Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 22 janvier 2008 à 16h00
Santé au travail des salariés et risques professionnels — Adoption des conclusions négatives du rapport d'une commission

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

...même si nous sommes en désaccord en partie sur le fond, notamment sur certaines des réponses apportées.

Les questions de la santé au travail et de la prévention des risques professionnels sont trop peu abordées par nos assemblées, en dehors du traditionnel examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Et, même dans le PLFSS, les dispositions ad hoc sont de plus en plus minimales, le plus souvent réduites ces dernières années à des mesures strictement financières ; cette année, l'application stricte de l'article 40 de la Constitution a même empêché le débat sur les amendements que nous avions déposés, ce qui est tout à fait dommageable.

Ce texte est donc le bienvenu, et je suis heureux qu'il nous permette d'aborder des sujets aussi importants que la prévention des risques, la médecine du travail, le régime des AT-MP et l'amiante. Sans entrer dans le détail des cinquante-trois articles, je dirai que nombre d'entre eux me paraissent très pertinents.

D'abord, en ce qui concerne la prévention des risques, les défis sont importants.

Aujourd'hui, on peut légitimement se demander si le travail, synonyme officiellement d'accomplissement de soi et d'intégration sociale, n'est pas en train de devenir synonyme de souffrance physique et psychique pour un nombre croissant de salariés.

Un sondage récent a montré qu'un peu plus de 25 % des travailleurs de l'Union européenne s'estiment exposés à des risques pour leur santé et leur sécurité. En France, en 2005, les inspecteurs du travail ont relevé près de 760 000 infractions, dont la majorité concernait la santé et la sécurité au travail. Environ 10 000 procès-verbaux ont été transmis au parquet, plus de 7 000 mises en demeure ont été signifiées, dont 96 % relatives à la santé et à la sécurité, et un peu plus de 4 000 arrêts de travaux ont été ordonnés.

Les chiffres des accidents du travail et des maladies professionnelles sont tout aussi révélateurs du défi auxquels nous devons faire face. Leur coût ne cesse de s'accroître, alors même que l'on sait que les AT-MP sont largement sous-déclarés, comme l'atteste d'ailleurs le reversement annuel de la branche AT-MP à la branche assurance maladie. La sous-déclaration atteint d'ailleurs des formes de sophistication très élaborées dans certaines entreprises, et même parfois recommandées, comme cela a pu être révélé par la presse. Nous avons eu l'occasion d'en débattre au moment de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ; je n'y reviendrai donc pas.

Un drame tel que celui de l'amiante ne doit plus se reproduire. Le rapport produit en 2005 au nom de la mission commune d'information du Sénat sur le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante a permis, comme l'a rappelé son président, notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, d'identifier les responsabilités et les lacunes de notre système de santé au travail.

Aujourd'hui, ce sont quantité d'autres produits qui doivent retenir notre attention. Les dangers sont connus, qu'il s'agisse de l'amiante résiduel, des produits de substitution tels que les fibres céramiques réfractaires, mais aussi des CMR, les cancérogènes, mutagènes reprotoxiques comme les éthers de glycols, des dioxines, des produits phytosanitaires, pour n'en citer que quelques-uns. Si l'on veut éviter de nouvelles catastrophes du type de l'amiante, il faut aller plus vite et ne pas laisser passer à nouveau quinze ans entre l'identification des risques et l'interdiction des produits dangereux.

À cet égard, le dispositif français d'expertise souffre incontestablement d'un manque de moyens, qu'il s'agisse de l'Agence française de sécurité sanitaire et du travail, l'AFSSET, de l'Institut national de veille sanitaire, l'INVS, du plan Santé au travail ou du plan national Santé-Environnement. C'est un sujet que j'ai d'ailleurs déjà abordé lors de l'examen des crédits de la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2008. Je n'y reviendrai donc pas non plus.

En ce qui concerne les dispositifs de prévention en vigueur dans les entreprises, je considère, comme nos collègues du groupe CRC, qu'il est particulièrement nécessaire de renforcer les moyens et les missions des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT.

À ce propos, je m'arrêterai un instant sur l'article 14 de la proposition de loi, qui comprend des dispositions relatives au regroupement des entreprises de moins de cinquante salariés pour créer un CHSCT. En effet, on sait aujourd'hui que c'est dans les petites et moyennes entreprises que l'effort doit être amplifié.

Je considère moi aussi qu'il est nécessaire de prévoir la constitution de CHSCT interentreprises, regroupant des entreprises soit situées sur un même bassin d'emploi ou une même zone d'activités, soit, et c'est encore mieux, relevant d'une même branche professionnelle, soit présentant des problématiques de sécurité identiques.

