espèce, puisque l’impôt a été invalidé par le Conseil constitutionnel en 2017. Nous verrons ce que décidera Eurostat.
Pour autant, nous voyons bien que tout cela est très artificiel et pour le moins assez instable. Taxer des entreprises est une solution de facilité, injuste et prise dans la précipitation au détriment de l’intérêt économique pourtant défendu par le Président de la République et votre gouvernement, monsieur le ministre. Nous nous retrouvons dans la situation de taxer des entreprises pour rembourser une taxe illégale prélevée sur d’autres entreprises. Certaines entreprises vont être redevables pour d’autres alors même qu’il y a dix jours elles n’étaient au courant de rien.
L’exemple le plus flagrant a déjà été cité : c’est celui des banques mutualistes, qui ne versent aucun dividende, investissent, créent de l’emploi et financent l’économie réelle et l’accession à la propriété. Elles vont payer près d’un milliard d’euros, soit 20 % de la facture, pour le compte de l’État, alors qu’elles font le choix d’investir plutôt que de verser des dividendes. Comprenez que cette situation est non seulement injuste, mais aussi inacceptable !
C’est pourquoi ces contributions, qui font, par ailleurs, peser une charge excessive sur quelques entreprises, peuvent constituer une atteinte disproportionnée et injustifiée à leur droit de propriété et à leur liberté d’entreprendre.
Pour toutes ces raisons, nous voterons contre ce texte.