Intervention de Laurent Duplomb

Commission des affaires économiques — Réunion du 22 novembre 2017 à 9h05
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « agriculture alimentation forêt et affaires rurales » - examen du rapport pour avis

Photo de Laurent DuplombLaurent Duplomb, rapporteur pour avis :

C'est avec une certaine émotion que je vous présente pour la première fois les crédits de l'agriculture. Nous allons, à trois voix, vous livrer notre analyse du budget 2018 prévu pour l'agriculture, et je me félicite du travail en commun que nous avons mené dans une excellente ambiance.

Mon propos tiendra en trois points. Tout d'abord, le contexte pour l'agriculture reste difficile : la mutualité sociale agricole a publié ses derniers chiffres en octobre qui montrent que 30 % des exploitants agricoles avaient gagné l'année dernière moins de 350 euros par mois, et 20 % étaient en déficit. Naturellement, les réalités varient exploitation par exploitation et filière par filière, mais globalement l'année 2016 a été très difficile, en particulier dans le secteur céréalier avec des rendements historiquement faibles. Dans le secteur du lait et en viande bovine, les prix bas ont également pénalisé les éleveurs.

L'année 2017 est marquée par une certaine amélioration avec un retour à des rendements normaux en céréales, une hausse des prix du lait et la bonne tenue des ventes de broutards à l'export. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps : l'agriculture française reste fragile économiquement pour au moins trois raisons.

- La volatilité des prix expose à des retournements violents de situation : on l'a vu dans le lait ces dernières années. Ce phénomène s'aggrave et devient de plus en plus « meurtrier » tandis que la PAC ne joue plus son rôle d'amortisseur de crises.

- La concurrence internationale est de plus en plus forte et l'ouverture des marchés avec les négociations comme le CETA avec le Canada et bientôt avec le Mercosur, oblige notre agriculture à aller vers plus de compétitivité, faute de quoi elle disparaîtra en tant qu'activité économique.

- Dans le rapport de force au sein des filières agricoles et alimentaires, l'agriculteur est toujours le plus faible : 500 000 agriculteurs font face à 3 000 entreprises de transformation et quatre acheteurs de la grande distribution. Ces centrales d'achat font la pluie et le beau temps d'autant que leur nombre est passé de sept à quatre.

Un élément complique encore davantage la situation des agriculteurs : les retards dans les versements des aides de la PAC. Depuis la réforme de 2014, le système ne tourne pas rond. Certes, les avances de trésorerie remboursable (ATR) ont permis de régler jusqu'à 90 % des aides, mais certains dispositifs sont encore en retard, en particulier les aides au bio ou les mesures agroenvironnementales climatiques (MAEC). Dans ce système qui s'apparente un peu à une « usine à gaz », on nous promet un retour à un calendrier normal de versement des aides en 2018, au prix d'un réajustement à la hausse des moyens du ministère et de l'Agence de services et de paiements. On aimerait croire à ce scénario car les trois dernières années ont été difficiles. Les paysans en arrivent à ne plus savoir à l'avance quels seront les montants d'aide qu'ils percevront.

Au-delà des facteurs économiques, il y a une raison plus profonde et plus préoccupante de la fragilisation de notre agriculture et de nos agriculteurs : ceux-ci en ont assez d'être sans cesse au banc des accusés. Le débat sur les pesticides en général et le glyphosate en particulier est emblématique de cette crise de confiance vécue comme une profonde injustice. Notre agriculture produit, en effet, une alimentation de grande qualité. Nous assurons une traçabilité de nos productions qui n'existe quasiment nulle part ailleurs. Nous avons une gestion technique, tant en cultures végétales qu'en élevage, remarquable. Nous faisons aussi d'importants efforts en matière de produits phytopharmaceutiques ou encore de maîtrise des effluents. Nous sommes également très attentifs au bien-être animal en élevage. Malheureusement, ce n'est jamais assez ! Au-delà des arguments économiques, de la dureté du métier, c'est ce sentiment d'être les mal-aimés de la société française qui décourage les vocations.

Il faut avoir à l'esprit ce contexte lorsque l'on examine le budget 2018 et j'en viens maintenant au deuxième point de cet exposé : l'analyse des crédits.