J'en viens à la médecine du travail, qui revêt aujourd'hui une importance primordiale : elle est l'institution clé pour la prévention des risques professionnels.

Or force est de constater qu'elle est bien mal en point aujourd'hui. Elle a notamment été la grande absente de la conférence nationale sur les conditions de travail organisée au mois d'octobre 2007. Pourtant, elle devrait être au coeur du dispositif.

Dans son dernier rapport, l'IGAS, dresse un bilan sévère de la réforme de 2004. On peut y lire que « le dispositif de santé au travail n'est pas en mesure de relever les défis à venir » qu'il s'agisse du suivi médical des travailleurs précaires, des risques à effet différés ou de l'intensification du travail.

Madame la secrétaire d'État, ce rapport, qui vous a été remis en octobre dernier par les professeurs Conso et Frimat, dresse un constat sévère des dysfonctionnements et des défaillances de la médecine du travail. La réforme de 2004 qui visait à renouer avec la prévention, n'a pas atteint son but du fait, entre autres, d'« une offre déconnectée des besoins, une procédure d'habilitation qui tourne à vide, un contrôle de l'État sans véritable point d'ancrage, un temps médical insuffisant pour faire face aux missions qui incombent aux services de santé au travail - les SST -, des praticiens mal formés... ».

Comme le précise ce rapport - et comme l'indiquait, en 2004, celui de M. Gosselin - les médecins du travail sont trop isolés et enfermés dans une logique d'aptitude à l'emploi, qui diffère d'une vraie logique de santé. La médecine du travail reste trop repliée sur une approche formelle axée sur les moyens plutôt que sur les résultats. Le maintien du régime d'aptitude limite les capacités d'évolution du dispositif de santé au travail vers une logique de prévention collective. De ce point de vue, les propositions de nos collègues me semblent réellement pertinentes.

Une réforme à la hauteur des enjeux actuels ne peut se concevoir sans la création d'un grand service public de la santé au travail. Il reste à déterminer sous quelle forme.

À ce titre, j'adhère aux propositions qui sont présentées dans le présent texte. Je regrette que Mme le rapporteur ne partage pas mon appréciation. Cela fait partie de nos points de désaccord.

Un service public permettrait de définir une politique globale de la santé au travail. Une agence nationale, créée sous la forme proposée par nos collègues, constituerait un outil pour en améliorer le pilotage, en confiant à un opérateur unique des missions et des moyens aujourd'hui éparpillés entre l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail, l'AFSSET, l'Institut national de veille sanitaire, l'INVS, le plan Santé au travail, le PST, et le plan national Santé-Environnement, le PNSE.

Je crois sincèrement que, au moins dans sa forme actuelle, la gestion patronale des services de santé au travail a vécu et il me paraît nécessaire que les pouvoirs publics exercent un contrôle plus efficace.

La médecine du travail doit revoir son fonctionnement et, surtout, son mode de gouvernance, dans lequel les employeurs ont actuellement un pouvoir disproportionné.

Il ne s'agit pas de rompre complètement, loin s'en faut, le lien entre les services de santé au travail et les entreprises. Je considère toutefois que la gestion des services de santé au travail devrait être paritaire, car les représentants des salariés y ont selon moi toute leur place. À tout le moins, il me semble urgent d'assurer l'indépendance des médecins du travail et de clarifier leurs responsabilités par rapport à celles de l'employeur.

Puisque cette proposition de loi ne semble pas devoir aller plus loin que le débat d'aujourd'hui, nous attendrons avec impatience les propositions que feront les partenaires sociaux dans ce domaine et les conséquences qu'en tirera le Gouvernement.

Je dois avouer que je nourris quelques inquiétudes à ce sujet. C'est en effet ce gouvernement qui, dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, a fait voter la disposition contestable qui confie aux employeurs le contrôle médical des arrêts de travail normalement assuré par la sécurité sociale.

J'ai tenté de convaincre le Sénat de la dangerosité d'une telle mesure, en particulier lorsqu'elle s'applique aux accidentés du travail et victimes de maladies professionnelles. Il existe en effet un conflit d'intérêt pour l'employeur qui fait contrôler par un médecin qu'il rémunère la validité de l'arrêt de travail causé par un accident du travail ou une maladie professionnelle dont il est responsable !

Parmi les mesures proposées par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, je souscris à la création, au sein du dossier médical personnel, le DMP, d'un volet spécifique dédié à la santé au travail. Le groupe socialiste avait soutenu cette disposition lors de l'examen de la réforme de 2004. Ce sujet devrait être intégré dans les travaux en cours de préfiguration du DMP.

Selon Mme le rapporteur, ce projet pose un problème de faisabilité. En fait, je crois bien que c'est l'ensemble du DMP qui pose un problème de faisabilité !

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