Il m'appartient à mon tour de vous parler du budget 2018 pour l'agriculture. Je ne dresserai pas à nouveau le panorama de ce budget mais je m'attarderai sur quelques questions essentielles.
La première porte sur la complémentarité entre fonds européens et fonds nationaux. De nombreux dispositifs sont cofinancés par l'État et l'Union européenne à travers le deuxième pilier de la PAC, porté financièrement par le fonds européens agricole pour le développement rural (FEADER). Les dotations budgétaires du programme 149 sont, pour certaines d'entre elles, la contrepartie de crédits européens encore plus importants : c'est vrai sur l'ICHN, mais aussi sur le PCAE, sur l'installation des jeunes agriculteurs, mais aussi sur les mesures agro-environnementales et l'aide à l'agriculture biologique. Les arbitrages rendus cet été ont consisté à prélever sur le premier pilier pour donner davantage de moyens au deuxième pilier, mis trop fortement à contribution.
Une ligne budgétaire est emblématique des tensions budgétaires sur l'enveloppe de crédits européens : celle de l'aide aux mesures agroenvironnementales et à l'agriculture biologique. Pour 2018, les crédits de paiement sont plus que doublés et passent à 157 millions d'euros, afin de régler la part de l'État sur des engagements antérieurs, mais les autorisations d'engagement, c'est à dire les capacités nouvelles à soutenir les mesures agroenvironnementales et le bio, baissent de 85 à 81,4 millions d'euros. L'agriculture biologique connaît en effet un développement rapide, en particulier depuis 2015 : les surfaces ont fortement progressé et représentent désormais presque 6 % de la SAU, soit un peu plus d'1,5 million d'hectares. Compte tenu des conversions bio en cours, on devrait connaître une hausse des productions en agriculture biologique de l'ordre de 20 % par an d'ici 2020. Le bio bénéficie en effet d'un engouement de la part des consommateurs, ce qui pousse les agriculteurs à s'engager dans cette direction, même s'il existe toujours un risque, notamment de perte de rendement. Il ne faudrait pas croire cependant que le bio sera forcément le nouvel eldorado de l'agriculture française :
- D'une part, le bio ne restera un choix intéressant pour les agriculteurs que s'il existe un différentiel de prix substantiel avec les produits issus de l'agriculture conventionnelle, sinon ce sera un jeu de dupes.
- D'autre part, les moyens d'accompagnement du bio doivent suivre son développement. Et c'est là que l'on rencontre certaines difficultés. Ainsi, dans le budget 2018, le fonds avenir bio, destiné à aider à la structuration de la filière, reste doté de seulement 4 millions d'euros comme ces dernières années, alors que le bio a fortement progressé.
Le Gouvernement a dû également se résoudre à annoncer la fin des aides au maintien de l'agriculture biologique, car l'enveloppe est consommée par l'aide à la conversion. Seules les mesures de conversion pourront être soutenues à l'avenir. Le Gouvernement a demandé aux régions et aux agences de l'eau de prendre le relais mais cette éventualité est peu probable, compte tenu des contraintes budgétaires des uns et des autres.
En résumé, le budget en faveur de l'agriculture bio devient victime de son succès et l'enveloppe européenne n'est plus suffisante. Il faudra trouver de nouvelles ressources ou ralentir le développement de l'agriculture biologique.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder est tout aussi important, voire plus encore que le premier : la formation des agriculteurs et l'installation des jeunes. C'est une priorité affichée depuis longtemps par le ministère de l'agriculture. L'enseignement agricole en est l'une des pierres angulaires, même si le passage dans l'enseignement agricole dirige vers une large palette de métiers en lien avec la nature et non pas seulement celui d'agriculteur. Le taux d'insertion professionnelle est excellent dans cette branche. Mais ce budget ne relève pas de la mission « agriculture ». Nous ne rentrerons donc pas dans les détails sur ce sujet.
