L'offre de certification n'est donc pas en phase avec les besoins actuels : la spécialisation des diplômes s'accorde mal avec les exigences de polyvalence requises par le marché du travail.
La complexité atteint, en outre, les financeurs.
On décompte 98 organismes paritaires collecteurs agréés, ou OPCA, spécialisés, à des degrés divers, par branche ou par région, auxquels il convient d'ajouter les organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage, ou OCTA.
La complexité touche, enfin, les pouvoirs publics et les administrations d'État ou territoriales. J'y reviendrai dans quelques instants.
J'en viens au deuxième C : les corporatismes.
La complexité fait le lit des corporatismes, voire de petites féodalités, dans lesquels chacun est soucieux de son pré carré et du bon fonctionnement de sa structure, oubliant parfois l'objectif qui consiste à répondre aux besoins des salariés et des entreprises.
Cela induit le troisième C : les cloisonnements. Chacun reste dans son domaine et ne sait pas ce que fait son voisin. C'est la politique de la patate chaude, selon laquelle chacun « se refile le bébé ».
Je me réjouis, par conséquent, de la fusion ANPE-UNEDIC, actuellement en débat au Parlement. Lors de la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s'était engagé à créer un service public de l'emploi universel pour mettre fin au parcours du combattant du demandeur d'emploi, en plaçant celui-ci au centre du système.
Comme l'a souligné le Président de la République, « le devoir d'un chômeur, c'est de rechercher un emploi, pas de supporter le fardeau de la complexité administrative, et le devoir de la collectivité nationale, c'est de mobiliser ses moyens au service du retour du chômeur à l'emploi ». Ainsi, il sera possible de trouver à un même endroit l'ensemble des services, qu'il s'agisse de l'accueil, de l'inscription comme demandeur d'emploi, de l'indemnisation, de la formation et de l'accompagnement dans la recherche d'un nouvel emploi.
Lors du débat devant notre assemblée, j'avais proposé un amendement visant à ce que les services d'orientation de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes, l'AFPA, soient intégrés à la nouvelle institution.
À l'heure actuelle, la fonction d'orientation professionnelle des personnes, que celles-ci disposent ou non d'un emploi, reste dévolue aux services d'orientation professionnelle de l'AFPA. Or cette situation est quelque peu contraire à l'objectif de simplification visé par la fusion. Cela revient à priver la nouvelle institution des moyens de mieux assurer sa mission d'orientation.
J'ai retiré cet amendement, dans l'attente du prochain texte de loi sur la formation. Notre commission a, pour sa part, demandé qu'un rapport soit présenté au Parlement, d'ici à douze mois, sur les modalités de cet éventuel transfert.
Le tableau étant dressé, comment s'en sortir ? La mission a fait une quarantaine de propositions. J'en citerai trois qui me paraissent très importantes.
Premièrement, il faut passer d'une logique de dépense à une logique d'investissement. Qui dit investissement dit résultats ; qui dit résultats dit évaluation.
Deuxièmement, il faut fixer d'autres objectifs à la formation professionnelle. Tout système de formation doit apporter une triple réponse simultanée, au projet de la personne, aux besoins de l'entreprise et à la diversité des territoires, en s'appuyant sur le triptyque indissociable « formation, employabilité, emploi ».
Troisièmement, et cela concerne la méthode, aux trois C, nous opposons les trois P et les deux E.
Les trois P sont, premièrement, la personne, physique ou morale, qu'il est impératif de remettre au centre du système, car elle en constitue la finalité, deuxièmement, le partenariat, autour de l'ensemble des acteurs de la communauté de formation, c'est-à-dire l'État, les partenaires socio-économiques, la région et les autres collectivités territoriales, et troisièmement, la proximité, d'abord pour répondre au mieux à la diversité des situations, ensuite pour une raison d'efficacité, chaque euro investi ayant un meilleur rendement lorsque la décision est plus proche de l'action. Le bon niveau nous paraît être le bassin de formation.
J'en viens aux deux E.
Il s'agit, tout d'abord, de l'expérimentation, qui est aujourd'hui inscrite dans la Constitution. Elle doit permettre de lever la crainte des effets pervers non maîtrisés lorsqu'on modifie un système aussi complexe.
Comme vous le savez, monsieur le secrétaire d'État, tout ministre qui prend ses fonctions est convaincu qu'il est urgent d'agir. Six mois plus tard, il est tout aussi convaincu qu'il est urgent d'attendre, tant les corporatismes de tous bords l'ont persuadé que telle ou telle modification allait mettre la France à feu et à sang. L'expérimentation, inscrite dans la Constitution grâce à Jean-Pierre Raffarin, permettra d'éviter ce risque. Il ne faut pas s'en priver.
Le second E est l'évaluation, indispensable pour optimiser les performances de l'appareil de formation.
