Intervention de Bruno Le Maire

Réunion du 14 novembre 2017 à 14h30
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Rejet en nouvelle lecture d'un projet de loi

Bruno Le Maire, ministre :

Vous assumez donc cette idée d’avoir des déficits plus importants et de ne pas respecter nos engagements européens.

Nous avons une exigence de rendement – 5 milliards d’euros –, une exigence de solidité juridique et, enfin, une exigence comptable, qui consiste à pouvoir imputer ces 5 milliards d’euros sur l’exercice 2017, c’est-à-dire avant le 20 décembre. À tous ceux qui estiment que nous allons trop vite, permettez-moi de leur dire que, si nous n’allons pas à cette vitesse-là, il sera demain trop tard pour imputer ces 5 milliards d’euros sur l’exercice 2017, respecter nos engagements européens et, donc, assurer une bonne tenue des comptes de la Nation.

Monsieur le rapporteur général, je vous suis reconnaissant d’avoir admis que, au regard des exigences comptables, nous devions trouver ces 5 milliards d’euros pour 2017. Vous avez même formulé des propositions alternatives pour atteindre un tel objectif. Je le reconnais bien volontiers, même si nous n’avons pas pu trouver d’accord autour de ces propositions.

Je n’ai rien caché sur les effets de cette contribution exceptionnelle. J’ai toujours indiqué qu’il y aurait des gagnants et des perdants. J’ai toujours procédé avec la plus grande transparence, et je vous informe, mesdames, messieurs les sénateurs, que je transmettrai tous les chiffres relatifs à cette contribution exceptionnelle au Parlement, dans un rapport qui sera fourni en décembre. Des chiffres complémentaires seront apportés quand nous disposerons de l’intégralité des demandes de remboursement, dans le courant du mois de janvier. Je tiens, sur cette affaire, comme pour toute la gestion des comptes publics de la Nation, à ce que le Parlement soit intégralement informé et que la transparence soit de mise dans le cadre de nos discussions. Sans elle, en effet, il ne peut y avoir de débat responsable.

Je tiens à rappeler à ceux qui jugent cette contribution injuste que, ayant un caractère exceptionnel, celle-ci n’a pas vocation à être renouvelée, et elle ne le sera pas !

Je tiens également à rappeler que les grandes orientations du projet de loi de finances pour 2018 et les grandes orientations fiscales du Gouvernement ne sont en rien modifiées : baisser l’impôt sur les sociétés – de 33, 3 % à 25 % –, mettre en place un prélèvement forfaitaire unique à 30 % sur les revenus du capital, supprimer l’impôt sur la fortune. Toutes ces décisions fiscales restent inchangées et cette contribution est bien exceptionnelle.

Je tiens enfin à ce que toutes les responsabilités soient établies, s’agissant de cette annulation de la taxe à 3 % sur les dividendes. C’est le sens du rapport que j’ai demandé à l’Inspection générale des finances et qui m’a été remis hier. L’objectif n’est pas de désigner un coupable et de se transformer en procureur. Là encore, il s’agit de faire toute la lumière sur ce qui nous a amenés à devoir rembourser 10 milliards d'euros dans des délais extraordinairement courts.

Ce rapport est à votre disposition. Je vous en recommande la lecture, car il est passionnant, remarquablement écrit et très précis, comprenant, notamment, une chronologie extrêmement fine. Ainsi, il établit que, au moment de la décision sur la taxe à 3 % sur les dividendes, personne n’a perçu la difficulté. Des parlementaires, notamment à l’Assemblée nationale, avaient évoqué des difficultés, mais ils les avaient soulevées sur le fondement du mauvais article de la directive concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents, la directive mère-fille. Ils avaient effectivement évoqué son article 5, relatif à la retenue à la source de ce prélèvement, en s’interrogeant sur la légitimité d’une telle retenue, alors même que la Cour de justice de l’Union européenne et la Commission européenne, par la suite, devaient s’intéresser à la conformité de la taxe sur les dividendes avec l’article 4 de cette directive, soit à l’égalité de traitement entre les sociétés au regard de cette taxe.

