Intervention de François-Noël Buffet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 novembre 2017 à 9h00
Lois de finances pour 2018 — Mission « immigration asile et intégration » - examen du rapport pour avis

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet, rapporteur pour avis :

La mission « Immigration, asile et intégration » se divise en trois grands secteurs : l'immigration régulière, l'immigration irrégulière, l'asile ; ce dernier est distinct, puisque cette politique est liée à l'application de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Cette mission est dotée de 1,3 milliard d'euros de crédits, en hausse de 10,44 % en autorisations d'engagement (AE) par rapport à 2017.

Les efforts sont inégaux selon les secteurs. Pour l'asile, la hausse est de 11,25 % en AE et les crédits représentent 73,66 % de la mission. Dans le domaine de la lutte contre l'immigration irrégulière, les crédits sont en baisse de 7,18 % en AE.

L'immigration régulière a concerné 227 923 personnes en 2016 : elle est principalement familiale (88 510 personnes) et étudiante (73 324 personnes), l'immigration de travail représentant 22 792 personnes et l'immigration humanitaire 28 751 personnes. L'augmentation de ce flux (+ 4,78 % par rapport à 2015) est principalement due aux régularisations d'étrangers en situation irrégulière intervenues en application de la circulaire « Valls » de 2012.

L'intégration est une politique en souffrance. Certes, l'augmentation de 5,56 % de la subvention de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) permettra l'embauche de 35 équivalents temps plein (ETP). Mais l'asile devient le nouvel axe majeur de l'action de l'office : il occupe le tiers de ses effectifs. L'enjeu d'intégration, qui était le métier premier de l'OFII, n'est plus prioritaire.

On assiste ainsi, depuis 2015, à une forte réduction du périmètre des visites médicales organisées par l'OFII, notamment auprès des étudiants, ce qui pose problème en termes de santé publique.

De même, le bilan du contrat d'intégration républicaine (CIR), créé en 2016, est décevant. On est passé de 240 heures de formation linguistique en 2012 à 148 heures en 2018, ce qui est nettement insuffisant pour l'apprentissage de la langue française. Les immigrés, qui étaient autrefois d'origine latine, sont maintenant plutôt arabophones : il leur faut souvent davantage d'heures de formation pour apprendre la langue française. Les objectifs que se fixe le Gouvernement en matière d'intégration sont inatteignables sans un changement de méthode et un renforcement des moyens.

S'agissant de l'asile, le flux est en constante augmentation depuis la fin des années 2000, avec une hausse de 62 % entre 2010 et 2016. Le nombre de demandeurs d'asile atteindra sans doute 100 000 à la fin de l'année 2017, auquel il faut ajouter 20 000 personnes soumises aux accords de Dublin. Enfin, environ 53 600 personnes sont déboutées du droit d'asile chaque année : elles ne font l'objet d'aucun suivi spécifique et sont rarement éloignées du territoire.

Les délais prévus par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile ne sont pas tenus : alors que l'objectif était de traiter la demande d'asile en 240 jours, ce délai est en réalité de 449 jours. Le budget de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) augmentera en 2018 de 6,8 %, avec 15 ETP supplémentaires, ce qui est opportun. Il en ira de même pour celui de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), qui bénéficiera de 46 ETP supplémentaires.

Une réforme structurelle est nécessaire pour réduire les délais de traitement des demandes d'asile, du dépôt de la demande dans les plateformes d'accueil des demandeurs d'asile jusqu'au jugement.

Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une hausse de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA), dont le montant prévisionnel est toutefois inférieur de 36,9 millions d'euros à la consommation de 2017. Cette augmentation s'explique par la réévaluation du montant additionnel de l'allocation à la suite d'une décision du Conseil d'État.

En ce qui concerne l'hébergement des demandeurs d'asile, le retard est difficile à rattraper : au total, les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) et les hébergements d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA) comptent 80 000 places. Seuls 61 % des demandeurs d'asile et des « dublinés » sont hébergés.

Les efforts sont donc à poursuivre en matière d'accueil matériel des demandeurs d'asile. On constate que le coût journalier par place en hébergement d'urgence est d'environ 16 euros, contre 27 euros dans les centres d'accueil et d'orientation (CAO), créés dans l'urgence pour gérer la crise migratoire.

On peut aussi regretter la suppression de l'aide aux communes qui permettait d'appuyer les efforts d'hébergement des demandeurs d'asile et des réfugiés.

