Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 5 décembre 2017 à 21h45
Loi de finances pour 2018 — Justice

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet :

Monsieur le secrétaire d'État, ce budget semble être placé au rang des priorités gouvernementales en bénéficiant d’une augmentation de crédits de l’ordre de 260 millions par rapport à 2017, pour atteindre 7 milliards d’euros.

Nous constatons depuis plusieurs années, désormais, ce mouvement de hausse des moyens alloués à la justice ; et pourtant, la justice est en souffrance. Oui, la justice souffre de nombreux maux !

Les délais de traitement des affaires ne cessent de s’allonger. En dix ans, ils sont passés, en matière civile, de sept mois et demi à près d’un an pour les tribunaux de grande instance. Dans les cours d’appel, ce délai est passé de douze mois et demi à plus de quatorze mois. Quant aux procédures pénales en matière criminelle, elles sont passées de trente-sept mois à quarante mois.

Le stock d’affaires en attente a augmenté de plus d’un quart.

Le nombre de magistrats et de greffiers a diminué et les vacances de postes s’accroissent : l’annonce de 100 magistrats et de 48 assistants de justice ne suffira pas à combler la vacance de 400 postes de magistrat et de 850 postes de greffier.

L’administration pénitentiaire n’a plus les moyens d’assurer la surveillance et donc la protection des détenus comme elle le devrait : 1 600 à 1 800 postes seraient nécessaires pour combler toutes les vacances.

La chaîne pénale est saturée, les décisions restent bien souvent en attente d’exécution. En 2016, parmi les peines devenues exécutoires deux ans auparavant, 16 % n’avaient pas encore pu être exécutées.

Voilà la réalité de la situation, mes chers collègues !

Le système judiciaire français demeure d’ailleurs le moins bien classé parmi ses homologues européens, selon la Commission européenne pour l’efficacité de la justice.

Alors, monsieur le secrétaire d'État, vous l’aurez compris, nous dénonçons, depuis des mois, un incontestable problème de méthode, et nos échanges, lors de la discussion de la proposition de loi du président Philippe Bas, dont mon collègue Bigot et moi-même étions rapporteurs, furent un avant-goût de mon propos de ce jour.

Nous réclamons une loi de programmation, comme celle que le Parlement avait votée en 2002. Cette loi de programmation, véritable boussole pour la Chancellerie, avait permis d’augmenter, en cinq ans, de 37 % le budget destiné à la justice, et surtout de prioriser les dépenses.

L’« ancien monde », comme vous l’appelez, ne peut être balayé d’un revers de manche, sans tirer des leçons, d’autant plus quand celles-ci sont salvatrices.

Comment voulez-vous que nous adoptions aujourd’hui les crédits d’un budget alors que nous n’en connaissons pas les lignes d’exécution, dont nous serons amenés à discuter au premier semestre 2018, à en croire Mme la garde des sceaux ?

Sur des sujets aussi importants pour des millions de Français, qu’ils soient justiciables, magistrats, personnels pénitentiaires, nous devons connaître le cap.

À vrai dire, nous ne savons pas vraiment où vous souhaitez parvenir.

Nous avons proposé une trajectoire budgétaire, sur cinq ans, de plus de 29 % de crédits pour transformer en profondeur la justice : le Gouvernement nous offre aujourd’hui une trajectoire deux fois moins ambitieuse et une loi de programmation probablement quadriennale. L’ambition affichée par le Président de la République lors de sa campagne et celle du Premier ministre dans son discours de politique générale sont revues largement à la baisse, et le compte n’y est pas.

Nous avons proposé de maîtriser les délais, en renforçant les moyens humains dans les juridictions – augmentation des crédits de 5 % par an – et en encourageant des modes alternatifs de règlement des litiges, notamment l’incitation à la conciliation. Mme la garde des sceaux nous répond qu’elle n’est « pas certaine de pouvoir résoudre cette difficulté en 2018 ». La seule réponse budgétaire apportée est la création de cinquante postes en administration centrale pour la numérisation des procédures, alors que ce sont les juridictions qui ont besoin de renforts.

Quant à la simplification des procédures, nous attendrons encore !

Nous avons proposé de diminuer le risque de récidive, notamment en revoyant les modalités d’exécution des peines et en réduisant de moitié le seuil d’aménagement des peines. Mme la garde des sceaux nous a répondu avec beaucoup de prudence qu’il fallait réfléchir. Quant au budget destiné aux aménagements de peine, les crédits de fonctionnement diminuent de 46 %. Comment voulez-vous, monsieur le secrétaire d'État, apporter des réponses aux problèmes récurrents sans y mettre les moyens ?

Le présent budget ne permettra pas non plus d’assurer l’exécution effective des peines prononcées : 5 000 places de prison manqueront pour répondre à la promesse du candidat Macron, comme Mme la garde des sceaux nous l’a avoué lors de son audition.

Les moyens ne sont même pas suffisants pour assurer la maintenance du parc immobilier pénitentiaire existant.

Il s’agit non pas d’une litanie incantatoire, mais de constats partagés sur l’ensemble des travées de cet hémicycle. Vous comprendrez donc, mes chers collègues, que le groupe Les Républicains ne peut donner une caution aveuglée à cette mission.

Les prédécesseurs de Mme la garde des sceaux ont échoué à répondre aux besoins de l’institution judiciaire dans leur réforme de modernisation de la justice du XXIe siècle. Ne traitant les problèmes que de manière partielle et partiale, leur seul objectif était de désencombrer les prisons, de sortir du « tout carcéral ». Résultat, cela ne fonctionne pas !

Des rustines ont été posées sur un système qui est aujourd’hui en danger. Les effets d’annonce ne suffisent plus à rassurer les professionnels de l’institution judiciaire ni même les Français, qui trouvent celle-ci complexe et trop lente.

Une mission du Sénat présidée par Philippe Bas a fait un travail considérable pendant plusieurs mois.

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