Intervention de Stéphane Artano

Réunion du 7 décembre 2017 à 15h00
Loi de finances pour 2018 — Outre-mer

Photo de Stéphane ArtanoStéphane Artano :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, un budget traduit une vision politique. Il exprime une certaine philosophie de l’action publique qui guide ceux que les Français ont choisis pour présider à leurs destinées.

Je n’ai pas l’intention de rentrer dans le détail de la mission « Outre-mer » ; beaucoup l’ont déjà fait, d’autres le feront après moi et nous disposons de rapports très complets sur le sujet. Je préfère mettre l’accent sur la méthode, qui, pour le groupe du RDSE, reste l’une des clefs de l’action politique.

Ce premier projet de budget de la mission « Outre-mer », défendu par vous, madame la ministre, préserve l’essentiel, mais ne va pas au-delà. En tant qu’ancien président de collectivité, je sais aussi que rien ne se fait du jour au lendemain. Comme l’a affirmé Michel Magras en commission, c’est « l’amorçage budgétaire du quinquennat ». Je fais mien le commentaire formulé par nombre de mes collègues : la hausse annoncée de 4 % n’est en fait qu’un dégonflement « sincère » des crédits pour 2017. En effet, madame la ministre, vous avez consenti un effort de sincérité budgétaire, qui devra être durable : êtes-vous prête à en prendre l’engagement devant nous ?

J’en viens au cœur de mon propos, en partant du constat que le budget 2018 est un budget de transition. Qu’en est-il pour demain ? À cette heure, c’est encore assez flou.

La question centrale qui se pose aujourd’hui est celle de la vision de l’État pour l’outre-mer. Souhaite-t-il, souhaitons-nous, nous qui siégeons dans cette assemblée, transformer les outre-mer ? En effet, il s’agit d’une œuvre collective. Une action politique résolue en outre-mer passe par une vision claire de notre avenir.

Je note, avec une constance qui me gêne, que, si les réalités ultramarines sont complexes, nous faisons toujours l’objet d’un traitement différencié par rapport à l’Hexagone. A-t-on vu des états généraux organisés dans l’Hexagone, comme cela a été le cas partout en outre-mer en 2009 ? Non.

Le Président de la République nous annonce aujourd’hui la tenue d’assises. Leur contour précis a été assez long à se dessiner, mais les choses sont désormais lancées, il faut s’en féliciter.

En posant comme postulat que l’outre-mer doit travailler à définir son avenir, le Président de la République ne propose pas une vision de l’outre-mer ; il nous demande, à nous ultramarins, de regarder vers la métropole et d’exprimer nos souhaits. Finalement, l’État, n’ayant pas de vision propre, ne demande-t-il pas à ses outre-mer de lui en livrer une sur un plateau ? C’est ce regard totalement inversé qui me gêne profondément. La France a pourtant tant à apprendre de ses outre-mer !

Cette absence de vision, voire de regard, sur le sens de l’action de l’État en outre-mer est encore plus flagrante en matière de culture. Nous avons tous pris note de votre volonté, madame la ministre, de faire de la Cité des outre-mer une œuvre collective. Elle ne l’a peut-être pas été suffisamment jusqu’à présent, et la suppression des crédits donne aujourd’hui à penser que les engagements de François Hollande seront difficiles à tenir.

Par ailleurs, comment comprendre qu’aujourd’hui la disparition de la chaîne France Ô puisse être une hypothèse de travail pour France Télévisions ? Alors même que, sur le plan culturel, des ponts doivent être créés entre l’outre-mer et l’Hexagone, force est de constater que l’avenir incertain de la Cité des outre-mer et la disparition possible de France Ô transforment le regard que l’Hexagone porte sur l’outre-mer, et risquent même de l’éteindre.

Je crois sincèrement que la politique ultramarine doit reposer sur un socle commun défini par le Gouvernement, dans le nécessaire respect des réalités de territoires dont les problématiques sont extrêmement diversifiées.

Or la méthode de nouveau employée par l’État, c’est de laisser croire que la colonne vertébrale du développement en outre-mer passe par de grandes consultations seulement menées dans nos territoires. Seront-elles inutiles ? Non, je ne le souhaite pas, mais ma crainte profonde est que l’on suscite un espoir qui, s’il ne se traduit pas budgétairement dans les années qui viennent, débouchera, à l’inverse de l’effet recherché, sur une démotivation des territoires et des populations. Les élus auront alors à s’expliquer devant celles-ci sur le résultat de ces consultations.

Lors de la présentation de son rapport, mon collègue Michel Magras déclarait, après avoir auditionné le rapporteur national des Assises des outre-mer, que « le but fondamental de ces assises n’est pas tant de réitérer des préconisations déjà largement connues que de faire émerger et soutenir une nouvelle génération d’entrepreneurs ultramarins ». Je suis d’accord à 100 % avec cet objectif.

Cependant, nous aurions souhaité avoir des discussions en amont pour bien comprendre ce processus. Les présidents de collectivité que vous avez reçus, madame la ministre, vous l’ont également dit. Nous cherchons avant tout à nourrir le débat public et à faire avancer les choses.

Dans ce processus où manque une certaine vision, il faut aussi tenir compte de ce que les collectivités ont déjà fait en matière de réflexion sur leurs territoires. Cette absence de vision claire de la part de l’État donne aussi parfois le sentiment que toutes les actions menées constituent un empilement sans cohérence ni colonne vertébrale.

Alors que nos territoires engagent un processus de programmation pluriannuelle pour conforter leur développement économique, j’espère sincèrement que ces ambitions se traduiront budgétairement en 2019, que ce soit pour l’adaptation au changement climatique ou le développement portuaire outre-mer ; je sais que ce thème vous tient à cœur, madame la ministre.

Le groupe du RDSE votera les crédits de la mission « Outre-mer », car nous savons dans quelles conditions vous les avez défendus, madame la ministre. Ce budget de transition vous engage pour l’avenir. Les conclusions des assises devront trouver une traduction budgétaire cohérente dans les années à venir au travers des plans de convergence et des prochains contrats de développement.

Pour autant, si ce vote se veut bienveillant, nous demandons à l’État d’élaborer une vision claire de ce qu’il souhaite pour les outre-mer. Il doit s’agir de regards croisés, et non pas seulement d’un regard de l’outre-mer vers la métropole. Vous pouvez bien évidemment vous appuyer sur cette assemblée, dont les membres sont issus des territoires, mais également sur une instance comme le Conseil économique, social et environnemental pour définir des méthodes.

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