J'aimerais d'abord souligner qu'il n'est pas anodin pour l'agriculteur et producteur de lait que je suis, d'exercer les fonctions de rapporteur pour avis sur la mission « Agriculture ». D'autant plus que l'examen de ces crédits revêt cette année une dimension particulière, en raison de la crise affectant le monde agricole.
Cette crise est d'abord économique : les revenus des agriculteurs sont constamment en diminution, les contraignant à repenser leur activité pour conserver un hypothétique revenu, sans aucun élément de répit. Les prix n'évoluent pas : en 1995, je vendais un litre de lait pour 2 francs, aujourd'hui, j'en vends un litre pour 30 centimes d'euros. En revanche, les charges ont considérablement augmenté. Les états généraux de l'alimentation ont permis d'évoquer bon nombre de sujets mais ne règlent ni le problème des quatre centrales d'achat, qui achètent la totalité de la production de 500 000 agriculteurs et de plus de 3 000 entreprises de transformation, ni celui de la restauration hors foyer. En effet, la moitié des repas étant en dehors du foyer, le consommateur ignore l'origine de la moitié de son alimentation, alors qu'il s'agit pour une part importante de produits issus de l'étranger ou d'Europe et achetés sans véritable regard sur le cahier des charges si ce n'est le critère du prix.
Cette crise est aussi morale pour les agriculteurs qui, accusés d'être des empoisonneurs, des pollueurs ou d'être peu soucieux du bien-être animal, sont heurtés dans le sens même de leur métier et leur passion de l'agriculture. En réalité, c'est tout le contraire. Depuis plusieurs années, la très grande majorité, voire l'ensemble des agriculteurs s'engage dans la diminution constante de la part des produits phytosanitaires et dans une attention croissante aux conditions d'hébergement et de nutrition de leurs animaux.
L'impression commune sur le manque de qualité de l'alimentation est erronée, celle-ci ne s'étant jamais autant amélioré que depuis trente ans. Il faut privilégier les circuits courts mais ceux-ci ne sont pas non plus la réponse à tous les maux : je vois mal comment les 220 000 habitants de mon département de la Haute-Loire pourraient être les seuls consommateurs des 430 millions de litres de lait qui y sont produits. Notre agriculture est capable de s'exporter et il faut l'encourager.
Les agriculteurs sont également accusés de productivisme ou d'exploitation intensive parce qu'ils augmentent la taille de leur exploitation ou le nombre de leurs animaux, alors qu'ils cherchent seulement à maintenir leurs revenus. Ils sont par ailleurs soumis à de plus grandes responsabilités du fait de la multiplication des normes et des réglementations, et à des risques plus importants tels que les aléas climatiques, les incertitudes financières, la transmission ou la maladie.
Ce budget de la mission « Agriculture » me paraît paradoxal en comparaison avec les engagements pris depuis 2015. Les manifestations des agriculteurs de cette année avaient en effet incité le Gouvernement à développer la compétitivité du secteur agricole par des mesures introduites dans les lois de finances pour 2015, pour 2016 et pour 2017, mais qui n'apparaissent plus dans le projet de loi de finances pour 2018. C'est notamment le cas de la suppression de l'allègement des sept points sur les cotisations sociales des agriculteurs dont le revenu est supérieur à 13 500 euros, qui me paraît mal venue alors que la compétitivité du secteur ne sera pas restaurée en 2018. C'est aussi le cas de la fin annoncée de la transition concernant le forfait pour accéder en plusieurs années au régime du micro-bénéfice agricole (micro-BA) qui pèsera sur 20 % des exploitations, ou encore des aides supplémentaires du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) sont également en diminution de 84,5 millions d'euros à seulement 56 millions d'euros, alors qu'elles favorisaient l'investissement et la compétitivité du secteur agricole.
La prévision budgétaire ne reprend pas non plus certaines questions qui se poseront pourtant en 2018, telles que l'avenir incertain de la retraite complémentaire obligatoire (RCO), du fait de l'éventuelle suppression de la « taxe farine » qui apporte pourtant 65 millions d'euros sur un budget de 120 millions d'euros, et de l'absence du report de 55 millions d'euros en 2019 sur le budget de la RCO.
Ce budget ne prend ni en compte une éventuelle indexation sur le nombre d'installations, qui pourrait augmenter l'année prochaine, ni les éventuelles répercussions qu'aurait la fin du régime social des indépendants (RSI) sur la mutualité sociale agricole (MSA). À ce titre, l'aide au répit pour épuisement professionnel que verse la MSA sera supprimée en 2018, alors qu'elle permettait de faire face aux aléas que vivent les agriculteurs. Une provision de 300 millions d'euros pour la gestion des aléas climatiques est certes prévue mais ne suffira pas. Il nous faut une politique novatrice qui tienne mieux compte de ces aléas alors qu'ils font peser des risques plus importants. Le montant pour l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) reste certes identique, mais le zonage n'est toujours pas arrêté. Or, s'il venait à s'étendre, le montant de l'ICHN ne suffirait pas.
Je m'interroge encore sur d'autres sujets, tels que les « centimes forestiers » qui demeurent pour l'instant dans le fonds national de solidarité et de péréquation des chambres d'agriculture, l'impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui n'exonèrera pas le secteur agricole, ou encore la pêche, secteur dans lequel la France peine à rivaliser avec les autres pays. En effet, seule une entreprise française figure à la 137e place parmi les 250 entreprises mondiales de pêche. L'absence de fermes aquacoles dans notre territoire profite à d'autres pays comme l'Espagne ou Malte qui récupèrent dans leurs fermes la totalité du thon pêché dans nos eaux. Enfin, le système des aides de la politique agricole commune (PAC) devient trop complexe et opaque, empêchant les agriculteurs de connaître le montant des aides qu'ils toucheront.
En conclusion, je voudrais rappeler mon attachement à défendre le modèle agricole français et son principe selon lequel l'agriculteur demeure propriétaire de son exploitation. Je suis donc Alain Houpert dans sa proposition de ne pas adopter les crédits de la mission.