Je détaillerai un peu plus mon propos sur les soutiens à l'installation des jeunes agriculteurs. Il y a là un enjeu majeur pour permettre le renouvellement des générations d'exploitants agricoles et pour assurer la préservation d'un modèle agricole qui est celui de l'exploitation familiale, à taille humaine, où l'agriculteur est celui qui travaille effectivement sa terre et s'occupe personnellement de ses bêtes. La politique de l'installation a connu l'année dernière une nouvelle réforme avec la fin des prêts bonifiés, remplacés par une majoration de la dotation jeune agriculteur (DJA), variable selon les régions. Les jeunes agriculteurs bénéficient aussi d'allègements de cotisations sociales les cinq premières années de leur activité et d'une majoration des droits à paiement dans le cadre de la PAC. Il y avait eu un regain des installations en 2015, avec plus de 15 000 nouveaux agriculteurs selon la mutualité sociale agricole (MSA). Mais une large part de ces installations se fait hors du parcours d'installation aidée ;
Pour 2018, le Gouvernement maintient un objectif de 6 000 installations aidées mais plusieurs éléments conduisent à s'inquiéter :
- D'abord, on a été loin des 6 000 installations aidées ces dernières années. Pour 2016, dernière année connue, seuls 4 130 nouveaux dossiers de DJA ont été financés. La tendance semble cependant être à l'accélération des dossiers de DJA en 2017 : le dispositif est devenu plus intéressant en injectant les fonds précédemment consacrés aux prêts bonifiés.
- Autre inquiétude : l'accompagnement à l'installation, pourtant indispensable, n'a cessé d'être réduit ces dernières années. Le dispositif d'accompagnement ne repose plus que sur les stages à l'installation, pour lesquels une enveloppe de 2 millions d'euros est maintenue en 2018 et le programme pour l'accompagnement à l'installation-transmission (AITA), qui n'est plus abondé que par la taxe sur les terrains rendus constructibles, pour un maximum de 12 millions d'euros par an, alors que cette taxe rapporte bien plus (18 millions en 2016 et déjà 15 millions d'euros à la mi-2017). L'installation dépend donc largement d'une taxe fiscale affectée.
- Enfin, la ligne pour la DJA est un peu rabotée cette année, passant de 40 à 38,4 millions d'euros. En tenant compte du cofinancement européen de 80 % sur cette mesure, c'est en réalité 6,4 millions d'euros en moins sur l'installation.
J'appelle à ne pas baisser la garde sur le soutien à l'installation : il ne faudrait pas qu'une reprise des installations soit freinée par des enveloppes budgétaires calculées de manière trop restrictive.
La troisième question sur laquelle je souhaite que l'on s'attarde concerne la sécurité sanitaire, qui constitue un enjeu tant sanitaire qu'économique. Le programme 206 porte les crédits de la sécurité sanitaire, qui augmentent de près de 10 % cette année et s'élèvent à un peu plus de 550 millions d'euros, après la hausse de 4,5 % déjà enregistrée l'année dernière. Ce renforcement est une nécessité, face aux menaces sur le secteur végétal comme la bactérie xylella fastidiosa, comme dans le secteur animal avec l'influenza aviaire qui a touché les élevages de canards ou encore avec la tuberculose bovine.
Je souligne que la surveillance sanitaire s'inscrit dans un cadre qui n'est pas seulement national. En effet, les États membres de l'Union européenne doivent mettre en place des plans de surveillance et des plans de contrôle destinés à s'assurer du haut niveau de sécurité sanitaire des aliments. De plus, les alertes doivent aussi être partagées au niveau européen au sein du Système d'Alerte Rapide pour les Denrées Alimentaires et les Aliments pour Animaux (RASFF) afin de protéger le consommateur. C'est ce qui a été fait mais avec retard dans l'affaire du Fipronil sur les oeufs cet été. Disposer d'un haut niveau de sécurité sanitaire du champ à l'assiette est une condition pour garantir la protection de la santé publique des consommateurs. Mais c'est aussi une condition de la réussite économique de l'agriculture et de l'agro-alimentaire. En cas de problème, les consommateurs se détournent rapidement des produits soupçonnés. Les marchés extérieurs se ferment aussi dès qu'une maladie animale se propage, comme la fièvre catarrhale ovine. La perte du statut d'indemne a pour conséquence directe la fermeture des frontières et la fin des échanges commerciaux.