Donc, il me semble que, en 2012, il était impossible d’établir les responsabilités des uns ou des autres. En revanche, je vous recommande de regarder attentivement les événements de 2015.

Une procédure est engagée par la Commission européenne en février 2015. Une note de la Direction de la législation fiscale alerte sur l’éventualité d’une annulation et les risques importants que celle-ci ferait peser sur les finances publiques françaises. Dès lors, vous pouvez constater une augmentation très marquée des contentieux à la fin de l’année 2015. Les entreprises, tenant compte de la procédure engagée par la Commission européenne et de l’avis de la Direction de la législation fiscale, multiplient les procédures à l’encontre de l’État français.

À partir de 2015, donc, il était clair que cette taxe était contraire au droit européen, que les risques d’annulation étaient réels et la menace pour les finances publiques, considérable.

Le plus important à mes yeux, c’est moins le passé que les leçons que nous pouvons tirer de cet épisode pour l’avenir. En conséquence, j’avance un certain nombre de propositions pour que les failles établies par ce rapport de l’IGF ne perdurent pas.

Nous sommes tous concernés : le Gouvernement, les parlementaires, etc. Il revient à l’ensemble des responsables politiques français d’améliorer les dispositions politiques et institutionnelles concernant la loi fiscale pour garantir à nos compatriotes la sécurité et la stabilité de la législation fiscale. Telles sont, en tout cas, les deux orientations que je fixe : sécurité et stabilité de notre législation fiscale dans les années à venir. À cette fin, je vous soumets trois objectifs.

En premier lieu, je vous propose de renforcer la sécurisation de la procédure d’élaboration de la loi fiscale, car on voit bien, à l’aune de cette affaire, que notre procédure est insatisfaisante, incomplète et insuffisamment rigoureuse. Nous devons prendre le temps de garantir la robustesse juridique des dispositifs votés. Nous devons davantage associer les parties prenantes : les entreprises, les contribuables, le Conseil d’État, la Commission européenne. Il faut davantage les consulter pendant la procédure d’élaboration de la loi fiscale.

En deuxième lieu, je vous propose une plus grande transparence sur les risques de contentieux. Une alerte de la Commission européenne ou de la Cour de justice de l’Union européenne ne doit pas rester confinée au secret au sein de l’administration fiscale ou du Gouvernement. Elle doit être relayée, et je vous propose qu’elle donne lieu à une information de la commission des finances de l’Assemblée nationale et de la commission des finances du Sénat, qui disposeront ainsi de toutes les informations nécessaires sur les risques de contentieux et en tireront les conséquences.

En troisième lieu, je vous propose de remettre à plat le dispositif administratif de suivi du contentieux fiscal, avec une procédure d’alerte plus efficace pour que, quand nous savons que le contentieux peut déboucher, les décisions nécessaires soient prises. Cela n’a pas été le cas pour la taxe à 3 % sur les dividendes.

Je souhaite que nous engagions un travail en ce sens. Je vous propose que Sénat, Assemblée nationale et Gouvernement travaillent ensemble sur le fondement de ces objectifs et des autres propositions formulées par l’IGF pour améliorer l’élaboration de la loi fiscale. J’y attache une très grande importance, car je considère que les événements qui se sont produits une fois, faisant peser une menace sur nos finances publiques et mettant à mal le respect de nos engagements européens, ne doivent pas se reproduire. Or ce n’est qu’en allant au fond du sujet, en traitant les problèmes à la racine que nous remédierons aux failles constatées au niveau de l’élaboration de la loi fiscale française.

Telles sont les propositions que je voulais vous faire aujourd'hui, en profitant de ce débat. Bien évidemment, elles sont ouvertes à discussion, et je souhaite que nous puissions continuer à échanger sur le sujet.

Nous aurons d’autres occasions pour évoquer plus globalement le projet de loi de finances pour 2018, et je défendrai devant vous, la semaine prochaine, la transformation en profondeur de la fiscalité de notre pays, telle que proposée par le Gouvernement. Mais ce n’est pas le sujet du présent débat. Il s’agit ici de tourner la page de cette histoire de taxe, d’arriver à financer le manque à gagner pour l’État et de garantir le respect de nos engagements européens.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion