Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, partant du constat que la participation aux élections universitaires est dramatiquement faible, des parlementaires de la majorité, soutenus par le Gouvernement, ont souhaité introduire le vote par voie électronique lors des scrutins destinés à élire les membres des conseils d’administration des universités. Ainsi la mise en œuvre de ce mode de votation permettrait-elle de répondre à la désaffection des jeunes pour les élections universitaires.
Nous pensons que l’abstention des étudiants, dont personne ne saurait s’accommoder, ne pourra pas être freinée par une simple mesure technologique. Permettez-moi de vous citer plusieurs exemples afin d’illustrer mon propos.
En 2009, la mise en place d’un vote par Internet lors des élections des représentants des personnels au conseil d’administration du CNRS s’est traduite par un recul du taux de participation de douze points par rapport au scrutin précédent, de 2005. Il serait certes hasardeux de lier cette baisse significative au mode de votation, mais force est de constater que, à tout le moins, celui-ci n’a pas eu d’incidence positive sur le nombre de votants !
Le vote électronique souffre, sans doute à juste titre, d’un déficit de confiance de la part des électeurs. Fraudes, piratages et escroqueries en tout genre sont légions sur Internet, sans parler des virus, « vers » et autres logiciels permettant d’accéder aux contenus des ordinateurs personnels. On comprend donc aisément pourquoi bon nombre de personnes ayant participé aux élections des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger se sont détournées du vote électronique pour privilégier le vote par correspondance ou dans les bureaux. Si la part de votants par Internet atteignait 60 % en 2003, celle-ci a chuté à moins de 14 % en 2006, puis à 9 % en 2009. Il y a là matière à s’interroger…
L’université de Nantes a, elle aussi, mené des expériences de vote par voie électronique, et ce à deux reprises, en 2004 et en 2006, pour l’élection des trois conseils de l’établissement et de ceux des UFR, les unités de formation et de recherche.
L’expérimentation menée en 2006 a donné lieu à un rapport qui a fait apparaître l’absence d’évolution sensible de la participation des étudiants. Outre divers problèmes techniques, la commission de suivi du vote électronique, composée d’enseignants-chercheurs et d’étudiants élus, a noté que, pour réaliser cette consultation, l’université avait été amenée à mobiliser de nombreux personnels spécialisés en informatique et à se priver temporairement de ces personnels hautement qualifiés. Compte tenu du constat réalisé par la commission ad hoc, l’université de Nantes a décidé de ne pas renouveler le vote électronique.
Ces divers exemples témoignent en tout cas de l’absence de corrélation entre mode de votation et augmentation de la participation.
Cela étant, il faut également évoquer divers autres aspects du vote électronique.
Tout d’abord, le vote électronique se caractérise par son opacité. En effet, les simples citoyens ne peuvent plus contrôler la légalité du vote et ils doivent s’en remettre aux personnels qualifiés des institutions ou des entreprises privées en charge du système informatique.
En outre, ce mode de votation ne garantit en rien le respect des critères d’un vote démocratique. D’après une étude réalisée par Mme Chantal Enguehard, maître de conférences en informatique à Nantes, le vote par Internet présente de multiples vulnérabilités, invisibles, et pouvant affecter un grand nombre de votes. Les risques de fraude sont d’autant plus élevés que ces manipulations ne nécessitent pas de matériel coûteux et qu’elles peuvent être réalisées par quelques personnes.
À la question : « Ce système est-il aussi sécurisé que le vote papier ? », la CNIL elle-même répond que « tout dépend des garanties apportées par le système ».
Selon le professeur Andrew Appel, responsable de la chaire d’informatique à l’université de Princeton, les experts en informatique du monde entier ayant travaillé sur cette question s’accordent à dire que le vote par Internet n’est pas fiable. Peut-on alors réellement inciter les jeunes à retrouver le chemin des urnes en leur proposant un mode de votation exposé à toutes les manipulations ?