En légère baisse de 3,1 % en autorisations d'engagement et en hausse de 1,3 % en crédits de paiements, les crédits de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » seront assez proches en 2018 de ce qu'ils étaient en 2017. La mission représente ainsi 3,4 milliards d'euros. Je note qu'elle enregistre le retour dans son giron de la pêche maritime, qui relevait jusqu'à l'année dernière du budget de l'écologie. Mais l'enjeu budgétaire est modeste : 45 millions d'euros. Je signale également que ces crédits ne sont pas les seuls gérés par le ministère de l'agriculture, qui a aussi la responsabilité, d'une part, de l'enseignement technique agricole, avec 1,45 milliard d'euros relevant du programme 142, et, d'autre part, de l'enseignement supérieur et la recherche agricole avec 350 millions d'euros relevant du programme 143. Par ailleurs, bien d'autres ressources viennent en appui à la politique agricole, à commencer par la PAC qui apporte chaque année une contribution de l'ordre de 9 milliards d'euros à la France, dont un peu moins de 7,3 milliards d'euros proviennent du 1er pilier et environ 1,7 milliard d'euros du deuxième pilier. En outre, la Commission des finances chiffre à 6,5 milliards d'euros les allègements sociaux et fiscaux dont bénéficie l'agriculture française, ce qui conduit à évaluer les concours publics à l'agriculture à environ 20 milliards d'euros par an. Enfin, je rappelle que le budget du ministère de l'agriculture est essentiellement un budget de fonctionnement avant d'être un budget d'appui aux exploitations agricoles : les dépenses de personnel représentent 890 millions d'euros et les subventions aux établissements publics et autres organismes sous tutelle du ministère de l'agriculture - qui servent essentiellement à payer leurs personnels - représentent presque 550 millions d'euros.

Le maintien du budget de la mission en 2018 par rapport à 2017 pourrait être considéré comme une bonne nouvelle, surtout qu'en 2017, ce budget était en hausse de 15 % par rapport à 2016. Toutefois, plusieurs raisons amènent à nuancer ce jugement :

- Premièrement, comme en 2016, la dotation 2017 devrait se révéler insuffisante, compte tenu de nombreux aléas budgétaires : crise dans le secteur du foie gras, règlement des refus d'apurement communautaire. En juin dernier, la Cour des comptes avait estimé le dépassement entre 1,5 et 1,7 milliard d'euros. La Commission des finances du Sénat retient un montant plus faible mais encore significatif : 627 millions d'euros. Concrètement, cela signifie que le budget de l'agriculture est structurellement sous doté. Un seul exemple : aucun crédit n'est prévu pour le régime des calamités agricoles. Dans le projet de loi de finances rectificative qui vient d'être déposé, la mission « agriculture » est destinataire d'un peu plus d'un milliard d'euros de crédits supplémentaires.

- Deuxième raison : le maintien des crédits par rapport à 2017 résulte d'un montage très particulier dans le budget 2018. Avec la fin de l'exonération de sept points de l'assurance maladie des exploitants agricoles, la compensation qui était prévue au budget disparaît. Cela aurait dû conduire à baisser le budget de l'agriculture de 438 millions d'euros. Cet écart est rattrapé à cause de deux phénomènes. D'une part à cause d'une inscription de plus de 80 millions d'euros de plus en crédits de paiement sur les mesures agroenvironnementales et l'agriculture biologique, non pas pour permettre de financer davantage de dossiers mais pour rattraper les retards de paiement des exercices antérieurs, et d'autre part ce rattrapage s'explique grâce à l'inscription d'une provision de 300 millions d'euros, destinée à régler des dépenses imprévues.

Une telle mesure pourrait être saluée comme une mesure de prudence bienvenue. Mais on peut craindre qu'elle devienne un solde de tout compte et un argument pour refuser des augmentations de budget durant l'année 2018 en cas de survenance de nouvelles crises. Bref, ce « cadeau » pourrait être empoisonné car insuffisant pour faire face à des difficultés imprévues : nouvelle grippe aviaire, nouveau refus d'apurement communautaire, besoins importants du fonds des calamités agricoles.

Pour terminer mon deuxième point sur les grands équilibres budgétaires, je dirai un mot sur le compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » dit CASDAR. Ce sont les agriculteurs qui l'alimentent à travers une taxe spécifique : la taxe sur le chiffre d'affaires des exploitations. Le CASDAR finance l'innovation en agriculture, notamment les programmes des chambres d'agriculture et ceux des instituts techniques agricoles. Il joue donc un rôle très important. Malheureusement, les mauvais résultats des exploitations amènent à réviser à la baisse cet instrument financier : les 147,5 millions d'euros prévus en 2017 n'ont pas été au rendez-vous. Pour 2018, le budget est donc ramené à 136 millions d'euros.

J'aborde maintenant mon troisième axe : les inquiétudes qui se dégagent à la lecture des choix budgétaires pour l'agriculture :

- La première porte sur la capacité à financer l'ensemble des mesures du deuxième pilier (et notamment la dernière année de versement de l'indemnité compensatoire de handicap naturel en 2020). Elle a en théorie été levée cet été avec le choix du Gouvernement de transférer 4,2 % des moyens du premier pilier de la PAC vers le deuxième pilier pour les années 2018 à 2020. Cette mesure permet de financer l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) à périmètre constant. D'ailleurs, le budget 2018 maintient les 264 millions d'euros de crédits nationaux appelés en cofinancement. Mais on sait que nous devrons revoir la cartographie des zones défavorisées d'ici 2020. Le règlement européen omnibus va nous donner un délai supplémentaire, mais il est clair que tout ajout de territoires bénéficiaires de l'ICHN réduira les aides touchées par les 100 000 agriculteurs qui en sont aujourd'hui bénéficiaires. On peut aussi déplorer que le calibrage trop juste du deuxième pilier de la PAC ait conduit au prélèvement sur le premier pilier qui a une conséquence très concrète : la baisse du montant des aides directes touchées par tous les agriculteurs. En résumé, pour sauver l'ICHN en 2020, on réduit les aides PAC de tous les agriculteurs dès 2018.