Aujourd'hui, notre système de formation professionnelle et, de manière plus générale, le service public souffrent d'un manque d'évaluation. Le contrôle de l'État est plus souvent axé sur les moyens mis en oeuvre que sur les résultats ; l'évaluation est parcellaire et ceux qui sont juges sont souvent parties.
S'il est difficile d'apprécier qualitativement les formations, il s'agit néanmoins d'une priorité. L'insuffisance des outils permettant d'évaluer l'efficacité des formations est manifeste. Il nous paraît donc indispensable de créer une autorité indépendante chargée d'évaluer l'ensemble du système, en s'appuyant sur les compétences existantes du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, le CNFPTLV, ou d'autres organismes. Cette agence d'évaluation pourrait intervenir tant pour la formation initiale que pour la formation continue.
Je souhaite présenter trois propositions de notre mission, qui me semblent figurer parmi les plus importantes.
La première concerne la formation initiale. Il est nécessaire de rendre plus sécants les textes du 4 mai 2004, qui consacre les accords de l'Accord national interprofessionnel, ou ANI, et du 13 août 2004, relatif à la décentralisation, et de donner toute sa dimension au plan régional de développement des formations professionnelles, ou PRDF, afin qu'il ait valeur d'engagement pour l'ensemble des partenaires, ce qui permettra de passer de compétences séparées à des compétences véritablement partagées.
Ce plan relève, à l'heure actuelle, plus souvent d'un catalogue de mesures entre les rectorats et les régions. Il faut donc soumettre à cet engagement les autres partenaires, le monde socio-économique, les élus locaux, et regrouper ainsi la dimension paritaire et la dimension territoriale afin de répondre le mieux possible aux besoins.
La deuxième proposition concerne la formation professionnelle.
Notre mission a proposé la création d'un compte épargne formation à partir d'un nouveau droit individuel à la formation, ou DIF, dont la portabilité serait définie par les partenaires sociaux.
Je dirai quelques mots sur le droit individuel à la formation. Je me réjouis que l'accord sur la modernisation du travail, qui vient d'être validé, constitue une première avancée, en prévoyant la portabilité du droit individuel à la formation en cas de licenciement. On peut encore aller plus loin. C'est aux partenaires sociaux de le décider, en se gardant, bien évidemment, d'une transférabilité totale, qui ne serait pas concevable et supportable par les entreprises.
Permettez-moi de rappeler, à cet égard, que toutes nos propositions sont faites à moyens constants. Nous pensons même qu'il serait possible de réaliser des économies.
Le nouveau DIF transférable impliquera la suppression de l'obligation légale, actuellement peu incitative et donc peu efficace. Les entreprises pourront recourir plus librement et plus largement à des solutions moins coûteuses que le recours systématique à des stages.
Pourquoi s'appuyer sur le droit individuel à la formation ?
Le DIF est à la convergence des souhaits du salarié et des besoins de l'entreprise. Le plan de formation relève de l'initiative de l'entreprise et le congé individuel de formation, ou CIF, dépend du salarié. C'est la raison qui nous a conduits à faire du nouveau DIF, qui pourrait d'ailleurs être rebaptisé « devoir indispensable de formation », le pivot du compte épargne formation.
Le salarié pourrait utiliser ce compte épargne formation prévu par notre mission pour acquérir une qualification utile à son employabilité, au-delà des statuts sous lesquels il sera successivement placé au cours de sa vie active. Il est essentiel d'attacher le droit individuel à la formation à la personne plus qu'à son statut.
Ce compte pourrait être activé dès la sortie de la formation initiale, mais également au moment du départ à la retraite. Mais, en aucun cas, il ne pourrait faire l'objet d'un versement en monnaie sonnante et trébuchante, car cela serait contraire à l'objectif recherché, qui est de permettre à celles et ceux qui en ont le plus besoin d'accéder à la formation.
La troisième proposition concerne l'ingénierie, indispensable afin de rendre les mesures efficaces, en premier lieu en matière de formation initiale.
L'orientation est un enjeu central. Aujourd'hui, elle se fait à la suite d'échecs successifs. Il faut passer de cette orientation négative à une orientation positive, qui concilie le projet du jeune, les besoins de l'économie et ceux des territoires.
Il faut notamment encourager l'orientation vers les voies professionnelles et développer les autres formes d'intelligence que sont celles de la main et du geste.
Nous proposons un certain nombre de mesures qui concernent, notamment, les conseillers d'orientation psychologues, dont la connaissance du monde économique nous paraît très largement insuffisante. Nous souhaitons d'ailleurs les « anoblir » en leur attribuant le titre de « conseillers d'orientation professionnelle et psychologues ». Il nous semble également utile qu'ils soient, à l'instar des personnels techniciens, ouvriers et de service, les TOS, rattachés à la région, lieu de cohérence de la formation professionnelle.