Un autre argument avancé par les défenseurs du vote électronique est son moindre coût par rapport au vote classique. Mais, pour répondre aux recommandations de la CNIL, universités, instituts et grandes écoles seront amenés à commander des audits auprès d’organismes privés afin de faire expertiser leurs systèmes de vote. Aussi ce mode de votation sera-t-il source de frais importants, que les établissements modestes ne pourront sans doute pas prendre en charge. In fine, le vote électronique ne devrait pas être moins coûteux que le vote papier.
Enfin, la possibilité offerte à chaque établissement de choisir son propre mode de votation entraînera une inégalité d’accès au scrutin contraire, selon nous, aux principes républicains.
Toutefois, nous partageons la préoccupation des auteurs de ce texte. Le taux d’abstention des étudiants, qui oscille entre 80 % et 85 %, est en effet particulièrement inquiétant. Il traduit cette « panne civique » que l’on constate quasiment à chaque nouvelle élection, qu’elle soit locale ou nationale. Nos concitoyens les plus jeunes constituent aujourd’hui l’une des bases de l’abstentionnisme. Ce phénomène, nuisible à la vitalité démocratique de notre pays, appelle des réponses fortes, adaptées. Celles-ci ont certes un coût, mais c’est indéniablement le prix à payer pour que vive la démocratie.
Habituer les étudiants à se rendre aux urnes ne peut être, de ce point de vue, que bénéfique. Encore faut-il que les jeunes sachent précisément ce sur quoi ils vont se prononcer. En l’occurrence, il conviendrait de pallier leur manque de connaissance du fonctionnement de l’université. Le rôle des élus dans le conseil d’administration, le conseil scientifique et le conseil des études et de la vie universitaire doit être mis en exergue et faire l’objet de campagnes d’information en direction des étudiants.
Toutes les dispositions doivent être prises pour créer les conditions de véritables campagnes électorales à l’occasion des scrutins internes aux universités, instituts et écoles. Nous souhaitons ainsi que les professions de foi des diverses listes soient adressées par voie postale aux étudiants, que les syndicats ou associations d’étudiants puissent diffuser leurs documents sur l’ensemble des sites des établissements ou encore que des débats et des rencontres entre les candidats soient organisés préalablement au scrutin.
Nous proposons également, pour chaque élection, la mise en place de commissions électorales chargées d’arrêter les dates, horaires et lieux du scrutin. Il paraît souhaitable que la consultation soit étalée sur plusieurs jours afin que le plus grand nombre d’étudiants puissent se prononcer. En effet, beaucoup d’entre eux sont amenés à travailler pour financer leurs études et couvrir leurs besoins, ce qui explique en partie leur absence le jour du scrutin.
Ces commissions devraient en outre veiller à donner le maximum de visibilité au scrutin et s’assurer de l’égalité d’accès aux isoloirs de tous les étudiants, notamment de ceux qui sont atteints d’un handicap.
Enfin, nous estimons indispensable de revoir la composition des conseils d’administration des universités en renforçant la représentation des étudiants et des personnels IATOS – ingénieurs, administratifs, techniciens, ouvriers de service. Revoir les équilibres modifiés par la loi relative aux libertés et responsabilités des universités du 10 août 2007 contribuerait à dynamiser la vie démocratique universitaire et encouragerait la participation des étudiants, dès lors que ceux-ci seraient mieux représentés au sein des instances décisionnelles et seraient ainsi mieux en mesure de peser sur les choix stratégiques des établissements.
Ces mesures de bon sens créeraient les conditions pour remédier à l’abstention dramatique des étudiants, bien plus que la mise en œuvre d’un nouveau mode de votation qui n’offre pas de réelle garantie quant à la sincérité du scrutin.
Parce qu’une simple mesure technique ne permettra pas de répondre à un réel problème de fond, nous nous prononcerons contre cette proposition de loi.