- Autre motif d'inquiétude : l'appui à l'investissement des exploitations agricoles ne semble plus être la priorité. Le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) revient à son étiage bas de 56 millions d'euros. La rallonge de 30 millions d'euros n'est pas reconduite. Seuls 15 millions d'euros de crédits sont prévus mais plutôt pour de la mise aux normes sanitaires dans les élevages porcins et de volailles. Le Gouvernement a annoncé un grand plan d'investissement pour l'agriculture et l'agroalimentaire de 5 milliards d'euros. On n'en trouve pas trace dans le budget de l'agriculture en 2018. De même, il n'existe aucune dotation du programme des investissements d'avenir à destination de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Il faut espérer que le grand plan d'investissement ne consistera pas simplement à labelliser des dispositifs déjà existants comme le PCAE.

- Un autre sujet d'inquiétude concerne la compétitivité. En effet, la baisse de 7 points des cotisations d'assurance maladie des exploitants agricoles qui existait en 2016 et 2017 est supprimée par le PLFSS pour 2018. Les agriculteurs bénéficieront à la place d'une cotisation dégressive entre 1,5 % et 6,5 %. Seules les exploitations avec des revenus de moins de 13 500 euros par an seront gagnantes. Au passage, les agriculteurs dans leur ensemble paieront 120 millions d'euros de plus de cotisations maladie par an. La préoccupation d'améliorer la compétitivité de l'agriculture française en prend là aussi un coup et les baisses de cotisations sociales s'inscrivent désormais davantage dans une logique d'accompagnement social que dans une logique de soutien économique.

- Une autre curiosité relève non pas des crédits budgétaires mais du traitement des terres agricoles dans le cadre du remplacement de l'ISF par l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les terres détenus par la famille (hors famille très proche) sont traitées comme de l'immobilier et non pas comme un actif économique et ne sont pas exonérées d'IFI. Ce choix traduit une certaine méconnaissance des mécanismes de portage des terres des exploitations dans le milieu agricole et risque de faire fuir les capitaux familiaux des exploitations agricoles.

- Enfin, la gestion des risques n'est pas une priorité budgétaire. Même si les crédits FAC et Agridiff sont revus à la hausse, ils restent à un niveau anecdotique : un peu plus de 5 millions d'euros en tout. On peut s'interroger également sur la réelle volonté de développer les assurances multirisques climatiques. L'enveloppe de crédits est depuis deux ans une enveloppe de crédits exclusivement européens. Elle me semble cependant sous-dimensionnée, si bien que l'ajustement se fait sur le taux de subvention. Pourra-t-on garantir une subvention à 65 % cette année ? Rien n'est moins sûr. Enfin, le projet de loi de finances n'affiche aucune ambition d'encouragement de la gestion des risques : rien de nouveau sur la déduction pour aléas (DPA), ni d'ailleurs sur l'ensemble des mesures fiscales à destination de l'agriculture. Le Gouvernement semble remettre tout projet de modification à l'année prochaine.

Je terminerai en évoquant les quelques amendements que nous vous proposerons d'adopter :

- Le premier concerne le maintien du fonds d'accompagnement de la suppression du forfait agricole, remplacé par le micro-bénéfice agricole. Il avait été décidé de prendre en charge pendant cinq ans de manière dégressive le surplus de cotisations sociales dues en application de la réforme pour les quelques agriculteurs qui pourraient être perdants. Les montants en jeu sont faibles : 8 millions d'euros maximum par an, et en pratique à peine 2 millions d'euros réellement mobilisés. Le Gouvernement supprime ce fonds, ce qui est mesquin. Nous proposerons de le rétablir.

- Le deuxième amendement concerne la remontée des centimes forestiers des chambres départementales d'agriculture vers le fonds national de péréquation. Cette mesure a été adoptée par les députés sur proposition du Gouvernement, sans aucun débat et un peu par surprise. Les chambres d'agriculture ne sont pas d'accord avec ce schéma. Nous proposerons donc, pour ne pas trop pénaliser les chambres d'agriculture des départements forestiers, que seule une fraction des centimes forestiers remonte au niveau national.

Pour conclure, et parce que je ne peux avoir qu'une confiance très limitée dans la capacité du budget agricole 2018 à faire face aux lourds enjeux pour nos exploitations, je propose un avis défavorable sur l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».

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