L'hébergement des réfugiés est une question importante pour le Sénat. Il existe aujourd'hui 42 centres provisoires d'hébergement (CPH) pour 2 207 places. Le budget des CPH est en hausse de 66 % en 2018, afin de créer 3 000 nouvelles places. J'ai visité le dispositif provisoire d'hébergement pour les réfugiés statutaires (DPHRS) de Paris, piloté par France terre d'asile, qui est innovant en termes d'accueil, avec des appartements partagés. Il est satisfaisant de constater que 76 % des personnes accueillies accèdent ensuite à un logement pérenne et 56 % à un emploi.

Nous n'avons obtenu aucune donnée précise du ministère de l'intérieur sur le nombre d'étrangers en situation irrégulière présents sur notre territoire. Le seul indicateur, imparfait, est le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État (AME), qui s'élevait à 311 310 à la fin de 2016, en augmentation de 49 % depuis 2011.

On peut déplorer que les crédits de la lutte contre l'immigration irrégulière soient en baisse de 7 % dans le projet de loi de finances pour 2018.

S'agissant des mesures d'éloignement, les résultats sont insuffisants : sur 92 076 mesures prononcées en 2016, seules 16 489 ont été exécutées, dont 12 961 éloignements forcés. Le nombre de ces derniers est en baisse.

Les raisons de cet échec sont diverses : l'intervention du juge des libertés et de la détention (JLD) après 48 heures de rétention, ce délai ne permettant pas toujours aux services de produire devant le juge un dossier complet, des moyens humains insuffisants (1 500 ETP pour les centres de rétention administrative, 300 ETP pour les éloignements forcés), moins de la moitié des laissez-passer consulaires délivrés dans les délais par les pays d'origine.

Sur cette dernière question, la France est liée par 47 accords de réadmission avec des pays d'origine, qui n'ont pas changé depuis 2009. Ce sont essentiellement les pays d'Afrique du Nord et quelques pays d'Afrique subsaharienne qui posent problème. Il faudrait renégocier des accords de réadmission plus fermes. Un ambassadeur chargé des migrations a été désigné en septembre dernier pour traiter cette question. Sa tâche s'annonce ardue.

Les crédits du projet de loi de finances pour 2018 sont donc largement insuffisants : environ 14 500 éloignements forcés sont budgétés, soit moins qu'en 2014 et 2015.

Aux termes des accords de Dublin, l'État de l'Union européenne responsable du traitement de la demande d'asile est celui dans lequel les empreintes du demandeur ont été recueillies. Je signale que 62 % des étrangers interpellés par la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) refusent de donner leurs empreintes digitales. Certains pays, au moment de la crise migratoire, ont d'ailleurs sciemment évité d'enregistrer les empreintes des demandeurs.

Seuls 10 % des « dublinés » sont effectivement transférés vers l'État membre dans lequel ils sont entrés en Europe. En France, leur rétention a été remise en cause par un arrêt de la Cour de cassation du 27 septembre 2017. L'Assemblée nationale examinera le 7 décembre prochain une proposition de loi tendant à régler le problème soulevé par cette jurisprudence. Le Sénat pourrait en débattre début 2018.

Par ailleurs, des projets du Gouvernement mettent les centres de rétention administrative (CRA) sous forte tension. L'attentat de Marseille du 1er octobre 2017 a conduit à augmenter les placements en rétention : le taux d'occupation est proche de 100 % aujourd'hui, contre 60 % en 2016. La volonté du Gouvernement d'augmenter la durée de rétention de 45 à 90 jours accroîtra encore la pression.

Comment financer ces dépenses supplémentaires des CRA ? Les crédits prévus dans le projet de loi de finances pour 2018 sont largement insuffisants.

En conclusion, j'observe que le Gouvernement tient un discours ferme en matière d'immigration, je reconnais que les crédits de la mission sont globalement en hausse mais des difficultés majeures persistent. Dans le domaine de l'immigration régulière, on constate une absence de politique migratoire et une insuffisance des moyens consacrés à l'intégration ; dans celui du droit d'asile, il faudrait une réforme structurelle pour réduire le délai de traitement des demandes, organiser un suivi des déboutés et rattraper le retard en matière d'hébergement ; enfin, en matière d'immigration irrégulière, le taux d'éloignement est très insuffisant, les crédits sont en baisse, les accords de Dublin sont à bout de souffle et le financement des CRA est manifestement sous-budgété.

Par conséquent, je propose de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

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