L'indemnisation des crises sanitaires constitue également un enjeu économique fort pour les agriculteurs. La crise de l'influenza aviaire a nécessité la mobilisation de 120 millions d'euros pour le premier épisode 2015-2016 et 140 millions d'euros pour le deuxième épisode 2016-2017. Le programme 206 n'est pas calibré pour faire face à des crises de grande ampleur : en tout état de cause, la survenue d'un nouvel événement de ce type en 2018 ne pourrait être gérée qu'à travers des nouvelles ouvertures de crédits.
Le programme 206 porte aussi les crédits de plans destinés à mieux maîtriser l'utilisation de produits et substances : Ecoantibio pour les médicaments vétérinaires et Ecophyto pour les produits phytopharmaceutiques, même si le financement État est tout à fait marginal sur ce second programme. Enfin, le programme 206 finance l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (ANSES). On peut se réjouir que la dotation de l'ANSES revienne en 2018 à son niveau de 2016, après la baisse enregistrée l'année dernière. L'ANSES est un organisme de référence, pas seulement à travers son activité d'avis scientifique, mais aussi parce que l'Agence gère 11 laboratoires qui constituent une force de frappe irremplaçable pour de l'expertise rapide en cas de crise. Il faut aussi souligner que l'ANSES aura beaucoup de travail supplémentaire en matière de médicament vétérinaire avec le Brexit et avec le nouveau cycle d'approbation de produits phytopharmaceutiques et de produits biocides. Les redevances qu'elle perçoit doivent permettre de faire face, sans crédits budgétaires supplémentaires, à condition que les règles budgétaires soient adaptées pour permettre le recrutement temporaire de personnels additionnels. Le budget 2018 donne quelques souplesses sur ce point et il faudrait que celles-ci soient pérennisées, à l'heure où l'ANSES va se lancer dans un nouveau contrat d'objectifs et de moyens avec l'État.
D'une manière générale, sur la sécurité sanitaire, j'appelle l'État à ne pas baisser la garde, car il en va de la confiance dans notre alimentation et notre agriculture, tant à l'intérieur que vis-à-vis des marchés extérieurs. Force est de constater que si le programme 206 a été re-basé, il ne l'est qu'a minima, sans réserve pour faire face à d'éventuelles crises nouvelles.
Je terminerai mon propos en évoquant la viticulture. Les vendanges 2017 ont été historiquement faibles : la production française devrait être de 36,8 millions d'hectolitres soit 18 % en dessous de la moyenne des cinq dernières années. Le secteur viticole est pourtant essentiel à notre agriculture : 8 milliards d'euros de chiffre d'affaires à l'export. La viticulture française ne demande pas spécialement d'aides : il n'existe pas de droits à paiement à la surface mais un programme opérationnel sectoriel qui permet de financer des investissements et des mesures visant à améliorer la commercialisation du vin. Je rappelle ici la nécessité de rester attentif à la préservation de la filière viticole. Malheureusement, le nouveau dispositif d'exonération de charges retenu par le PLFSS risque d'être moins favorable au secteur viticole que les dispositifs qui existent aujourd'hui comme le TODE. Ce n'est pas parce que la viticulture semble bien se porter qu'il faut oublier un contexte de forte concurrence internationale. C'est pourquoi des efforts doivent continuer dans le domaine de la promotion, autour des opérateurs UbiFrance et Sopexa qui sont soutenus par le budget du ministère de l'agriculture. C'est pourquoi il ne faut pas non plus hésiter à aller vers davantage de simplification des démarches administratives. Le secteur du vin a d'ailleurs donné l'exemple avec le contrat vendanges, sur lequel quelques améliorations sont encore à prévoir.
Pour conclure, j'émets également en ma qualité de rapporteur, un avis défavorable concernant l'adoption des crédits de la mission : « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural ».