Intervention de Nathalie Goulet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 22 novembre 2017 à 9h05
Projet de loi de finances pour 2018 — Mission « engagements financiers de l'état » - compte d'affectation spéciale « participations de la france au désendettement de la grèce » - comptes de concours financiers « avances à divers services de l'état ou organismes gérant des services publics » et « accords monétaires internationaux » et articles 55 et 55 bis - examen du rapport spécial

Photo de Nathalie GouletNathalie Goulet, rapporteur spécial :

Comme vous le savez, la mission « Engagements financiers de l'État » recouvre essentiellement les crédits alloués au paiement de la charge de la dette. Les intérêts de notre dette représentent plus de 99 % des crédits dont je suis le rapporteur.

Je commencerai donc en évoquant la part de la mission qui pèse, et de loin, le plus lourdement sur les finances publiques : la charge d'intérêts de la dette de l'État.

Elle devrait s'élever à 40,24 milliards d'euros en 2018, soit une légère diminution, de l'ordre de 1 %, entre 2017 et 2018. Cette baisse ne résulte pas de notre vertu budgétaire et elle tient, comme les années précédentes, à la faiblesse des taux d'intérêt, qui réduit mécaniquement la charge de la dette alors même que notre endettement continue de progresser : la dette de l'État devrait représenter 1 752,8 milliards d'euros en 2018, soit 4,5 % de plus qu'en 2017.

Je ne m'étendrai pas outre mesure sur le détail des évolutions de crédits. En revanche, je tiens à rappeler d'emblée que la charge de la dette fait l'objet de crédits évaluatifs et non pas limitatifs. Nous ne votons donc pas des plafonds de crédits juridiquement contraignants mais de simples prévisions. Pourquoi ces crédits sont-ils évaluatifs ? Tout simplement parce qu'il s'agit de dépenses « obligatoires », qui ne sont pas pilotables à court terme par l'État. Le Gouvernement est tenu juridiquement de rembourser ses créanciers.

Cette caractéristique n'est pas seulement un détail technique. Elle emporte des conséquences concrètes et je crois que sur ce type de dépenses, les parlementaires ont un rôle essentiel à jouer : nous devons identifier et surveiller les risques qui pèsent sur la crédibilité de la prévision de dépenses présentée au Parlement. Il ne s'agit pas seulement de prendre acte des estimations du Gouvernement, mais de comprendre les facteurs susceptibles de les faire évoluer.

La Cour des comptes, par la voix d'Alain Lambert et de son Premier président, Didier Migaud, a beaucoup regretté le caractère évaluatif de ces crédits, estimant que le Parlement siège suffisamment pour voter, si nécessaire, un relèvement du plafond. Ces crédits constituent une sorte de « réserve » de dépenses. Une révision de la loi organique relative aux lois de finances devrait sans doute intégrer une réflexion sur ce point.

J'en viens aux quatre principaux risques qui pourraient conduire à revoir à la hausse la charge de la dette pour 2018.

Le premier est lié aux engagements hors bilan de l'État, soit l'ensemble de ses obligations potentielles. Ces engagements hors bilan reflètent des niveaux de risque très divers et leur contrôle par le Parlement est variable.

Trois grands ensembles se dégagent : les engagements pris dans le cadre d'accords bien définis - par exemple les garanties accordées à certains acteurs économiques - qui s'élevaient à 1 000,6 milliards d'euros en 2015 ; les engagements découlant de la mission de régulateur économique et social de l'État, pour 481,5 milliards d'euros ; les engagements de retraites de l'État, enfin, qui représentent, avec 1 723 milliards d'euros, plus de la moitié du total des engagements hors bilan.

Ces engagements ont globalement augmenté ces dernières années. Si tous les engagements hors bilan n'ont pas vocation à se traduire par des dépenses, il s'agit néanmoins d'un risque qui pèse bel et bien sur le niveau de la dette.

Le deuxième risque tient à la possibilité d'une remontée des taux. La politique monétaire accommodante de la banque centrale européenne et de la Réserve fédérale américaine, l'inflation très faible, la « fuite vers la qualité » des investisseurs sont autant de facteurs qui ont contribué, ces dernières années, à ramener et à maintenir les taux d'intérêt à des niveaux extrêmement faibles. À court terme, les taux sont même négatifs. C'est inédit ! Dans son rapport sur l'endettement souverain, l'OCDE souligne d'ailleurs le caractère exceptionnel de la situation actuelle.

Mais cette exception ne se prolongera pas indéfiniment. Une remontée progressive des taux devrait intervenir sur les prochaines années, et il faudrait s'y préparer, ce qui n'est pas, semble-t-il, dans l'air du temps.

Avec la hausse des taux, la charge de la dette progressera - et d'autant plus vite la maturité moyenne de la dette française n'est pas extrêmement élevée par comparaison à d'autres pays : elle s'élève à environ sept ans et demi en France, contre quatorze ans au Royaume-Uni, par exemple. D'après les simulations de l'Agence France Trésor, le coût cumulé d'une hausse d'un point de pourcentage serait de 14,1 milliards d'euros après seulement trois ans et de 34,5 milliards d'euros, après cinq ans.

J'en arrive au troisième risque, le risque de notation. La France se trouve en permanence sous le regard scrutateur des agences de notation. J'ai tenu à m'y pencher de près, car la perception par les investisseurs de la qualité de la dette souveraine peut être fortement influencée par cette notation. Mon rapport précise les modalités du travail de Moody's, et les critères retenus par cette agence pour forger son appréciation. Cela mérite que l'on s'y attache. Les annonces budgétaires ou en matière de politique de l'emploi, le respect des engagements européens sont autant de clignotants surveillés de près - surtout quand on ne s'y tient pas...

Les politiques sectorielles ont également un impact sur notre notation : par exemple, la question de la formation est cruciale, car les agences estiment qu'elle aura un impact sur l'emploi, donc sur la qualité de l'économie française. La note de la dette française dépend donc pour partie des orientations des politiques publiques sectorielles, qui sont traduites dans chacune des missions budgétaires que nous examinons.

Quatrième et dernier risque, enfin, le risque prudentiel. Les dettes des États souverains font l'objet d'un traitement particulièrement favorable dans le bilan des banques et des assurances. Ce traitement prudentiel, qui résulte des règles fixées par le comité de Bâle, encourage les établissements bancaires et les assurances à détenir d'importants volumes de titres souverains, ce qui aide à maintenir de bonnes conditions de financement pour les États.

Mais la crise des dettes souveraines a bien montré que les titres de dette des États n'étaient pas toujours aussi solides qu'on le pensait. Surtout, ces règles conduisent à renforcer l'interdépendance entre l'émetteur souverain et les banques, ce qui signifie qu'une crise qui toucherait les banques se répercuterait très fortement sur l'État - et vice versa. Il est donc possible de voir moduler le traitement prudentiel des titres souverains, afin de mieux apprécier le risque réel lié à une obligation d'État et de cesser de vivre dans la fiction que tous les États rembourseront toujours leur dette. La redéfinition du traitement prudentiel de la dette souveraine pourrait entraîner une recomposition profonde des conditions de financement des États : c'est un risque qui ne doit pas être négligé. À court terme, un renchérissement de la dette de l'État est possible.

Tous ces risques sont d'autant plus préoccupants que notre niveau d'endettement est très élevé. Notre stock de dette a augmenté de façon quasiment continue depuis quarante ans, passant de 15 % du PIB en 1974 à 96,3 % en 2016 - contre 68,3 % pour l'Allemagne.

Le niveau de la dette publique française est un problème évident pour la France, mais c'est aussi un problème pour l'Europe : nous ne respectons pas les critères de Maastricht. Une telle différence d'endettement entre les principales économies de la zone euro n'est pas tenable. Sans jouer les oiseaux de mauvais augure, nous avons atteint un seuil limite.

Le Gouvernement annonce une légère baisse du poids de la dette dans le PIB, avec une diminution prévisionnelle de cinq points de PIB sur le quinquennat. C'est mieux que rien mais à ce compte, il nous faudra cinq quinquennats pour rejoindre le niveau de la dette allemande... Au niveau national, les solutions apportées ne sont donc pas à la hauteur des enjeux.

Au niveau européen, pour l'heure, ce n'est guère mieux. L'approche de la dette publique est largement comptable : des plafonds sont fixés ; ces plafonds ne sont pas respectés ; la Commission tape sur les doigts des États fautifs, mais en vain.

Je pense donc qu'il faut réfléchir dès maintenant à des solutions innovantes, non conventionnelles, permettant un désendettement plus rapide des États européens les plus endettés, dont la France. Trois pistes principales me paraissent intéressantes.

Première piste : un ou plusieurs fonds sectoriels abondés par les États membres qui refinanceraient certaines dettes de façon mutualisée - c'est la proposition mise en avant par Thierry Breton, avec lequel je me suis entretenue, et qui pourrait s'appliquer à d'autres domaines que la sécurité et la défense : l'énergie, l'agriculture, ...

Deuxième piste : la création d'emprunts mutualisés au niveau de la zone euro, par exemple à travers des titres synthétiques adossés à un portefeuille de titres souverains de différents États membres.

Troisième piste : la participation du mécanisme européen de stabilité (MES) au paiement des intérêts des dettes des États les plus fortement endettés en contrepartie d'un engagement durable et crédible dans un processus de redressement de ses finances publiques.

Il me paraît urgent d'ouvrir le débat : pour protéger tant les finances publiques françaises que la solidité de la zone euro, la dette publique doit devenir un enjeu européen de premier plan.

J'en viens au Fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts toxiques - Claude Raynal ici présent connaît très bien le dossier et pourrait nous parler de ceux que recommandait Dexia. Je crois qu'il faut se poser la question de la réouverture du fonds, qui n'accepte plus de nouveaux dossiers depuis avril 2015.

Avec la réforme territoriale, qui a redessiné le périmètre de certaines collectivités territoriales, et le renouvellement des exécutifs locaux, certaines collectivités pourraient se voir pénalisées par des prêts toxiques contractés antérieurement, ainsi que cela a été évoqué lors de mes auditions.

J'en viens, enfin, aux deux articles rattachés cette année à la mission « Engagements financiers de l'État ».

L'article 55 concerne les majorations de rentes viagères. Il s'agit de supprimer la participation de l'État au paiement de ces majorations et donc de laisser les organismes d'assurance porter l'intégralité du coût. L'objectif est clair : réduire les dépenses de l'État. L'économie serait limitée à 138 millions d'euros en 2019 mais atteindrait 1,5 milliard d'euros cumulés sur trente ans.

La suppression de la participation de l'État ne me paraît pas de nature à menacer les organismes débirentiers de faillite et elle contribue à l'équilibre des finances publiques. Je vous propose donc l'adoption sans modification de cet article.

L'article 55 bis, qui a été adopté par nos collègues députés, est lié à la réforme du prélèvement forfaitaire unique prévue à l'article 11 du projet de loi de finances. En effet, dans le cadre de cette réforme, le régime fiscal dérogatoire de l'épargne logement est totalement supprimé pour les plans épargne logement et les comptes épargne logement à partir du 1er janvier 2018. L'article prévoit la remise d'un rapport « analysant l'impact budgétaire et économique de la suppression de la prime d'État pour les nouveaux plans d'épargne-logement et comptes épargne-logement » avant le 1er septembre 2018.

Cette mesure d'information du Parlement me paraît utile. La suppression des avantages fiscaux de l'épargne logement est une réforme d'ampleur qui doit être évaluée. Cependant, le dispositif adopté par l'Assemblée nationale limite le champ du rapport à la question de la suppression de la prime de l'État, alors que ce sont aussi les taux d'imposition qui sont modifiés.

Je vous propose donc d'amender cet article pour que le rapport porte sur toute la réforme du régime fiscal de l'épargne logement.

Au total, je vous propose l'adoption des crédits de la mission et des comptes spéciaux, l'adoption sans modification de l'article 55 et l'adoption de l'article 55 bis tel que modifié par mon amendement.

Voilà, mes chers collègues, les éléments que je voulais porter à votre connaissance sur cette mission qui n'est pas très excitante mais dont les enjeux sont très significatifs.

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