En matière de formation continue, les PME et les TPE préfèrent payer l'obligation légale plutôt que de former, tant est grande la complexité de mise en place des formations. Il faut soulager les chefs d'entreprise de ces tracasseries administratives. Nous proposons que les organismes paritaires collecteurs agréés, ou OPCA, leur apportent cette ingénierie, afin de leur éviter le parcours du combattant qu'ils connaissent aujourd'hui. Certains OPCA le font, et même très bien. D'autres n'en ont pas les moyens financiers ou humains, ou en ont les moyens, mais ne le font pas ou ne veulent pas le faire. Il faudra les y inciter, voire les y contraindre.
Par ailleurs, afin de faciliter l'accès à la formation des salariés des TPE et PME, pourquoi ne pas s'inspirer des agriculteurs, qui ont mis en place un service de remplacement, et favoriser des groupements d'employeurs ?
De même, il ne serait pas utopique de s'appuyer sur le potentiel existant pour effectuer ces remplacements ; je pense aux préretraités et retraités, qui pourraient également apporter leur savoir-faire aux jeunes des lycées professionnels ou des centres de formation d'apprentis, ou CFA, après avoir acquis un minimum de pédagogie en activant, le cas échéant, le solde de leur compte épargne formation.
Ces mesures, pour être pleinement efficaces, exigent qu'il y ait, à chaque niveau, un chef de file. Nous avons besoin d'une gouvernance capable d'assurer le lien et la cohérence entre les différents lieux de décision. « Il n'y a plus de pilote dans l'avion », comme l'a dit M. Jacques Delors devant la mission d'information pour résumer l'état actuel de la gouvernance de la formation professionnelle.
Au niveau de l'État, il faut, aux côtés du Premier ministre, un chef de file ayant une vision transversale, afin de sortir de la situation actuelle, dans laquelle, en fonction des gouvernements, entre trois et sept ministères s'occupent de la formation professionnelle.
Ce qui est vrai pour le Gouvernement l'est aussi pour le Parlement, l'Assemblée nationale comme le Sénat, où le problème de la formation est « éclaté » entre deux et trois commissions. Notre mission commune en est l'illustration.
Permettez-moi, mes chers collègues, d'ouvrir une parenthèse pour regretter que les mots de formation et d'éducation, qui constituent la première ligne du budget de la nation, ne figurent dans le libellé d'aucune de nos commissions.
Ce qui est vrai au niveau de l'État l'est aussi au niveau de la région.
La région doit être le lieu de cohérence. Ce pilotage lui revient légitimement, car il s'inscrit dans la logique même de la décentralisation. Mais, pour jouer pleinement son rôle et affirmer son autorité, la région a besoin d'un instrument stratégique suffisamment adapté et puissant pour être efficace. Il s'agit du PRDF, dont la signature, je le répète, doit engager l'ensemble des partenaires.
Le niveau du bassin de formation, enfin, est le lieu privilégié de l'action. Il permet une logique partenariale, qui réunit autour d'une même table élus, chefs d'entreprises, partenaires sociaux, associations et services publics, afin de traiter les besoins spécifiques des bassins et de mener des expérimentations.
Notre mission recommande de mettre en place, à titre expérimental, des conseils locaux de la formation, qui se réuniraient pour échanger des informations, faire des propositions et trouver des solutions concrètes à des difficultés signalées dans l'articulation entre orientation, formation et emploi.
Pour conclure, rien ne pourra se faire sans une volonté politique forte, celle qui a été exprimée à plusieurs reprises par le Président de la République. Or, si le moteur donne toute son énergie, l'embrayage doit rapidement engager le mouvement.
Il n'est plus acceptable - et, personnellement, je ne l'accepte plus - qu'un jeune qui a trouvé une entreprise d'accueil se voie refuser une place dans un établissement. Je n'accepte pas davantage qu'un salarié se voie fermer l'accès à une formation indispensable à son maintien ou à son évolution professionnelle parce que tel ou tel organisme aurait décidé que ce n'était plus la priorité de la branche.
Voila, monsieur le secrétaire d'État, ce que je voulais vous dire. J'attends maintenant de vous des réponses quant à la suite qui sera réservée aux souhaits exprimés par le Président de la République, et dont je souhaite connaître le calendrier.
Je regrette, pour ma part, que Mme la ministre chargée de l'économie, des finances et de l'emploi n'ait pu se rendre disponible pour ce débat. Je ne doute pas de la nature impérative de ces obligations. Mais, une fois de plus, le débat parlementaire et la formation passent au second plan
Cela étant, je sais, monsieur le secrétaire d'État, votre implication dans les domaines de l'économie, de l'emploi et de la formation. Vous en avez donné la preuve comme parlementaire ; vous le prouvez aujourd'hui comme membre du Gouvernement, car la formation est le meilleur investissement de la nation.
Permettez-moi de conclure en citant Socrate, qui, voilà près de vingt-cinq siècles, disait : « Le savoir est la seule matière qui augmente quand on la partage. »
Je souhaite que nous fassions de l'année 2008 celle du partage du savoir, de façon à augmenter les richesses de la nation et à assurer le meilleur avenir pour nos enfants.