Le recours devant le Conseil d’État en 2016 laissait subsister encore moins de doutes. Notre rapporteur général avait alors clairement évoqué le problème constitutionnel.
Le Gouvernement refuse de prendre à sa charge la totalité du remboursement, la somme de 10 milliards d’euros étant trop importante et risquant d’obérer la baisse du déficit public sous les 3 % en 2017. Mais j’ai une question à formuler : la taxe sur les revenus distribués a rapporté au budget de l’État, chaque année depuis 2013, 2 milliards d’euros ; elle a donc, malgré son caractère aujourd’hui illégal, contribué à amoindrir le déficit public, qui, calculé sur des bases corrigées, devrait donc être de 3, 3 % en 2017, et non de 2, 9 %. Voilà la réalité dont vous êtes non pas responsable, monsieur le ministre, mais comptable. Ce sont des arguments objectifs que je veux livrer à notre assemblée.
Il faut également intégrer le fait que l’économie, pour une part, repose aussi sur de la psychologie. Pour le moment, je dois l’avouer, pour m’en réjouir, le Président de la République bénéficie d’une relative bienveillance, et la confiance revient progressivement. Les investissements reprennent, les embauches en CDI augmentent. Mais cette confiance reste fragile. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de donner des gages, parce que les acteurs économiques ont besoin de stabilité, de lisibilité et de confiance. Pourtant, les principales mesures qui leur avaient été promises pendant la dernière campagne électorale ont déjà été repoussées à 2019, puisqu’il n’y aura pas d’amélioration sensible à attendre dans le projet de loi de finances pour 2018. Ajouter à cela que toute erreur commise par l’État, selon ce que vous nous proposez aujourd’hui, doit être payée sur le dos des entreprises, c’est, je le crois, mettre dangereusement en péril le lien de confiance que j’évoquais.
Alors que le Gouvernement promet de baisser l’impôt sur les sociétés pour le ramener à 25 % en 2022, voilà qu’il commence par l’augmenter pour certaines entreprises pour le porter à un niveau record qui peut atteindre 43, 33 %. Excusez du peu ! Prendre les grandes entreprises en otage ou pour des vaches à lait, c’est parfois oublier que ces fleurons de notre économie sont aussi de formidables pourvoyeurs d’emplois, par milliers, et qu’ils génèrent beaucoup de sous-traitance auprès d’autres entreprises.
Monsieur le ministre, vous nous avez dit que 318 entreprises seraient concernées, dont 109 par la contribution additionnelle. Parmi elles, 223 seraient perdantes, c’est-à-dire qu’elles paieraient plus de surtaxe qu’elles ne recevraient de remboursement. Sur ces 223 entreprises perdantes, un tiers seraient même, pour reprendre vos propos, des perdantes « net », c'est-à-dire qu’elles ne bénéficieraient d’aucun remboursement, tout en étant prélevées. Surtout, il y a quinze jours, il n’était même pas question qu’elles le soient. Ce sont d’ailleurs bien souvent des entreprises de taille intermédiaires, les fameuses ETI, qui sont les premières créatrices d’emploi en France, celles-là mêmes qui ont réinvesti leurs bénéfices dans leur croissance plutôt que dans la rémunération d’actionnaires. Ce sont aussi des entreprises ou des groupes mutualistes bancaires ou de protection sociale qui sont impactés à un niveau record, et cela doit nous interpeller.
Ainsi, les entreprises concernées se voient imposer près de 800 millions d’euros de contributions, dont, je le répète, elles n’avaient pas connaissance il y a un peu plus de quinze jours. Et, aujourd’hui, plus de 15 % de cette facture est à la seule charge de trois grands groupes mutualistes et coopératifs.
Monsieur le ministre, vous parlez de perdants nets, de perdants et de gagnants. Je ne poserai qu’une seule question : y a-t-il réellement des gagnants ? Pour ma part, je n’en vois pas ! C’est à tort que les entreprises frappées par la taxe de 3 % sur les dividendes ont été mises à contribution. Le remboursement des créances n’est donc pas un gain, mais la restitution d’un indu. Finalement, toutes les entreprises sont perdantes dans cette affaire.
Je vous ai bien entendu expliquer, il y a quelques instants, que ces taxes seraient exceptionnelles. Mais je fais appel à notre mémoire et je nous mets en garde collectivement quant à certaines taxes, dont le caractère exceptionnel était promis à l’origine et qui, malheureusement, se sont révélées bien durables.
Enfin, je tiens à juxtaposer trois chiffres, qui, à eux seuls, résument en quelque sorte la philosophie du Gouvernement aujourd’hui.
Ce gouvernement pratique ce que j’appelle « l’échantillonnage des 300 et quelques » : 318, 319 et 324 ; 318, c’est le nombre de grandes entreprises surtaxées à un niveau record ; 319, c’est celui des grandes collectivités que l’État convie à des travaux dirigés surveillés par ses soins, qui subissent une forme de tutelle, un plafond de dépenses et un ratio d’endettement mal calibré ; et 324, c’est le nombre d’emplois publics supprimés par l’État en 2018 sur un total de 2 millions.
Avec ces trois chiffres étonnamment proches, nous constatons combien les efforts demandés peuvent être variables entre des entreprises surtaxées, des collectivités déjà lourdement ponctionnées par l’État, au point d’en être parfois à l’os, et un État qui, s’il ne fait pas l’effort de se réformer, n’en continue pas moins à jouer les donneurs de leçons.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, avec ce projet de loi de finances rectificative établi dans l’urgence, vite fait, mal fait, on nous propose de passer l’éponge sur une ardoise de 10 milliards d’euros. Cette dernière a été accumulée par l’État avec une forme d’inconséquence, par un enchaînement malheureux d’absence de décision particulièrement préjudiciable aux intérêts de la France. Il s’agit, ni plus ni moins, du plus gros fiasco fiscal de l’État sous la Ve République. D’un fiasco d’État dont le Gouvernement a imaginé, en l’absence pourtant de toute responsabilité et, plus encore, de toute culpabilité des entreprises, de proposer une réparation partagée, à moitié, entre 300 et quelques entreprises objets d’un tirage au sort orienté. Un seul critère de choix a été retenu : le chiffre d’affaires brut, non corrigé de données comme l’emploi, l’exposition à la concurrence, la compétitivité ou la profitabilité.
Votre choix, monsieur le ministre, est injuste. Il augure mal de l’avenir, notamment du pacte de confiance que vous appelez de vos vœux et que vous voulez par ailleurs proposer aux acteurs économiques. Nous ne pouvons le cautionner. C’est pourquoi le groupe Les Républicains demeure opposé à ce projet de loi de finances rectificative et votera, bien sûr, la motion proposée par la commission des finances tendant à opposer la question préalable.